DESCARTES: Pour le libre arbitre, je suis entièrement d'accord avec ce qui a été écrit par le Révérend Père
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«
Pour le libre arbitre, je suis entièrement d'accord avec ce qui a été écrit par le Révérend Père'.
Et pour
expliquer plus nettement mon opinion, je désire que l'on remarque sur ce point que l'indifférence me
semble signifier proprement cet état dans lequel la volonté se trouve, lorsqu'elle n'est point portée, par la
connaissance du vrai ou du bien, à suivre un parti plutôt qu'un autre; et c'est en ce sens que je l'ai prise,
quand j'ai écrit que le plus bas degré de la liberté consistait à nous déterminer aux choses auxquelles nous
sommes indifférents.
Mais peut-être que, par ce mot d'indifférence, d'autres entendent une faculté positive
de se déterminer à l'un ou à l'autre de deux contraires, c'est-à-dire à poursuivre ou à fuir, à affirmer ou à
nier.
Or je n'ai jamais nié que cette faculté positive se formât en la volonté.
Tant s'en faut, j'estime qu'elle
s'y rencontre, non seulement dans les actions où elle n'est portée par aucune raison évidente vers un parti
plutôt que vers un autre, mais encore dans toutes ses autres actions; au point que, lors même qu'une
raison fort évidente nous pousse vers un parti, quoique, moralement parlant, il soit difficile que que nous
puissions faire le contraire, absolument parlant, néanmoins, nous le pouvons.
Car il nous est toujours
permis de nous empêcher de poursuivre un bien qui nous est clairement connu, ou d'admettre une vérité
évidente, pourvu seulement que nous pensions que c'est un bien de témoigner par là notre libre arbitre.
De plus il faut remarquer que la liberté peut être considérée dans les actions de la volonté, soit avant
qu'elles soient accomplies, soit pendant leur accomplissement.
Or il est certain qu'étant considérée dans les actions avant qu'elles soient accomplies, la liberté entraîne l'indifférence, prise dans le
second sens, mais non dans le premier.
Et bien que, quand nous opposons notre propre jugement aux commandements des autres,
nous nous disions plus libres de faire ce pour quoi rien ne nous est prescrit par autrui, et où il nous est permis de suivre notre propre
jugement, que de faire ce qui nous est interdit, pourtant, en opposant nos jugements entre eux ou nos connaissances les unes aux
autres, nous pouvons dire que nous sommes plus libres pour faire ce qui ne nous paraît ni bien ni mal, ou encore ce en quoi nous
connaissons beaucoup de raisons pour le bien certes, mais autant d'autres pour le mal, que pour faire ce en quoi nous apercevons
beaucoup plus de bien que de mal.
En effet, une plus grande liberté consiste soit dans une plus grande facilité à se déterminer, soit
dans un plus grand usage de cette puissance positive que nous avons de suivre le pire, tout en voyant le meilleur.
Or si nous suivons
ce en quoi nous apparaissent plus de raisons de faire le bien, nous nous déterminons plus facilement : si nous faisons le contraire,
nous faisons un plus grand usage de notre puissance positive; et ainsi nous pouvons dans tous les cas agir plus librement touchant
les choses où nous voyons plus de bien que de mal que touchant celles que nous appelons indifférentes.
En ce sens également,
nous faisons moins librement les choses qui nous sont commandées par d'autres et auxquelles, sans cela, nous ne nous porterions
pas de nous-mêmes, que celles qui ne nous sont pas commandées; d'autant que le jugement qui nous dit que ces choses-là sont
difficiles à faire s'oppose au jugement d'après lequel il est bon de faire ce qui nous est commandé : or ces deux jugements, plus ils
nous meuvent également, plus ils mettent en nous de l'indifférence, prise dans le premier sens.
Maintenant la liberté étant considérée dans les actions de la volonté au moment même où elles sont accomplies, elle n'entraîne
alors aucune indifférence, ni au premier ni au second sens du mot; parce que ce qui se fait ne peut pas ne pas se faire, dans le
temps même où il se fait.
Mais elle consiste seulement dans la facilité qu'on a d'opérer; et alors librement, spontanément et
volontairement sont une seule et même chose.
C'est en ce sens que j'ai écrit que j'étais porté d'autant plus librement à une chose,
que j'y étais poussé par plus de raisons; parce qu'il est certain que notre volonté se meut alors avec plus de facilité et d'impétuosité.
Dans une lettre au père Mesland, Descartes précise sa conception de la liberté et affirme qu'elle est un pouvoir métaphysique
indivisible et absolu, « puissance de choisir l'un ou l'autre des deux contraires».
La liberté est liberté de la volonté et celle-ci n'est
autre chose qu'une action de l'âme qui a le pouvoir de se déterminer elle-même indépendamment de toute contrainte extérieure.
L'homme détient donc une puissance positive d'affirmation et est par là même indépendant des lois naturelles de causalité.
Le sujet
est libre quand il est pure spontanéité, source absolue de ses actes.
Mais une telle affirmation n'est pas sans faire problème.
En
effet, si l'homme est libre par nature, en quoi a-t-il besoin d'être libéré ? Pourquoi fait-on si souvent le constat de la servitude
humaine ? Descartes répond en montrant que la liberté humaine, en droit universelle et égale chez tous, est susceptible de degrés
dans son actualisation.
En effet, si l'on peut définir négativement la liberté comme l'absence de contrainte extérieure, il faut bien voir
que le contenu positif d'une telle liberté n'est pas déterminé pour autant.
Aussi Descartes va-t-il chercher à préciser ce contenu et
ainsi à établir une véritable hiérarchie des libertés.
Si rien ne me détermine de l'extérieur, j'ai effectivement le pouvoir de choisir
entre les possibles qui s'offrent.
Mais il y a une grande différence entre un choix qui s'effectue presque au hasard, parce que je ne
vois pas très clairement où est le Bien, et un choix éclairé et fortifié par la connaissance.
La liberté d'indifférence, situation où je me
trouve quand aucune raison positive ne me fait pencher d'un côté plutôt que d'un autre, est, pour Descartes, le plus bas degré de la
liberté.
Je puis être entièrement libre sans être jamais indifférent, quand mon choix se trouve entièrement déterminé par la
connaissance.
La liberté et l'indifférence ne peuvent donc s'identifier, car, pour que je sois libre, il n'est pas nécessaire que je sois
indifférent.
L'indifférence est corrélative de l'ignorance : elle traduit un défaut de la connaissance et non une perfection de la volonté.
Elle demeure cependant un degré de la liberté, même si c'est le plus bas; l'homme demeure capable de choix.
La volonté n'est pas
paralysée par l'absence de raison.
La deuxième maxime de la morale par provision que propose Descartes dans le Discours de la
Méthode illustre parfaitement ce qu'est la liberté d'indifférence : c'est celle dont dispose le voyageur égaré dans une forêt, qu'aucune
raison ne pousse à choisir d'aller dans une direction plutôt que dans une autre.
Il a néanmoins un pouvoir de choix qui est entier,
quand bien même aucune connaissance ne peut l'éclairer.
Une liberté éclairée par l'entendement demeure totale, dans la mesure où
elle n'est pas déterminée du dehors, par une contrainte extérieure, mais par moi-même.
En ce sens, on peut donc dire que nous
sommes d'autant plus libres que l'évidence est plus grande.
Cette thèse est au centre de la réflexion de Descartes dans les
Méditations métaphysiques (Quatrième Méditation) et se trouve approfondie dans cette lettre à Mesland, plus tardive.
Descartes y
affirme que, même dans le cas où ma volonté est parfaitement éclairée par l'entendement, elle demeure cependant un pouvoir de
choix absolu et que son adhésion à ce
que l'entendement lui présente n'a rien d'automatique.
Ce pouvoir nous permet de choisir même contre l'évidence, même contre le
Bien, «pourvu que nous pensions que c'est un bien d'affirmer par là notre libre arbitre ».
Nous avons toujours le pouvoir positif de
suivre le pire alors même que nous voyons le meilleur.
En ce sens, la liberté n'est pas susceptible de degré : elle est pouvoir de
négation, pouvoir d'arrêt, indivisible et total dans chacun de nos actes, et c'est pourquoi «le libre arbitre est de soi la chose la plus
noble qui puisse être en nous, d'autant qu'il nous rend en quelque façon pareils à Dieu»..
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