DESCARTES et la divinisation de la Nature
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«
Sujet 2072
Qu'est-ce que la nature ?
Sachez donc, premièrement, que par la Nature je n'entends point ici quelque
Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais que je me sers de ce
mot pour signifier la Matière même en tant que je la considère avec toutes les
qualités que je lui ai attribuées comprises toutes ensemble, et sous cette condition
que Dieu continue de la conserver en la même façon qu'il l'a créée.
Car, de cela
seul qu'il continue ainsi de la conserver, il suit de nécessité qu'il doit y avoir
plusieurs changements en ses parties, lesquels ne pouvant, ce me semble, être
proprement attribués à l'action de Dieu, parce qu'elle ne change point, je les
attribue à la Nature ; et les règles suivant lesquelles se font ces changements, je
les nomme les lois de la Nature.
René Descartes, Le Monde ou Traité de la lumière (1664), Garnier
Ce a quoi le texte s'oppose
Ce texte de Descartes expose une conception radicalement nouvelle de la nature, qui rompt avec d'anciennes
représentations.
La plus ancienne d'entre elles l'identifiait à une déesse, comme le firent les poètes antiques ou ceux de la
Pléiade, au XVIe siècle.
Le philosophe latin Lucrèce (98-55 av.
J.-C.) ouvrait même son ouvrage De la nature
des choses par une « invocation à Vénus », qui louait la nature et l'assimilait à une déesse de la fécondité, «
plaisir des hommes et des dieux ».
Descartes, toutefois, s'oppose ici, non aux poètes, mais à la physique d'Aristote enseignée dans les écoles de
son temps, et qu'on a appelée « enseignement scolastique ».
Cette physique attribuait à la nature un pouvoir
de mise en ordre, une finalité, c'est-à-dire la capacité interne de poursuivre des buts (des fins).
C'est pour cela qu'on la comparait, à la Renaissance, à une grande âme ou à une grande artiste.
Or, la nature
n'est pas cette « puissance imaginaire », mais se réduit à une définition plus simple et plus claire, à savoir la
matière.
Descartes le précise nettement : « Je me sers de ce mot [la naturel pour signifier la Matière.
» Cette définition
comprend ainsi toutes les propriétés que nous lui prê
tons, et Descartes veut montrer ici que ces dernières sont pensables simplement par la considération du
mouvement de ses parties.
Il n'est pas nécessaire d'avoir à introduire pour cela, comme le font les
aristotéliciens, des « qualités » censées être les causes des phénomènes qui se produisent.
Chez les disciples d'Aristote, en effet, on expliquait le mouvement des corps par les propriétés des éléments
fondamentaux.
Ainsi l'air, disait-on, s'élève dans le ciel, car c'est sa propriété naturelle d'aller « vers le haut ».
De la même manière, la terre et tous les objets solides tombent «vers le bas», car c'est leur qualité propre.
Chacun des quatre éléments (eau, terre, air, feu) possède un « lien propre» vers lequel il se dirige
spontanément, si rien ne vient entraver ce mouvement.
Descartes inverse la perspective : ces qualités ellesmêmes ont besoin d'explication, car elles ne sont pas
causes mais effets d'un mouvement plus originaire, celui de particules étendues (ou « figures ») en mouvement,
qui constituent la « matière ».
Tous les phénomènes de la nature ne sont donc pas autre chose que les résultats du déplacement des parties
qui la composent.
Ce que le texte défend
Descartes soutient donc ici l'idée que la nature n'est ,autre chose que la matière en mouvement.
Cette
conception est toutefois rattachée dans cet extrait à l'idée d'origine biblique selon laquelle Dieu a créé la
matière.
Pour Descartes, en effet, Dieu créé le monde et le conserve à chaque seconde, et ce sont là deux actions
identiques.
Aussi parle-t-on à ce propos de «création continuée» et c'est pourquoi Descartes écrit que sa
conception de la matière implique que «Dieu continue de la conserver en la même façon qu'il l'a créée».
On se demandera alors si cette nouvelle conception rompt vraiment avec les puissances imaginaires que
Descartes prétendait dénoncer au début de ce texte.
Cette référence à l'idée de Dieu ne vient-elle pas
atténuer la « positivité », c'est-à-dire la rationalité et l'indépendance de l'image qu'il nous donne de la nature ?
Toutefois, Descartes parvient à rendre ces lois quelque peu indépendantes de la volonté divine, et ce, par le
raisonnement suivant : on constate qu'il y a du changement dans la matière et « en ses parties ».
Or, Dieu ne
peut être l'auteur de ce changement, car son action ne change point.
Dieu, en effet, n'est pas un être qui se
plaît à changer ce qu'il a une fois institué (la matière) et à contredire ainsi la sagesse de ses créations.
Par conséquent, ces changements ne proviennent pas de lui mais de la mécanique interne à la matière à
laquelle il donne cohérence et permanence, grâce aux lois invariables qu'il a mises en elle.
Ce sont ces lois qui
ordonnent le monde à chaque seconde et le protègent du chaos..
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