DESCARTES
Extrait du document
«
"Je remarque aussi que la grandeur d'un bien, à notre égard, ne doit pas
seulement être mesurée par la valeur de la chose en quoi il consiste, mais
principalement aussi par la façon dont il se rapporte nous ; et qu'outre que le
libre arbitre est de soi la chose la plus noble qui puisse être en nous,
d'autant qu'il nous rend en quelque façon pareils à Dieu, et semble nous
exempter de lui être sujets et que par conséquent, son bon usage est le plus
grand de tous nos biens, il est aussi celui qui est le plus proprement nôtre et
qui nous importe le plus, d'où il suit que ce n'est que de lui que nos plus
grands contentements peuvent procéder.
Aussi voit-on par exemple que le
repos d'esprit et la satisfaction intérieure que sentent en eux-mêmes ceux
qui savent qu'ils ne manquent jamais à faire leur mieux, tant pour connaître
le bien que pour l’acquérir, est un plaisir sans comparaison plus doux, plus
durable et plus solide que tous ceux qui viennent d’ailleurs." DESCARTES
Lettre à la reine Christine de Suède - Egmond, 20 novembre 1647
[Introduction]
Descartes, dans ce texte très dense et à la composition très serrée, envisage la question de la hiérarchie des
biens en mettant au-dessus de tous le libre arbitre.
S'il est un bien plus grand que tous les autres et propre à
l'homme, c'est en effet celui-ci.
En quoi consiste ce privilège du libre arbitre sur les autres biens, c'est ce à
quoi Descartes s'applique à donner une réponse dans ce passage.
Il s'agit ainsi pour Descartes, après avoir
indiqué comment peuvent s'évaluer des biens, de montrer la primauté du libre arbitre parmi les biens humains,
primauté qui se manifeste par le plaisir dont le libre arbitre est à l'origine.
[I.
Comment déterminer la grandeur d'un bien?]
[1.
La valeur absolue des biens.]
La première façon d'estimer la grandeur d'un bien est de mesurer la «valeur de la chose en quoi il consiste».
C'est la façon la plus immédiate de procéder, qui fait juger de la chose en elle-même et pour elle-même.
C'est
ainsi que la connaissance a plus de valeur que l'ignorance, que le bien d'une nation entière est préférable à
celui d'un simple particulier, qu'une oeuvre d'art de génie vaut plus que celle qui est simplement belle et que les
biens de l'âme sont supérieurs à ceux du corps : nous ne faisons ici que juger selon le degré de perfection de la
chose, qui lui confère une valeur intrinsèque.
[2.
La valeur des biens relativement à nous.]
Descartes propose une seconde façon de mesurer la valeur d'un bien :
«Par la façon dont il se rapporte à nous.» Il ne faut pas comprendre cette expression dans le sens d'un
utilitarisme vulgaire, qui ferait d'un principe hédoniste le critère suprême de l'appréciation des biens.
Ce n'est
pas parce que telle chose m'est plus utile ou plus agréable qu'elle est un plus grand bien pour moi : il faudrait
encore fonder les critères de l'utilité ou de l'agrément.
Il faut en réalité comprendre cette façon de juger
comme reposant sur le principe général de la convenance : est bien pour moi ce qui convient, s'accorde à ma
nature.
Ce qui est considéré, ce n'est plus la perfection propre à chacune des choses dont on mesure la
valeur, mais la perfection que j'acquiers en jouissant de ce bien.
En ce sens, ce qui est un bien pour mon esprit
est préférable à ce qui ne le sera que pour mon corps, puisque je suis un esprit avant d'être un corps, puisque
ma nature est avant tout spirituelle : je suis davantage moi-même si je cultive les facultés de mon esprit, je
m'oublie moi-même si je ne me soucie que de mon corps.
[II.
Le libre arbitre est le plus grand des biens.]
[1.
La grandeur du libre arbitre.]
Descartes affirme aussitôt après cette première remarque que le libre arbitre est, «de soi», le plus grand des
biens: le libre arbitre, c'est-à-dire la liberté de ma volonté, est en effet le plus grand bien absolument parlant;
aucun autre bien, qu'il soit extérieur comme les richesses ou les honneurs, physique comme la force ou la santé
ou même appartienne à l'esprit comme la mémoire ou l'intelligence, ne surpasse le libre arbitre, qui donne à ces
derniers leur prix.
[2.
Le libre arbitre nous fait ressembler à Dieu.]
Cette noblesse du libre arbitre «nous rend, dit Descartes, en quelque façon pareils à Dieu».
Rappelons en effet
que des deux propriétés de notre pensée, la volonté et l'entendement, seule la première est infinie.
Cette
infinité de notre volonté ou de notre libre arbitre nous rend en ce sens semblables à Dieu, dont tous les
attributs sont infinis, à cette réserve près que, faute d'un entendement infini qui nous permettrait de nous.
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