DESCARTES: le tout et la partie
Extrait du document
«
Il y a une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous soit une
personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux
du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est, en effet, l'une des
parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet
État, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa
naissance.
Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux d e sa personne en
particulier ; toutefois avec mesure et discrétion(1), car on aurait tort d e s'exposer à un grand mal, pour
procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout
le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver.
Mais si on rapportait tout à soim ê m e , on ne craindrait pas d e nuire beaucoup aux autres h o m m e s , lorsqu'on croirait en retirer quelque
petite commodité, et on n'aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au
lieu qu'en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et
même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente ; voire on
voudrait perdre son âme, s'il se pouvait, pour sauver les autres.
I - LES TERMES DU SUJET
Ce qui est ici en question, c'est le rapport de la partie au tout : comment l'individu, en tant qu'il est porteur de particularités et de
différences qui le distinguent de tout autre doit-il tenir compte de la communauté à laquelle il appartient ?
Il s'agit ici de penser l'articulation du particulier et du général à travers la notion d'intérêt.
C'est la question du bien commun qui est
visée : s'il doit constituer le principe de toute action, ce n'est jamais, précise Descartes, qu'à la condition de se concilier avec la valeur
de l'individu.
II - L'ANALYSE DU PROBLEME
Descartes montre ici, en pesant le pour et le contre, pourquoi il faut faire passer l'intérêt général avant l'intérêt particulier.
Loin de
sacrifier sa personne, chacun y trouvera des avantages : en effet, la prise en compte du bien commun contribue non seulement à
assurer la coexistence des individus au sein d'une communauté mais aussi à procurer à chacun du plaisir par la mise en œuvre de
ses vertus.
III - UNE DEMARCHE POSSIBLE
Le texte s'attache à démontrer ce que Descartes présente comme une "vérité".
Celle-ci est fondamentale non pas tant d'un point de
vue théorique que pragmatique : il s'agit bien d'une vérité "fort utile".
A - LES ETAPES DE L'ARGUMENTATION
1) De "Il y a une vérité" à "par sa naissance"
- Thèse du texte :
bien qu'étant une individualité, c'est-à-dire un être un, unique et particulier, l'individu, parce qu'il ne peut vivre isolé, "doit" toujours
se considérer comme la partie d'un tout.
Il s'agit autant que d'un impératif moral d'un impératif de prudence : chacun trouvera pour lui-même des avantages à tenir compte
de l'interdépendance de ses intérêts propres avec ceux d'autrui.
Ce tout dont l'individu est une partie est ici envisagé selon différents points de vue, allant du plus vaste au plus restreint : univers,
état, société, famille.
2) De "et il faut toujours" à "pour la sauver"
- Développement de la thèse :
ce principe directeur selon lequel chacun doit préférer l'intérêt général à l'intérêt particulier doit toutefois être mis en rapport avec ses
effets : c'est en fonction des bénéfices qu'il procure à la communauté qu'il doit être appliqué ainsi que d'une comparaison des
valeurs respectives du tout et de la partie.
3) De "mais si on" à "pour sauver les autres"
- Suite du développement de la thèse
fait passer la personne avant le tout et
la priorité accordée à l'intérêt égoïste
réalisation de la vertu en même temps
que Descartes argumente ici en comparant les avantages et les inconvénients entre celui qui
celui qui fait prévaloir le bien commun avant son intérêt particulier :
conduit à une forme d'isolement alors que celle accordée au bien commun assure aussi la
que le bonheur de l'individu ("plaisir à faire du bien").
B - L'ETUDE CRITIQUE
Ce texte aborde la question du rapport individu - communauté d'un point de vue social et moral.
Descartes insiste ici sur le rapport
entre bien particulier, bonheur individuel et bien commun.
On pourrait analyser les conséquences d e cette analyse sur le plan
politique : quel est le rôle de l'Etat par rapport à la coexistence d'individus qui ne peuvent s'isoler les uns des autres, mais qui ont
aussi tendance à s'opposer aux autres ?
Rousseau montre comment un Etat n'est légitime que parce qu'il permet d'articuler la nécessité d'une société et la liberté des
citoyens qui la composent.
C'est en vertu du contrat social que les hommes abandonnent leur liberté naturelle, qu'ils renoncent à
leurs intérêts égoïstes et qu'ils agissent en vertu de l'intérêt général.
IV - DES REFERENCES UTILES
Aristote, La politique, Ethique à Nicomaque
Rousseau, Du contrat social
Spinoza, Traité théologico - politique
V - LES FAUSSES PISTES
Morceler l'étude du texte, ce qui conduirait à manquer le mouvement et l'unité de l'argumentation cartésienne.
VI - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR
Un texte qui ne présente pas de difficultés de compréhension, mais dont le style peut prêter à confusion..
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