Descartes: Être libre, est-ce pouvoir dire « oui ou non » ?
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Car, par exemple,
si je considère la faculté de concevoir qui est en moi, je trouve
qu'elle est d'une fort petite étendue, et grandement limitée [...].
En même façon si j'examine la mémoire, ou l'imagination, ou quelque
autre faculté qui soit en moi, je n'en trouve aucune qui ne soit très
petite et bornée, et qui en Dieu ne soit immense et infinie. Il n'y a
que la volonté seule ou la seule liberté du franc [libre] arbitre que
j'expérimente en moi être si grande que je ne conçois point l'idée
d'aucune autre plus ample et plus étendue, en sorte que c'est elle
principalement qui me fait connaître que je porte l'image et la
ressemblance de Dieu. Car encore qu'elle soit incomparablement plus
grande dans Dieu que dans moi, soit à raison de la connaissance et de
la puissance, qui se trouvent jointes avec elle et qui la rendent plus
ferme et plus efficace, soit à raison de l'objet, d'autant qu'elle
se porte et s'étend infiniment à plus de choses, elle ne me semble pas
toutefois plus grande, si je la considère formellement et précisément
en elle-même.
Car elle consiste seulement en ce que nous pouvons
faire une même chose, ou ne la faire pas, c'est-à-dire affirmer ou
nier, poursuivre ou fuir une même chose ; ou plutôt elle consiste
seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les
choses que l'entendement nous propose, nous agissons en telle sorte
que nous ne sentons point qu'aucune force extérieure nous y
contraigne.
Car afin que je sois libre, il n'est pas nécessaire que
je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires,
mais plutôt, d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je
connaisse évidemment que le bien et le vrai s'y rencontrent, soit que
Dieu dispose ainsi l'intérieur de ma pensée, d'autant plus librement
j'en fais choix et je l'embrasse ; et certes la grâce divine et la
connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l'augmentent
plutôt et la fortifient ; de façon que cette indifférence que je sens
lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre
par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et
fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance qu'une perfection
dans la volonté, car si je connaissais toujours clairement ce qui est
vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel
jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais
entièrement libre, sans jamais être indifférent.
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