DESCARTES et la notion de pensée
Extrait du document
«
Les termes de conscientia, de conscius esse, dérivés de conscire, avaient, dans le
latin classique, la signification étymologique de connaissance, d'« être connaissant
»; mais dans le français des xvie et xviie siècles, « conscience » voulait dire « sens
moral », comme dans la célèbre formule de Rabelais, que science sans conscience
n'est que ruine de l'âme.
C'est, semble-t-il, dans les Réponses aux troisièmes
objections que pour la première fois, et la seule fois chez Descartes, « conscience
» est pris en français dans son acception originale.
Encore s'agit-il d'une traduction
de Clerselier, où d'ailleurs, pour éviter d'être mal compris, il double le terme de «
conscience » de celui de « connaissance » alors que le texte latin se contente de
conscientia.
« En après [les actes corporels], il y a d'autres actes que nous
appelons « intellectuels » (cogitativos), comme entendre, vouloir, imaginer, sentir,
etc., tous lesquels conviennent entre eux3 en ce qu'ils ne peuvent être sans
pensée, ou perception, ou conscience et connaissance, et la substance en laquelle
ils résident, nous disons que c'est une « chose qui pense » ou un esprit, ou de
quelque autre nom que nous voulions l'appeler ».
Mais que faut-il mettre sous ce mot « conscience » ? Il importe de lever une double
équivoque.
Pourquoi Descartes dit-il que penser, c'est apercevoir immédiatement ce qui se fait en nous? ll s'en
explique dans la Définition I des Réponses aux secondes objections.
Si « toutes les opérations de la volonté, de
l'entendement, de l'imagination et des sens, sont des pensées », en revanche, il en faut « exclure les choses
qui suivent et dépendent de nos pensées ».
Par exemple, la volonté appartient à la pensée, mais non le
mouvement volontaire qui pourtant en procède ».
En second lieu, si l'on admet sans difficulté qu'a entendre »
et penser sont même chose, on est d'abord plus étonné de cette affirmation de Descartes que vouloir, et
surtout imaginer et sentir, soient aussi penser.
Sur ce point, notre texte ne fait que reprendre le texte célèbre
de la Seconde Méditation sur la définition de la « chose qui pense »6.
l peut arriver que « les choses que
j'imagine ne soient pas vraies », néanmoins il est vrai que j'imagine et c'est cette puissance ou faculté
d'imaginer qui « fait partie de ma pensée ».
De même, quand mes diverses sensations de la vue, de l'ouïe, de la
chaleur ne seraient que de fausses apparences, toujours est-il que considérées comme « action de ma pensée
ou du sentiment » elles sont indubitables ou, comme nous dirions, ce sont des réalités pour ma conscience.
S'ensuit-il que Descartes mette toutes les fonctions de la pensée sur le même plan? A cette question, il répond
nettement dans la Sixième Méditation.
« Je trouve en moi diverses facultés de penser qui ont chacune leur
manière particulière; par exemple, je trouve en moi la faculté d'imaginer et de sentir sans lesquels je puis bien
me convenir clairement et distinctement tout entier, mais non pas réciproquement elles sans moi, c'est-à-dire
sans une substance intelligente à qui elles soient attachées ou à qui elles appartiennent », ce sont des modes
de propriétés contingentes de mon âme.
Seul l'entendement est pensée pure, mais pour établir cette vérité
indubitable que je suis une chose qui pense, toutes les propriétés ou fonctions de mon esprit, vouloir, imaginer,
sentir, etc., valent au même titre que l'entendement.
Car l'imagination et les sensations sont ici saisies
directement dans mon esprit comme des pensées ou, selon notre langage actuel, comme des données de
conscience.
"Par le mot de penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons
immédiatement par nous-mêmes.
(Cogitations nomine, intelligo illa omnia, quae nobis consciis in
nobis fiunt, quatenus eorum in nobis conscientia est); c'est pourquoi non seulement entendre, vouloir,
imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser.
Car si je dis que je vois ou que je
marche, et que j'infère de là que je suis; si j'entends parler de l'action qui se fait avec mes yeux ou
avec mes jambes, cette conclusion n'est pas tellement infaillible, que je n'aie quelque sujet d'en
douter, à cause qu'il peut se faire que je pense voir ou marcher, encore que je n'ouvre pas les yeux et
que je ne bouge pas de ma place; car cela m'arrive quelquefois en dormant, et le même pourrait peutêtre m'arriver encore que je n'eusse point de corps; au lieu que si j'entends parler seulement de
l'action de ma pensée ou du sentiment, c'est-à-dire de la connaissance qui est en moi, qui fait qu'il
me semble que je vois ou que je marche, cette même conclusion est si absolument vraie que je n'en
puis douter à cause qu'elle se rapporte à l'âme, qui seule a la faculté de sentir ou bien de penser en
quelque autre façon que ce soit." Principes de la philosophie, art.
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