DESCARTES
Extrait du document
«
Il y a bien des choses que nous rendons plus obscures en voulant les définir, parce
que, comme elles sont très simples et très claires, nous ne pouvons mieux les
connaître ni les percevoir que par elles-mêmes.
Bien plus, il faut mettre au nombre
des principales erreurs qui se puissent commettre dans les sciences, l'erreur de
ceux qui veulent définir ce qui doit seulement être conçu, et qui ne peuvent pas
distinguer les choses claires des choses obscures, ni discerner ce qui, pour être
connu, exige et mérite d'être défini de ce qui peut très bien être connu par soimême.
Je ne crois pas, en effet, qu'il y ait eu jamais personne d'assez stupide pour avoir
besoin d'apprendre ce que c'est que l'existence avant de pouvoir conclure et
affirmer qu'il existe.
Il en est de même pour le doute et pour la pensée.
J'ajoute
même qu'il est impossible d'apprendre ces choses autrement que par soi-même et
d'en être persuadé autrement que par sa propre expérience et par cette
conscience ou par ce témoignage intérieur que chacun trouve en lui lorsqu'il se livre
à un examen quelconque.
Si bien que, tout de même qu'il est inutile de définir le
blanc pour faire comprendre ce que c'est, pour savoir ce que c'est que le doute, et
la pensée, il suffit de douter et de penser.
Cela nous apprend tout ce que nous pouvons savoir à cet égard et
même nous en dit plus que les définitions les plus exactes.
Introduction
Toute science gagnerait, semble-t-il, en rigueur, si elle commençait par définir les notions qu'elle utilise.
À cet
égard, les mathématiques fournissent un exemple très encourageant : la définition contribue à leur exactitude.
Or, dans ce texte, Descartes montre que certaines choses ne peuvent être définies, ou même ne doivent pas
l'être, sous peine d'être rendues plus obscures.
S'il en est ainsi, c'est que ces choses font l'objet d'une
expérience intérieure qui se passe du langage.
C'est donc, d'une manière générale, à travers le problème précis
de la définition, la question des rapports de la pensée et du langage qui est
posée.
A.
Explication
I.
Il y a des choses qu'on ne peut ni ne doit définir.
1.
« Des choses ».
Des choses, et non pas toute chose.
Descartes n'est pas contre le fait de définir, mais ce qui fait l'intelligence
d'un esprit, c'est sa capacité à savoir distinguer les cas où il faut définir et ceux où il ne le faut pas (I.
9-11).
Il ne faut pas définir les choses qui sont « très simples et très claires ».
2.
« Très simples ».
— Le simple s'oppose au complexe, au composé.
Ce qui est composé peut être défini, car la définition va le
décomposer en ses éléments constituants.
Exemple : « L'homme est un animal raisonnable » : la définition ramène une notion complexe aux deux éléments
qui la composent.
— Cette décomposition ne peut aller à l'infini.
Au bout du compte, on doit bien finir par tomber sur des
éléments eux-mêmes indécomposables : ce sont des éléments simples.
Ces éléments ne peuvent alors être
définis, car alors on les définirait :
• soit par des éléments complexes: mais on ne peut définir le complexe par le simple, et le simple par le
complexe, sans tourner en rond !
• soit par des éléments simples, mais alors si le simple est encore décomposable en éléments plus simples, il
n'est pas vraiment simple.
Au fondement de la possibilité de toute définition, existent donc des éléments
indéfinissables.
Ils servent à expliquer toute chose, mais eux-mêmes ne peuvent être expliqués par rien.
— Le simple est connu « par soi-même » (1.4 et 11), et non par référence à autre chose que soi.
Définir, en
revanche, c'est toujours expliquer une chose par une autre.
Ce qui est défini est donc connu par autre chose
que soi.
3.
«Très claires ».
— Le mot «clair» est une métaphore empruntée aux choses sensibles : quand un objet est dans la lumière, il
est visible.
De même, il existe une clarté et une obscurité dans la connaissance intellectuelle.
Peut-on définir la
clarté? Elle paraît au contraire faire partie de ces notions indéfinissables, car toute définition de la clarté la
présupposerait encore.
Elle viserait en effet à éclaircir cette notion.
Or, pour reconnaître qu'une notion est
éclaircie, il faut savoir ce qu'est la clarté.
— Si une chose est claire, en la définissant, j'interpose entre elle et moi une définition qui la voile.
À la
présence de la chose, je substitue des mots, des signes qui désignent la chose.
L'esprit s'éloigne ainsi de la.
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