DESCARTES: honnête homme et lecture
Extrait du document
«
Un honnête homme n'est pas obligé d'avoir vu tous les livres, ni d'avoir
appris soigneusement tout ce qui s'enseigne dans les écoles : et même ce
serait une espèce de défaut en son éducation, s'il avait trop employé de
temps en l'exercice des lettres.
Il y a beaucoup d'autres choses à faire
pendant sa vie, le cours de laquelle doit être si bien mesuré, qu'il lui en reste
la meilleure partie pour pratiquer les bonnes actions, qui lui devraient être
enseignées par sa propre raison, s'il n'apprenait rien que d'elle seule.
Mais il
est entré ignorant dans le monde, et la connaissance de son premier âge
n'étant appuyée que sur la faiblesse des sens et sur l'autorité des
précepteurs, il est presque impossible que son imagination ne se trouve
remplie d'une infinité de fausses pensées, avant que cette raison en puisse
entreprendre la conduite : de sorte qu'il a besoin par après d'un très grand
naturel, ou bien des instructions de quelque sage, tant pour se défaire des
mauvaises doctrines dont il est préoccupé, que pour jeter les premiers
fondements d'une science solide, et découvrir toutes les voies par où il
puisse élever sa connaissance jusqu'au plus haut degré qu'elle puisse
atteindre.
ÉTUDE DE LA CONSTRUCTION D'UN TEXTE
• Dans un premier moment (depuis « Un honnête homme...
» jusqu'à « s'il n'apprenait rien que d'elle seule »),
Descartes envisage la formation de « l'honnête homme », et relativise une éducation qui serait trop
exclusivement livresque.
La conduite de l'action doit relever surtout de la raison, entendue comme faculté de
juger propre à chacun.
• Dans un second moment (de « Mais il est entré...
» jusqu'à « entreprendre la conduite »I, Descartes signale
les obstacles qui préexistent à l'intervention de la raison : l'enfant est assujetti au témoignage de ses sens et à
l'autorité des précepteurs.
Il n'est donc pas encore véritablement autonome.
• Dans un troisième moment, (de « de sorte qu'il a besoin...
» à la fin du texte), il tire les conséquences de
cette emprise de facteurs étrangers à la raison autonome : le préalable à toute connaissance certaine est
l'instauration d'une distance critique, la mise en question de toutes les idées antérieures à l'exercice de la
raison.
• Sur le plan logique, la cohérence et l'unité du texte peuvent être dégagées en correspondance avec les
thèmes évoqués : l'exposé de l'idée initiale (le voeu de faire jouer un rôle déterminant à la raison naturelle) se
trouve problématisé par une objection (préexistence de conditionnements qui hypothèquent un fonctionnement
spontané rigoureux de la raison).
La prise en compte de cette objection conduit à une redéfinition du statut de
cette raison, c'est-à-dire à la fois des limites dans lesquelles elle s'inscrit et des interventions qu'elle requiert
pour pouvoir se manifester de manière sûre.
C'est d'un idéal dont il s'agit dans ce texte : idéal de vie, idéal d'homme, idéal de connaissance, - d'un idéal de
vie proprement humaine.
DESCARTES dépeint la vie d'un honnête homme, celle d'un homme moins tourné vers
la connaissance que porté à : "pratiquer les bonnes actions".
Pour agir bien cependant, il faut savoir.
Non pas
tout savoir, non pas détenir ce savoir de tout homme, mais savoir ce qui importe à la conduite de la vie et
constituer soi - même ce savoir.
Après avoir repris le thème classique, depuis le De brevitate, de la vanité
d'une soif d'érudition, l'auteur souligne néanmoins que l'homme par nature ne peut pas disposer ni
immédiatement ni facilement de l'usage de sa raison tant que prédominent les facultés irrationnelles et la
sujétion à d'autres hommes, - et qu'il n'y peut que difficilement accéder: "un très grand naturel" ou "des
instructions de quelque sage" sont requis.
Cet idéal n'est - il pas trop ambitieux pour un homme préoccupé plutôt des affaires de la vie que soucieux et de
fonder son savoir et d'agir avec bonté ?
Au sortir de la Renaissance, DESCARTES suggère dans ce texte un idéal de vie qui se démarque singulièrement
de la lettre de Pantagruel à son fils : "Somme, que tu soy un abisme de science", préconisait RABELAIS.
Mais
c'est là un ambition gigantesque, - une ambition de géants, pour des géants.
DESCARTES veut faire l'homme :
un honnête homme.
L'honnête homme de DESCARTES n'est ni un érudit ni un scolastique.
Son savoir n'est pas livresque seulement
ni principalement.
Depuis SENEQUE, les arguments contre l'érudition sont bien connus.
L'ambition serait vaine :
"d'avoir vu tous les livres", - une vie humaine n'y suffirait pas.
Le souci serait inutile : "d'avoir appris
soigneusement tout ce qui s'enseigne dans les écoles" ; les écoles sont nombreuses et elles se contredisent
comme le notait la première Partie du Discours de la méthode.
Des disciples qui ne sauraient s'élever plus haut
que leur maître, (et DESCARTES songe à ARISTOTE dans la sixième partie du même Discours), ne sauraient.
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