DESCARTES: Il n'y a point d'âme si faible, qu'elle ne puisse étant bien conduite acquérir un pouvoir absolu sur ses passions...
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«
Il n'y a point d'âme si faible, qu'elle ne puisse étant bien conduite acquérir un pouvoir absolu sur ses passions...
Il s'agit ici d'une citation extraite du dernier livre de Descartes, Les Passions de l'âme, écrit à la demande de
la princesse Elisabeth, et publié en 1649.
Il est évidemment préférable, pour traiter un tel sujet, de connaître
la théorie cartésienne des passions.
Descartes donne à « passion » son sens étymologique : « ce qui est subi par » et l'oppose à « action ».
Les
passions sont des affections de l'âme causées par le corps.
Autrement dit, ce qui est passion pour l'âme est
action du corps.
Toutes les passions ont leur point de départ dans les objets qui « meuvent les sens ».
Partant de là, Descartes distingue six passions fondamentales : l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la
joie, la tristesse.
Un objet qui nous surprend par sa nouveauté provoque en nous de l'admiration (l'admiration peut devenir
estime si c'est la grandeur de l'objet qui nous frappe, mépris si c'est sa petitesse ; magnanimité ou orgueil
si c'est nous-mêmes que nous admirons, humilité ou bassesse si c'est nous-mêmes que nous méprisons).
Lorsque l'objet admiré nous apparaît bon, nous avons pour lui de l'amour ; mauvais, nous avons pour lui de
la haine.
Avec le temps, ce n'est plus la nouveauté de l'objet qui nous attire.
Dès lors, l'objet de l'admiration devient
objet du désir (si on croit avoir des chances de gagner cet objet, le désir devient espérance ; en cas
contraire, le désir devient crainte.
Q u a n d n o u s s o m m e s presque assuré de l'issue de notre désir, o n a o u
bien de l'assurance, si l'on pense que cette issue sera heureuse, ou bien du désespoir, si l'on pense que cette issue sera
malheureuse.
Selon qu'on croit que l'événement dépend ou non de nous, on peut éprouver de l'irrésolution, voire de la lâcheté, ou
au contraire de la hardiesse).
Un bien présent excite en nous de la joie, un mal présent de la tristesse (l'envie et la pitié sont deux espèces de la tristesse.
Quand
nous estimons à tort ou à raison qu'autrui est indigne de posséder un objet qui excite en lui de la joie, nous l'envions.
Lorsque nous
voyons autrui souffrir d'un mal non mérité, nous éprouvons pour lui de la pitié).
On remarquera que par « passions », Descartes entend, en fait, ce qui relève de l'affectivité (sentiments).
Bien considérées, Descartes trouve les passions presque toutes bonnes, et tellement utiles à cette vie que « notre âme n'aurait pas
sujet de vouloir demeurer jointe à son corps un seul moment, si elle ne pouvait les ressentir » (Lettre à Chanut, novembre 1646).
A
condition toutefois que l'âme s'en rende maître.
Or les âmes les plus faibles, n'ayant pas une volonté éclairée par des « jugements
fermes et déterminés touchant la connaissance du bien et du mal », se laissent emporter par les passions présentes, lesquelles, «
étant souvent contraires les unes aux autres », mettent l'âme « au plus déplorable état qu'elle puisse être ».
Ainsi : « Lorsque la peur
représente la mort comme un mal extrême et qui ne peut être évité que par la fuite, si l'ambition, d'un autre côté, représente
l'infamie de cette fuite comme un mal pire que la mort; ces deux passions agitent diversement la volonté, laquelle obéissant tantôt
à l'une, tantôt à l'autre, s'oppose continuellement à soi-même, et ainsi rend l'âme esclave et malheureuse.
»
Mais Descartes l'affirme : « Il n'y a point d'âme si faible, qu'elle ne puisse étant bien conduite acquérir un pouvoir absolu sur ses
passions.
» Comment ? Par un bon usage des associations.
Le principe en est rappelé par Descartes, dans l'article 136 des Passions
de l'âme : « Il y a une telle liaison entre notre âme et notre corps que lorsque nous avons une fois joint quelque action corporelle
avec quelque pensée, l'une des deux ne se présente point à nous par après, que l'autre ne s'y présente aussi.
»
On peut donc maîtriser les passions en corrigeant, selon les cas, une association désagréable par une association agréable, ou une
association agréable par une association désagréable.
Exemple : si, en présence d'un danger, je suis toujours envahi par un
sentiment de peur et que je prends la fuite, je peux remédier à cela : il suffit que je m'efforce, grâce à l'habitude, d'associer à la
fuite la représentation d e la lâcheté ou de la honte.
Mon âme, cette représentation fortement imprimée en elle, me disposera à
affronter le danger avec courage.
L'âme n'est donc pas impuissante.
Elle peut réagir et opposer aux passions qui sont nuisibles une pensée ou une volonté contraire.
Ce remède relève du dressage : celui des animaux nous en donne maints exemples.
Il s'adresse aux âmes les plus faibles.
On ne
saurait, malgré son efficacité, s'en contenter.
Il faut, lorsque c'est possible, corriger les passions par la raison.
Pour cela, il faut
comprendre en quoi elles sont utiles.
Elles incitent d'abord l'âme « à consentir et contribuer aux actions qui peuvent servir à conserver
le corps ou à le rendre en quelque façon plus parfait ».
C'est ainsi que, généralement, la douleur nous avertit de ce qui est nuisible
au corps et le plaisir de ce qui est utile.
Mais surtout, « elles fortifient et font durer en l'âme des pensées, lesquelles il est bon qu'elle
conserve, et qui pourraient facilement sans cela en être effacées » (art.
74).
Ainsi, par exemple, l'admiration : « ...
fait que nous
apprenons et retenons en notre mémoire les choses que nous avons auparavant ignorées; car nous n'admirons que ce qui nous
paraît rare et extraordinaire; et rien ne nous peut paraître tel q u e parce que nous l'avons ignoré, o u m ê m e aussi parce qu'il est
différent des choses que nous avons sues » (art.
75).
Il est facile, dès lors, de voir que le mal qu'elles peuvent causer « consiste en ce qu'elles fortifient et conservent ces pensées plus
qu'il n'est besoin, ou bien qu'elles en fortifient et conservent d'autres auxquelles il n'est pas bon de s'arrêter » (art.
74).
C'est donc à
la raison d'en corriger les excès.
Ainsi, l'admiration peut être excessive si elle n'est qu'une aveugle curiosité pour tout ce qui est rare
et surprenant.
De même, le désir peut être mauvais, s'il n'est pas guidé par la connaissance.
On peut y arriver en distinguant parmi
les choses celles qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas.
Mais le principal remède contre les désirs vains est la
générosité, ou l'estime d e soi-même et des autres fondée sur la raison.
Le généreux, dit Descartes, « ne manquera jamais d e
volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures.
Ce qui est suivre parfaitement la vertu ».
La
générosité est le plus efficace « remède contre tous les dérèglements des passions » (art.
156) car elle est le fondement d'une
disposition à la vertu (art.
161).
Pour la mettre en oeuvre, il convient d'habituer la volonté «à considérer et à suivre les raisons qui
sont contraires à celles que la passion représente » (art.
211).
Ainsi, pour Descartes, on peut réduire au minimum les maux que les
passions provoquent et même en tirer de la joie.
Le mérite de Descartes, c'est de montrer qu'il ne s'agit pas d'extirper les passions.
Cependant, il y a dans la position cartésienne un
présupposé : l'attribution à l'âme d'une volonté libre et donc d'un pouvoir absolu sur les passions.
Descartes pense que lorsqu'elle
est soutenue par l'entendement, la volonté peut tout.
Ainsi, dans une nature soumise au déterminisme, le libre arbitre constituerait
une exception, une sorte d'empire dans l'empire.
Son usage nous rendrait « en quelque sorte semblable à Dieu », créateur des lois
auxquelles il n'est pas soumis.
C'est cette idée d'une volonté libre que Spinoza ne cessera de critiquer..
»
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