DESCARTES
Extrait du document
«
La seule résolution de se défaire de toutes les opinions qu'on a reçues auparavant en sa
créance, n'est pas un exemple que chacun doive suivre, et le monde n'est quasi composé
que de deux sortes d'esprits auxquels ils [...] ne conviennent aucunement.
A savoir, de
ceux qui, se croyant plus habiles qu'ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leur
jugement, ni avoir assez de patience pour conduire par ordre toutes leurs pensées : d'où
vient que s'ils avaient une fois pris la liberté de douter des principes qu'ils ont reçus, et de
s'écarter du chemin commun, jamais ils ne pourraient tenir le sentier qu'il faut prendre pour
aller plus droit, et demeureraient égarés toute leur vie.
Puis de ceux qui, ayant assez de
raison, ou de modestie, pour juger qu'ils sont moins capables de distinguer le vrai d'avec le
faux que quelques autres par lesquels ils peuvent être instruits, doivent bien plutôt se
contenter de suivre les opinions de ces autres, qu'en chercher eux-mêmes de meilleures.
DESCARTES
POUR DÉMARRER
Peu de gens sont capables de décider de tout remettre en question, de pratiquer le doute
méthodique : car la plupart sont soit des impatients sans méthode, qui jugent trop rapidement, soit des faibles ou des
modestes qui suivent les opinions des autres.
Tel est le constat pessimiste auquel se livre ici Descartes, qui nous dit
que le progrès de la pensée par la méthode est hors de la portée du commun des mortels.
CONSEILS PRATIQUES
L'examen détaillé du vocabulaire de Descartes est indispensable pour bien saisir la portée de ce texte très dense.
Se
défaire de toutes les opinions, précipiter leur jugement, conduire par ordre toutes leurs pensées, pris la liberté de
douter des principes qu'ils ont reçus (les hommes préfèrent en général suivre le chemin tracé par les opinions connues,
chemin qui emprisonne leur pensée : s'en écarter, c'est se délivrer, acquérir sa liberté), tenir le sentier qu'il faut
prendre pour aller plus droit (Descartes fait ici allusion à sa méthode destinée à permettre l'exercice de la pensée,
laquelle est difficile à suivre et constitue donc une voie étroite: autant d'expressions qui se réfèrent à la philosophie
cartésienne et qu'il faut approfondir.
Introduction :
Ce extrait de la Second partie du Discours de la méthode de Descartes semble pour le moins paradoxale
puisqu’il apparaît au premier abord comme une remise en cause de la valeur et de la fécondité cognitive et épistémique
du doute notamment mis en scène dans les Méditations métaphysiques.
Mais bien moins qu’un paradoxe, nous sommes
au cœur du projet cartésien de l’institution d’une méthode scientique.
Ainsi le doute lui-même ne saurait nous satisfaire
ou nous rendre certain d’une chose.
Il faut donc une méthode appropriée que développera Descartes dans la suite
directe de ce texte.
L’extrait s’articule logiquement alors en trois moments : le retour sur la méthode (1 ère partie : du
début du texte à « deux sortes d'esprits auxquels ils [...] ne conviennent aucunement »), le cas de l’homme pressé
(2nd partie : de « A savoir, de ceux qui, se croyant plus habiles qu'ils ne sont » à « et demeureraient égarés toute leur
vie ») ; enfin le cas de différence d’invention de la vérité (3ème partie : de « Puis de ceux qui, ayant assez de raison,
ou de modestie » à la fin du texte).
C’est suivant ces trois moments que nous entendons rendre compte du texte.
I – Retour sur la méthode
a) La référence à la « seule résolution de se défaire de toutes ses opinions » fait référence inexorablement à la
méthode du doute cartésien tel qu’il a été développé dans les Méditations métaphysiques produisant le non moins
célèbre cogito, sum que ce texte reprendra dans la formulation : cogito ergo sum.
La méthode du doute a pour objet
de ne reconnaître comme vrai que ce qui est clair et évident par soi, c’est-à-dire de rechercher le point de départ de
toutes les sciences, de pouvoir découvrir la pierre de touche sur laquelle fonder l’ensemble de la connaissance
humaine.
En ce sens, il convient de se séparer de l’opinion ou de tout ce que l’on peut douter.
Les préjugés de
l’enfance sont ainsi nos plus grandes sources d’erreurs.
C’est en ce sens que l’on peut parler de doute hyperbolique.
L’opinion comme les sens n’ont pas une réelle fécondité cognitive et gnoséologique.
De même, le dogmatisme
scholastique est aussi une source d’erreur.
C’est ce qui explique la démarche de Descartes de remettre en question
tout le savoir qu’il a cru valide, c’est-à-dire qu’il avait en créance.
b) Pourtant, ce qu’il y a de singulier ici, c’est que Descartes ne nous enjoint pas à suivre son exemple ce qui semble.
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