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DESCARTES : devenir possesseur de la Nature

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Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités' qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament, et de la disponibilité des organes du corps que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher. DESCARTES

« (...) Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes.

Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.

Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités' qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament, et de la disponibilité des organes du corps que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher. RAPPEL: "On ne commande à la nature qu'en lui obéissant" BACON Cette phase signifie que, pour agir ou transformer la nature, il convient d'en connaître les mécanismes.

Ce n'est pas, par exemple, en rêvant comme Icare au vol des oiseaux que l'homme a pu s'élever dans les airs mais en dégageant les lois de la physique.

Bacon rompt ici avec une attitude purement passive et contemplative de la Nature qui était le propre des Anciens. Descartes reprend ici l'idéal de Francis Bacon' tel qu'il s'exprime en particulier dans l'Instauratio magna par la célèbre formule de celui-ci : « l'homme ne commande à la nature qu'en lui obéissant ».

La soumission à l'expérience est bien la base de la science, comme la science est la condition de la puissance et, en ce sens, le dessein de Descartes rejoint l'idéal baconien, encore que le rôle de l'expérience dans la construction de la science y soit bien différent.

En outre, comme le disait Bacon lui-même, il n'est que le héraut de la méthode expérimentale, alors que Descartes se dit en possession d'une méthode infaillible pour atteindre la vérité et par là même se donner un pouvoir entier sur la nature, pourvu qu'il en ait le temps et qu'il en trouve les moyens, c'est-à-dire le concours des savants qui institueront avec lui les expériences décisives. Mais ce qui fait pour nous la valeur unique de ce texte, c'est que Descartes y déclare l'avènement d'une technique nouvelle, radicalement différente dans son esprit de la technique des arts et métiers.

Lucidité et clairvoyance qui n'ont rien à voir avec une divination ou une prophétie.

Il n'existait jusqu'ici qu'une technique d'outils qui utilise la force musculaire de l'homme et dont l'efficacité est faite de rencontres le plus souvent aussi fortuites qu'heureuses.

Ce que la science, c'est-à-dire la physique de Descartes, va rendre possible, c'est, pour l'utilité de la pratique, la substitution des forces naturelles à la force musculaire.

Descartes n'ignorait pas que l'homme avait mis certaines de ces forces à son service et dans le Discours comme dans sa Correspondance il se plaît à parler des prodiges que peuvent réaliser des automates.

Il ne faut pas oublier non plus que sa théorie des animaux-machines réduit la vie au mécanisme d'automates, les organes des vivants étant seulement beaucoup plus complexes et subtils que les pièces des automates.

Mais c'est l'utilisation générale des forces naturelles que Descartes envisage.

La science va permettre de connaître le système total de la nature et l'homme aura par conséquent sur elle un pouvoir sans limites.

Cette nouvelle technique, c'est ce que nous appelons la science appliquée, génératrice de notre monde industriel. La prévision de Descartes s'affirme avec une assurance tranquille.

Jusque-là, l'homme était en lutte avec la nature et il s'y révélait souvent le plus faible.

Le xixe siècle dira encore, sous l'influence du transformisme de Lamarck et de Darwin, que l'homme s'adapte à la nature.

La hardiesse de Descartes, c'est de le proclamer en 1637 maître et possesseur de la nature.

Maître de la nature jusque dans sa vie même, car Descartes ne doute guère que la science ne le mette en mesure de surmonter l'affaiblissement de la vieillesse.

La médecine eut d'ailleurs toujours une place prépondérante dans l'esprit de Descartes, qui écrivait au marquis de Newcastle en octobre 1645 : «La conservation de la santé a été de tout temps le principal but de mes études ».

Il faut surtout rappeler que quand Descartes, dans la lettre-préface des Principes, dresse l'arbre de la philosophie, si la métaphysique en constitue les racines et la physique le tronc, les trois sciences principales qui sortent de ce tronc sont la Mécanique, c'est-à-dire les sciences physiques appliquées, la Médecine et enfin la Morale, et notre texte indique nettement que la médecine est la clef de la sagesse. Reste un point à éclairer.

Descartes se présente ici comme investi d'une mission et d'un devoir.

Comme le note justement Étienne Gilson, si l'illumination du 10 novembre 1619 sur l'unité du système des sciences avait révélé à Descartes sa vocation philosophique, c'était une aventure personnelle et secrète'.

Ce fut le cardinal de Bérulle qui, en 1628, fit à Descartes une obligation de conscience de promouvoir la science et de contribuer au bien général.

Sa vie de retraite en Hollande, ses changements fréquents de résidence, montrent assez que ce. »

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