DESCARTES
Extrait du document
«
[...] obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la
religion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance, et
me gouvernant, en toute autre chose, suivant les opinions les plus
modérées, et les plus éloignées de l'excès, qui fussent communément
reçues en pratique par les mieux sensés avec lesquels j'aurais à vivre.
[...]
Et entre plusieurs opinions également reçues, je ne choisissais que les plus
modérées : tant à cause que ce sont toujours les plus commodes pour la
pratique, et vraisemblablement les meilleures, tout excès ayant coutume
d'être mauvais; comme aussi afin de me détourner moins du vrai chemin, en
cas que je faillisse, que si, ayant choisi l'un des extrêmes, c'eût été l'autre
qu'il eût fallu suivre.
[...] être le plus ferme et le plus résolu dans mes actions que je pourrais, et
ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque
je m'y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées.
Imitant en ceci les voyageurs qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne
doivent pas errer en tournoyant, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, ni
encore moins s'arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu'ils peuvent vers un même
côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n'ait été au commencement que le
hasard seul qui les ait déterminés à le choisir : car, par ce moyen, s'ils ne vont justement où ils
désirent, ils arriveront au moins à la fin quelque part, où vraisemblablement ils seront mieux que dans
le milieu d'une forêt.
Et ainsi les actions de la vie ne souffrant souvent aucun délai, c'est une vérité
très certaine que, lorsqu'il n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous
devons suivre les plus probables ; et même, qu'encore que nous ne remarquions point davantage de
probabilité aux unes qu'aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer à quelques-unes, et les
considérer après, non plus comme douteuses, en tant qu'elles se rapportent à la pratique, mais
comme très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait déterminer se trouve telle.
[...] tâcher toujours à me vaincre, que la fortune, et changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde;
et généralement, m'accoutumer à croire qu'il n'y rien qui soit entièrement en notre pouvoir, que nos
pensées [...] faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher
à faire choix de la meilleure ; [...] employer toute ma vie à cultiver ma raison...
Avant d'être en possession des fondements de sa métaphysique, Descartes se forme une « morale par provision
», « afin, écrit-il, que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions pendant que la raison m'obligerait de
l'être en mes jugements ».
La philosophie de Descartes semble habitée par deux conceptions concurrentes, mais pas exclusives, de la
rationalité propre à l'action.
D'une part, la volonté doit se soumettre à la raison.
Les Règles pour la direction de
l'esprit recommandent « d'accroître la lumière naturelle de la raison, non pour résoudre telle ou telle difficulté
d'école, mais pour que, dans chaque circonstance de ma vie, mon entendement montre à ma volonté ce qu'il
faut choisir ».
Le Discours de la méthode surenchérit : « apprendre à distinguer le vrai d'avec le faux, pour voir
clair en mes actions et marcher avec assurance en cette vie ».
L'action bonne doit découler du jugement droit
; « notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose, que selon que notre entendement la lui
présente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu'on puisse pour faire
aussi tout notre mieux ».
Une telle conception place la détermination principale de l'action dans la raison, dont
la volonté n'est que le relais ou le reflet pratique.
Mais une autre conception, plus favorable au primat de la volonté, travaille Descartes : « il nous est toujours
loisible de renoncer à poursuivre un bien clairement connu, ou à admettre une vérité évidente, pourvu
seulement que nous estimions bon d'attester par là la liberté de notre arbitre » (à Chanut, 9 février 1645).
La
raison n'est donc pas invincible à la volonté.
Dans l'extrait proposé du Discours de la méthode, c'est la première
conception qui l'emporte, mais l'affirmation du caractère absolu de la volonté y constitue également de bonnes
raisons d'agir.
Le conformisme que semble ici professer Descartes n'est qu'apparent.
Obéir aux lois, suivre les opinions les plus
modérées, en se fondant sur l'observation de la pratique : tout cela, Descartes le fait résolument, avec
constance, fermeté même.
Et non sans raison.
Le choix de la modération répond à un calcul.
Devant faire face
à l'urgence de l'action, je dois me résoudre.
Au moins puis-je me résoudre au parti qui m'éloigne le moins du «
vrai chemin » que je ne connais pas encore.
Mais cette résolution de modération n'est pas modérée.
C'est une
ferme et constante direction que j'imprime à ma vie.
Là encore, un
calcul intervient.
Tant que je suis privé des repères nécessaires à une action conforme au bien et à la vérité,
seules la rectitude, la cohérence, la constance de mon action rendent possibles une orientation ultérieure.
C'est donc la résolution de ma volonté qui, en l'absence de discernement, qui tient lieu de repère provisoire de
vérité.
Faute d'une directive rationnelle, il me reste à choisir et surtout à maintenir la direction à suivre.
Ma
résolution a le pouvoir de transformer le probable, le douteux, le hasard en détermination.
Cette détermination n'est pas pour autant un caprice arbitraire.
C'est un véritable exercice spirituel, un.
»
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