Descartes: La vérité comme lumière naturelle
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Thème 81
Descartes: La vérité comme lumière naturelle
La vérité est une notion si claire et si évidente qu'il est impossible de l'ignorer.
Elle est
même une idée innée, car il est impossible d'apprendre ce qu'elle est.
On ne peut en effet
être en accord ou en désaccord avec celui qui nous en propose une définition, si au
préalable on ne sait s'il dit vrai ou faux.
Il faut donc savoir, antérieurement à toute
définition, ce qu'est la vérité pour acquiescer ou non à la définition qu'on lui suppose.
Traditionnellement, on peut donc admettre la définition scolastique de la vérité comme
adéquation de l'esprit et de la chose (adaequatio rei et intellectus), mais il est impossible
de fournir des règles logiques qui nous en montrent la nature propre.
La vérité est par
conséquent un accord, une correspondance, un juste rapport, une adéquation, qui se
donnent dans l'évidence, la clarté, et la simplicité.
La seule règle de nos vérités est la
"lumière naturelle" que nous avons tous en partage : "Le bon sens est la chose du monde
la mieux partagée [...] la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui
est proprement ce qu'on nomme le bon sens, ou la raison est naturellement égale en tous
les hommes." Mais si nul ne se plaint de son jugement, rares sont ceux qui se servent
correctement de cette lumière naturelle.
Ceci explique que beaucoup s'enferrent dans les
mêmes erreurs, et souvent pour les mêmes raisons : la première règle de la méthode nous
rappelle qu'il ne faut s'en tenir qu'à la seule et simple évidence, et qu'il faut éviter avec soin la prévention et la
précipitation.
Nombreux sont ceux qui préjugent, par impatience ou légèreté d'esprit, au lieu de prendre le temps de
considérer avec clarté, distinction et évidence, les données du problème qu'il faut juger.
La découverte de la vérité est
à la portée de tous, puisque nous disposons tous du même instrument universel qu'est la raison, mais il convient de s'y
employer avec patience et persévérance.
Nous devrions nous fier à la seule lumière naturelle ou intuitus mentis, et
nous méfier plus souvent de nos instincts ou impulsions naturelles qui, si elles visent naturellement notre propre
conservation, nous mènent souvent bien loin du droit chemin.
Les règles de la méthode
Le problème de la vérité semble donc se réduire à une question de méthode.
Si la faculté ne fait défaut chez personne,
la lumière naturelle ou la raison étant identique en chacun, son application doit être réglée.
La logique, la géométrie et
l'algèbre, trois sciences vraies, peuvent servir de modèle pour établir une méthode universelle permettant de
s'acheminer sans peine sur la voie de la vérité, à la condition de les débarrasser de leur superflu et de leurs défauts.
La
logique est en effet embarrassée de nombreux syllogismes qui ne nous apprennent rien que l'on ne sache déjà.
Le
syllogisme explique ou développe la connaissance, mais ne l'étend d'aucune manière.
La géométrie, limitée à la
considération des figures dans l'espace, "exerce l'entendement en fatiguant beaucoup l'imagination".
Enfin l'algèbre,
outre qu'elle traite de "matières fort abstraites qui ne semblent d'aucun usage", est trop dépendante des règles et des
chiffres pour ne pas être parfois confuse et obscure.
Il suffit de tirer de ces trois disciplines un petit nombre de règles
pour établir une méthode universelle de la vérité qui servira en tous les cas, à la condition qu'on s'attache à les
respecter scrupuleusement.
La première règle est celle de l'évidence : "ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que
je ne la connusse évidemment être telle".
Pour cela il faut éviter la précipitation et la prévention.
La précipitation est
une impatience qui nous fait juger ou conclure trop tôt ; et la prévention est un parti pris ou un préjugé qui fait
obstacle à la considération rationnelle d'un problème, ou encore une disposition d'esprit affective ou sentimentale qui
nous pousse sans raison d'un côté plutôt que de l'autre, avant même que nous ayons soigneusement examiné la
question.
Cette première règle revient à n'admettre que ce qui se présente "si clairement et si distinctement à mon
esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute".
La deuxième règle est une règle de division ou d'analyse.
Pour chaque problème donné, il convient de le diviser en ses parties élémentaires.
La difficulté apparente se résorbe
lorsque la complexité est soumise au traitement de l'analyse, c'est-à-dire divisée en parties distinctes les unes des
autres.
Cette deuxième règle prescrit de "démonter" les données du problème, afin de le "mettre à plat" pour distinguer
clairement et distinctement ses parties élémentaires.
La troisième règle est celle de l'ordre.
Il faut apprendre partout et
toujours à conduire par ordre ses pensées.
Pour cela, il convient de commencer par les choses les plus faciles et les
plus simples à connaître, pour s'élever ensuite par degrés successifs vers les plus compliquées.
Si l'ordre est respecté,
la progression du simple vers le complexe se fera sans difficultés.
Ce respect de l'ordre est capital : si d'aventure il ne
s'en trouve pas naturellement entre deux parties d'un problème, il faudra en supposer un pour ne pas rompre
l'enchaînement logique de la réflexion.
Cette troisième règle succède logiquement à la deuxième, comme opération de
synthèse qui reconstruit avec ordre et logique ce que la règle d'analyse nous prescrivait de "démonter" ou d'analyser.
Enfin, la quatrième règle est celle de la vérification.
Il s'agit de passer en revue les opérations antérieures pour
s'assurer de n'avoir rien oublié.
Tout ce que nous pouvons connaître se laisse ainsi ramener au traitement de ces
quatre opérations simples qui ne laissent aucune place à l'erreur..
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