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Descartes: L'homme est chose pensante

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« Les M éditations sont une entreprise de doute radical en vue de trouver une vérité s olide qui puisse servir de fondement à l'édification de la s c i e n c e.

O n peut supposer, a v e c D e s c a r t e s , q u e tout e s t faux : le monde extérieur n'existe peut-être pas , m e s s e n s me trompent perpétuellement, mon corps lui-même n'est peut-être qu'une illusion.

A la place de Dieu, on peut poser un "malin génie" qui use de toute son indus trie et de sa puissanc e pour m'induire tout le temps en erreur.

Pourtant, à la manière des sceptiques, je peux douter autant qu'il est permis, sus pendre même mon jugement, rien ne fera que je ne pense pas.

Le C ogito (je pense) fonde donc la certitude que je suis, et que j'existe.

Si tout est douteux, il est par contre indubitable que je pense.

L'ess ence de l'homme es t donc la conscience ou la pensée.

"Je connus de là que j'étais une substance dont toute l'es sence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle" (Dis cours de la méthode).

De cette découverte, Descartes peut distinguer les deux substances : l'étendue, à savoir l'espace en lequel trouvent lieu la corporéité ou la matérialité, de l'autre l'âme ou la pensée, "entièrement distincte du corps ." C es deux substances c oexistent, mais sont radicalement dis tinc tes. Je pense donc je suis. C ette phrase apparaît au début de la quatrième partie du « Dis cours de la méthode », qui présente rapidement la métaphysique de D e s cartes .

O n a donc tort de dire « C ogito ergo sum », puisque ce texte est le premier ouvrage philosophique important écrit en français. P our bien comprendre cette c itation, i l est n é c e s s a i r e d e restituer le c ontexte dans lequel elle s’insère.

L e « D i s c o u r s de la méthode » prés ente l’autobiographie intellectuelle de Descartes, qui se fait le porte-parole de sa génération.

Des cartes y décrit une véritable cris e de l’éducation, laquelle ne tient pas ses promesses ; faire « acquérir une c onnaissance claire & assurée de tout ce qui est utile à la vie ». En fait, Descartes est le c ontemporain & le promoteur d’une véritable révolution scientifique, inaugurée par Galilée, qui remet en cause tous les fondements du savoir et fait de la T erre, jusqu’ici considérée c omme le centre d’un univers fini, une planète comme les autres .

L’homme est désormais jeté dans un univers infini, sans repère fixe dans la nature, en proie au doute s ur s a place et s a fonction dans un univers livré aux lois de la mécanique.

O r , D e s c a r t e s v a entreprendre à la fois de justifier la scienc e nouvelle et révolutionnaire qu’il pratique, et de redéfinir la plac e de l’homme dans le monde. P our accomplir cette tâche, il faut d’abord prendre la mes ure des erreurs du passé, des erreurs enracinées en s oi-même.

En clair, il faut remettre en cause le pseudo savoir dont on a hérité et commencer par le doute : « Je déracinais c ependant de mon esprit toutes les erreurs qui avaient pu s’y glisser auparavant.

Non que j’imitasse en cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter ; car, au contraire, tout mon dess ein ne tendait qu’à m’assurer, et à rejeter la terre mouvante & le sable, pour trouver le roc & l’argile.

» (« Discours de la méthode », 3ième partie). C e qu’on appelle métaphysique est justement la dis cipline qui recherche les fondements du s avoir & des choses , qui tente de trouver « les premiers princ ipes & les premières causes ».

Descartes, dans ce temps d’incertitude et de s oupçon généralisé, cherche la vérité, quelque chose dont on ne puisse en aucun cas douter, qui résiste à l’examen le plus impitoyable.

C herchant quelque chose d’’absolument c ertain, il va commenc er par rejeter comme faux tout ce qui peut paraître douteux. « P arce qu’alors je dés irais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu’il fallait […] que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point après cela quelque chos e […] qui fut entièrement indubitable.

» Le doute de D escartes est provisoire et a pour but de trouver une certitude entière & irrécusable. O r il est sûr que les sens nous trompent parfois.

Les illus ions d’optique en témoignent as sez.

Je dois donc rejeter comme faux & illusoire tout ce que les sens me fournissent.

Le principe est a u s s i f a c i l e à comprendre que difficile à admettre, car comment saurais-je alors que le monde existe, que les autres m’entourent, que j’ai un corps ? En toute rigueur, je dois temporairement c onsidérer tout cela comme faux. A ceux qui prétendent que cette attitude est pure folie, Descartes réplique par l’argument du rêve.

Pendant que je rêve, je suis persuadé que ce que je vois et sens est vrai & réel, et pourtant ce n’est qu’illusion.

Le sentiment que j’ai pendant la veille que tout ce qui m’entoure est vrai & réel n’est donc pas une preuve suffisante de la réalité du monde, puisque ce sentiment est tout aussi fort durant mes rêves.

P ar suite je dois , si je cherche la vérité : « feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que l’illusion des songes ». M ais le doute de Desc artes va bien plus loin dans la mesure où il rejette aussi les évidences intellectuelles, les vérités mathématiques.

« Je rejetai comme fausses toutes les rais ons que j’avais pris es auparavant pour démonstrations .

» Nous voilà perdu dans ce que Descartes appelle « l’oc éan du doute ».

Je dois feindre que tout ce qui m’entoure n’es t qu’illusion, que mon c orps n’existe pas, et que tout c e que je pense, imagine, s ens, me remémore est faux.

C e doute est radical, total, exorbitant.

Quelque chose peut-il résister ? V ais-je me noyer dans cet océan ? O ù trouver « le roc ou l’argile » sur quoi tout recons truire ? O n mesure ici les exigences de rigueur et de radic alité de notre auteur, et à quel point il a pris acte de la s uspicion que la révolution galiléenne avait jetée sur les s ens (qui nous ont assuré que le soleil tournait autour de la T erre) et sur ce que la s c i e n c e avait cru pouvoir démontrer. « M ais aussitôt après je pris garde que, c ependant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait néces sairement que moi, qui pensais, fus se quelque chose.

Et remarquant que cette vérité : je pens e donc je suis, était si ferme et si assurée, que les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, s ans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherc hais.

» Il y a un fait qui échappe au doute ; mon existence c omme pensée.

Que ce que je pens e soit vrai ou faux, je pense.

Et si je pense, je suis.

Le néant ne peut pas penser.

La première certitude que j’ai est donc celle de mon existence, mais comme pure pensée, puisque, en toute rigueur, je n’ai pas encore de preuve de l’existenc e de mon corps.

Q uand bien même je nierais que le monde existe, que mon corps exis te, que je puisse pens er c orrectement, je ne pourrais remettre en cause ce fait : je pense, et par s uite, je suis.

La volonté sceptique de douter de tout, l’idée qu’aucune vérité n’est acces sible à l’homme, se brise sur ce fait : je pense.

V oilà le roc, voilà l’argile.

V oilà le point ferme grâce auquel j’échappe à la noyade dans l’océan du doute, par lequel je retrouverai la terre ferme de la s c i e n c e vraie. La difficulté provient de l’interprétation à donner à ce « je ».

Il n’est pas l’individu conc ret.

C e n’est pas D escartes, homme du XV IIième siècle, c’est tout individu pensant qui peut dire « je pens e donc je suis », pour peu qu’il refasse, pour lui-même, l’expérience entrepris e. C e « je » est, par définition, désincarné ; tout ce que je peux affirmer, à ce moment, de l’itinéraire cartésien, c’est mon existenc e comme pensée, puisque, répétons-le, je dois encore, temporairement, nier l’existence du c orps. Les deux conséquences majeures que Descartes tire de s a découverte sont d’une importance cruciale pour l’histoire de la philos ophie. D ’une part Descartes montre que la nature de la pensée et celle de la matière sot différentes.

C e qu’on nomme dualisme : « Je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser […] En sorte que moi, c ad l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distinc te du corps.

» Le c orps, en effet, n’est qu’une portion de matière, ayant une forme, et susceptible de recevoir du mouvement.

La pensée est radicalement différente, c’es t la faculté de c oncevoir, imaginer, sentir, vouloir.

Desc artes ne nie pas que –en l’homme- il y ait interaction du corps et de la pensée, et il consac rera même un ouvrage, « Les P as sions de l’âme » (1649), à c e qu’on nommerait aujourd’hui biologie des pass ions.

M ais il jette grâc e au dualisme les bases de la s c i e n c e moderne, en limitant la physique à l’étude de la matière et de ses propriétés .

Il faut se s ouvenir qu’A ristote considérait l’étude de l’âme comme le couronnement de la physique, et que P ascal aura à batailler contre l’idée que la « nature a horreur du vide », c omme si la matière était animée d’intention. D’autre part, dans l’expérience du « cogito », du « je pense », je prends c onscienc e de moi-même comme pens ée.

C ela amènera notre auteur à identifier pensée et consc ience, ce que contestera, outre Leibniz & Spinoza, Freud. A vec le « je pense donc je s uis », Descartes place la conscience, le sujet, à la racine de toute connaissance possible.

La cons équence essentielle est le primat de la conscience, et sa différence d’avec la matière.

Redonner à l’homme une place dans un univers infini et vide de Dieu, assurer la dignité de la conscience, et jeter les bases de la science moderne, tels sont les objectifs que la métaphys ique cartésienne s’est assignée.. »

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