Désirer, est-ce désirer l'éternité ?
Extrait du document
«
Il faut ici définir le désir comme excèdent le besoins et orientant la tendance devenue consciente vers l'objet qu'elle
se représente.
Ainsi, le désir est la conscience d'une pauvreté, d'une absence ressentie comme privation d'une
plénitude : c'est alors la misère de l'existence humaine qu'il manifeste à chacun.
Mais aussi, l'inquiétude d'une
existence incomplète qui espère sans cesse échapper à sa condition en anticipant une satisfaction complète et
durable, un futur impossible qui sera donc toujours futur et qui reculera comme un horizon recule à l'infini.
Et enfin,
le désir est un moteur, un motif, producteur de la réalisation de ce qui a été anticipé : en ce sens, le désir ne
manque jamais de son objet, il le pose comme projet et en le produisant il crée de la vie en oubliant le poids du
passé.
Le désir n'est donc pas de l'ordre de l'avoir puisqu'il suffit d'avoir pour ne plus désirer ce qu'on a, mais de
l'ordre de l'existence, qui aspire à la plénitude de l'être sans jamais pouvoir l'atteindre parce qu'elle cherche dans
l'absence ce qui ne peut être donné que dans la présence.
Ici, il s'agit donc de s'interroger sur ce que l'on doit
entendre par désirer et ce que l'on doit en attendre.
Volupté des désirs et satisfaction :
·
Si vivre, c'est désirer, ne plus désirer, c'est ne plus vivre.
C'est là une expérience très humaine.
Le désir
est humain, Voir, le texte de Spinoza, l'Ethique, p.
525,526.
Il est même l'essence de l'homme explique
Spinoza.
La violence du désir peut inquiéter, mais une morale qui chercherait à supprimer le désir ressemble à
une sorte de suicide.
Si vivre c'est désirer, cesser de désirer c'est en quelque sorte mourir.
Nier le désir, ce
serait en même temps nier notre affirmation, notre volonté d'être.
Il est même impossible de vouloir supprimer
le désir.
Ce serait être confronté avec une contradiction insoluble : désirer ne pas avoir de désir !
·
Nous n'éprouvons pas de difficulté à justifier notre perpétuelle quête de satisfaction dans nos désirs.
Seulement, il y a ceux qui osent désirer et ceux qui n'y parviennent pas et n'ont d'autre solution que de se
restreindre.
Pensé sous la forme d'une alternative, cela revient à distinguer les forts qui satisfont leurs désirs
et les faibles qui sont incapables de les satisfaire.
La répression du désir paraît tellement contre-nature
qu'elle ne peut-être que le fait d'un esprit faible.
Le faible renie ses désirs et adopte une conduite
d'impuissance qui le voue au ressentiment et à l'insatisfaction.
Le fort libère ses désirs, leur donne libre cours
et les mène à la satisfaction.
C'est ainsi que Balzac présente l'homme de génie : " Il désirait comme un poète
imagine, comme un savant calcule, comme un peintre crayonne, comme un musicien formule des mélodies...
Il s'élançait avec une violence inouïe, et par la pensée, vers la chose souhaitée, il dévorait le temps.
En
rêvant l'accomplissement de ses projets, il supprimait toujours les moyens d'exécution".
Désirer, chez Balzac,
c'est faire coïncider la volonté, le désir et le monde : une foudroyante possession de l'univers : la volonté de
puissance à l'oeuvre.
Le désir est l'ardeur de l'âme forte, c'est la substance même du héros.
·
Dans le Gorgias de Platon, Calliclès, l'homme vital par excellence n'a pas d'hésitations : " Voici ce qui est
beau et juste suivant la nature je te le dis en toute franchise, c'est que, pour bien vivre, il faut laisser
prendre à ses passions tout l'accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute
leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous les
désirs à mesure qu'ils éclosent ".
Réfréner et mesurer ses désirs :
·
L'examen de la suite du texte de Platon est important.
Si Calliclès a raison, " on a tort de dire que ceux
qui n'ont aucun besoin sont heureux ".
Mais justement, la satisfaction que cherche le désir, n'est-ce pas un
contentement qui réduit et efface le besoin ? Comparons l'âme à un tonneau et les désirs à des trous percés
dans le fond.
Le tonneau qui n'est pas percé est facile à remplir.
Une fois qu'il est plein, il n'est plus
nécessaire de lui ajouter quoi que ce soit.
Au contraire, l'âme qui est percée de désirs sans nombre est
impossible à combler.
Tout ce qui est déversé en elle s'écoule aussitôt de sorte qu'il faut constamment la
remplir : elle ne trouve jamais la satisfaction et le contentement.
Être condamné à poursuivre sans cesse des
désirs sans jamais trouver le contentement, n'est pas là un supplice infernal ? C'est toute l'absurdité de
l'existence livrée aux désirs.
Que penser de celui qui nous pousse à multiplier sans fin nos désirs ? N'est-ce
pas un démon ? Ne faut-il pas mieux explique Platon " préférer à une existence inassouvie et sans frein une
vie réglée, contente et satisfaite de ce que chaque jour lui apporte ?" .Se donner pour règle de satisfaire
tous ses désirs, c'est se condamner à une vie de souffrance.
·
Nous avons déjà assez souffert de la multiplication de nos désirs, du mécontentent que cela entraîne.
Ce
dont nous avons besoin, c'est plutôt d'un art de vivre.
L'art de vivre montre comment trouver une vie réglée,
contente et satisfaite de ce que chaque jour lui apporte.
Mais comme nous sommes d'abord des êtres
humains et pas d'emblée des ascètes religieux, nous demandons aussi une vie qui comporte du plaisir.
La
morale d'Epicure ne demande pas davantage.
Ce que nous avons à apprendre c'est un certain sens de la
mesure.
Il faut distinguer l'attitude qui nous porte à la satisfaction de plaisirs légitimes et celle qui nous porte
à la poursuite de plaisirs illégitimes.
C'est la poursuite de l'excès qui rend l'homme pervers et non la recherche
d'un plaisir légitime.
" Si tous les hommes jouissent d'une façon quelconque des mets, des vins et des plaisirs
sexuels, tous n'en jouissent pas dans la mesure qu'il faut ".
Trouver la juste mesure en toute chose est un
ingrédient essentiel de la sagesse.
Quand on tombe dans la démesure, plus aucun plaisir n'est satisfait.
La
poursuite effrénée du désir traîne à sa suite l'irritation du mécontentement, la lassitude le dégoût et l'ennui..
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