Descartes: Les règles de la méthode
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Thème 82
Descartes: Les règles de la méthode
La vérité est une notion si claire et si évidente qu'il est impossible de l'ignorer.
Elle est
même une idée innée, car il est impossible d'apprendre ce qu'elle est.
On ne peut en
effet être en accord ou en désaccord avec celui qui nous en propose une définition,
si au préalable on ne sait s'il dit vrai ou faux.
Il faut donc savoir, antérieurement à
toute définition, ce qu'est la vérité pour acquiescer ou non à la définition qu'on lui
suppose.
Traditionnellement, on peut donc admettre la définition scolastique de la
vérité comme adéquation de l'esprit et de la chose (adaequatio rei et intellectus),
mais il est impossible de fournir des règles logiques qui nous en montrent la nature
propre.
La vérité est par conséquent un accord, une correspondance, un juste
rapport, une adéquation, qui se donnent dans l'évidence, la clarté, et la simplicité.
La
seule règle de nos vérités est la "lumière naturelle" que nous avons tous en partage :
"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée [...] la puissance de bien
juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon
sens, ou la raison est naturellement égale en tous les hommes." Mais si nul ne se
plaint de son jugement, rares sont ceux qui se servent correctement de cette lumière
naturelle.
Ceci explique que beaucoup s'enferrent dans les mêmes erreurs, et souvent
pour les mêmes raisons : la première règle de la méthode nous rappelle qu'il ne faut s'en tenir qu'à la seule et
simple évidence, et qu'il faut éviter avec soin la prévention et la précipitation.
Nombreux sont ceux qui préjugent,
par impatience ou légèreté d'esprit, au lieu de prendre le temps de considérer avec clarté, distinction et
évidence, les données du problème qu'il faut juger.
La découverte de la vérité est
à la portée de tous, puisque nous disposons tous du même instrument universel qu'est la raison, mais il convient
de s'y employer avec patience et persévérance.
Nous devrions nous fier à la seule lumière naturelle ou intuitus
mentis, et nous méfier plus souvent de nos instincts ou impulsions naturelles qui, si elles visent naturellement
notre propre conservation, nous mènent souvent bien loin du droit chemin.
Les règles de la méthode
Le problème de la vérité semble donc se réduire à une question de méthode.
Si la faculté ne fait défaut chez
personne, la lumière naturelle ou la raison étant identique en chacun, son application doit être réglée.
La logique,
la géométrie et l'algèbre, trois sciences vraies, peuvent servir de modèle pour établir une méthode universelle
permettant de s'acheminer sans peine sur la voie de la vérité, à la condition de les débarrasser de leur superflu et
de leurs défauts.
La logique est en effet embarrassée de nombreux syllogismes qui ne nous apprennent rien que
l'on ne sache déjà.
Le syllogisme explique ou développe la connaissance, mais ne l'étend d'aucune manière.
La
géométrie, limitée à la considération des figures dans l'espace, "exerce l'entendement en fatiguant beaucoup
l'imagination".
Enfin l'algèbre, outre qu'elle traite de "matières fort abstraites qui ne semblent d'aucun usage", est
trop dépendante des règles et des chiffres pour ne pas être parfois confuse et obscure.
Il suffit de tirer de ces
trois disciplines un petit nombre de règles pour établir une méthode universelle de la vérité qui servira en tous les
cas, à la condition qu'on s'attache à les respecter scrupuleusement.
La première règle est celle de l'évidence :
"ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle".
Pour cela il faut éviter
la précipitation et la prévention.
La précipitation est une impatience qui nous fait juger ou conclure trop tôt ; et
la prévention est un parti pris ou un préjugé qui fait obstacle à la considération rationnelle d'un problème, ou
encore une disposition d'esprit affective ou sentimentale qui nous pousse sans raison d'un côté plutôt que de
l'autre, avant même que nous ayons soigneusement examiné la question.
Cette première règle revient à
n'admettre que ce qui se présente "si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion
de le mettre en doute".
La deuxième règle est une règle de division ou d'analyse.
Pour chaque problème donné, il
convient de le diviser en ses parties élémentaires.
La difficulté apparente se résorbe lorsque la complexité est
soumise au traitement de l'analyse, c'est-à-dire divisée en parties distinctes les unes des autres.
Cette deuxième
règle prescrit de "démonter" les données du problème, afin de le "mettre à plat" pour distinguer clairement et
distinctement ses parties élémentaires.
La troisième règle est celle de l'ordre.
Il faut apprendre partout et
toujours à conduire par ordre ses pensées.
Pour cela, il convient de commencer par les choses les plus faciles et
les plus simples à connaître, pour s'élever ensuite par degrés successifs vers les plus compliquées.
Si l'ordre est
respecté, la progression du simple vers le complexe se fera sans difficultés.
Ce respect de l'ordre est capital : si
d'aventure il ne s'en trouve pas naturellement entre deux parties d'un problème, il faudra en supposer un pour ne
pas rompre l'enchaînement logique de la réflexion.
Cette troisième règle succède logiquement à la deuxième,
comme opération de synthèse qui reconstruit avec ordre et logique ce que la règle d'analyse nous prescrivait de
"démonter" ou d'analyser.
Enfin, la quatrième règle est celle de la vérification.
Il s'agit de passer en revue les
opérations antérieures pour s'assurer de n'avoir rien oublié.
Tout ce que nous pouvons connaître se laisse ainsi
ramener au traitement de ces quatres opérations simples qui ne laissent aucune place à l'erreur..
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