Démocratie et violence en côte d'ivoire: contribution à l'émergence d'une société nouvelle
Publié le 09/07/2022
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«
RÉSUMÉ
Depuis l’ouverture de l’espace politique ivoirien à la démocratie dans la
dernière décennie du vingtième siècle, la Côte-d’Ivoire est constamment prise
dans un cycle de violence.
Si plusieurs raisons peuvent expliquer cette
fébrilité politique, il faut surtout y voir le résultat d’une confusion entre les
notions de démocratie et république.
Aussi, l’éducation et la formation du
peuple ivoirien à une science politique nouvelle devrait-elle lui permettre de
reconsidérer la notion-même de démocratie et contribuer significativement à
l’apaisement du climat sociopolitique ivoirien.
Mots clés
Violence, Démocratie, République, Science politique nouvelle, Dynamique
historique,
ABSTRACT
Since the opening of the Ivorian political space for democracy in the last
decade of the twentieth century, the Ivory Coast is constantly caught in a
cycle of violence.
If several reasons for this political excitement, we must
above all see the result of confusion between the concepts of democracy and
republic.
Also, the education and training of the Ivorian people to a new
political science should enable it to reconsider the very notion of democracy
and contribute significantly to the appeasement of the Ivorian socio-political
climate.
Keywords
Violence, Democracy, Republic, new political science, historical
dynamics,
86 REVUE SCIENTIFIQUE DU CERPHIS, N°017-2016
INTRODUCTION
L’histoire des idées politiques révèle que la problématique à laquelle est
confrontée l’humanité est comment rejeter la violence de la sphère sociale ou
comment la canaliser durablement afin de faire du vivre ensemble une réalité
apaisée.
C’est dans cette perspective que la démocratie se présente
aujourd’hui comme une panacée à l’injustice et au désordre.
Toutefois, en
Afrique en général et en Côte-d’Ivoire en particulier, la réalité est toute autre.
L’introduction de la démocratie dans le jeu politique ivoirien semble être
paradoxalement l’ouverture de cette scène à la violence.
Par exemple, du
boycott actif de la présidentielle par une frange de la population en 1995 à la
grave crise post-électorale de 2011, la barbarie s’érige progressivement en
mode d’expression et de revendication des différentes tendances sociales,
politiques, idéologiques.
Cette omniprésence de la violence dans le jeu
démocratique ivoirien atteint ses pics principalement en période électorale.
Or la Côte d’Ivoire est une nouvelle fois encore engagée dans une phase de
renouvellement de ses institutions politiques ; d’où notre intérêt pour le sujet
démocratie et violence en Côte d’Ivoire : contribution à l’émergence d’une
société nouvelle.
Plusieurs travaux ont porté sur le sujet.
Par exemple, S.
Z.
Zahiri (2006, p.
13) y porte des regards religieux.
« Ces regards, écrit-il, sont
conduits et éclairés par les rayons lumineux de la parole vivante de Dieu, la
lumière qui éclaire nos sentiers ».
Certes, il estime que la violence
sociopolitique ivoirienne est le prolongement de la « crise née de la résistance
contre le colon » (S.
Z.
Zahiri, 2006, p.
12).
Toutefois, il insiste sur le secours
divin comme la seule solution de sortie à cette crise.
C’est pourquoi, prévientil, « nous n’avons pas d’autres choix que de recourir à lui » (S.
Z.
Zahiri, 2006,
p.
221).
Au-delà de l’approche religieuse, Denis Maugenest opte pour une solution
socio-psychologique.
Ainsi, après avoir indiqué le manque d’identité
nationale ancienne et les flux migratoires incontrôlés comme les principaux
facteurs de la difficile sortie de crise, il préconise d’ « arrêter le pouvoir des
rues, mettre fin aux exodes des uns et des autres, rétablir les relations entre
Jean Dalougou DJAZE : Démocratie et violence en Côte d’Ivoire … P.84-105 87
les communautés, refaire un minimum d’unité nationale entre régions qui
n’avaient pas, au moins, renoncé à en poursuivre le projet » (D.
Maugenest,
2002, p.2).
Cette démarche, pense-t-il, pourrait contribuer à apaiser le climat
sociopolitique et assainir les relations intersubjectives, encore fortement
influencées par « bien des réserves mentales (qui) habitent encore de nombreux
cœurs et de nombreux esprits » (D.
Maugenest, 2002, p.2).
C’est bien dans
cette perspective que Maugenest nourrit l’espoir d’une société ivoirienne
nouvelle qui retrouve l’estime et la reconnaissance internationale.
Il écrit
d’ailleurs à ce propos que « quand la Côte d’Ivoire aura ainsi rétabli son entière
dignité, à ses propres yeux comme aux yeux des nations, elle pourra alors
revendiquer de s’être constituée en une véritable démocratie » (D.
Maugenest,
2002, p.2).
Les approches religieuses et socio-psychologiques ont toutes leur
importance dans la résolution de la crise ivoirienne.
Toutefois, très peu de
personnes insistent sur la nécessité de l’éducation et de la formation politique
des populations à l’établissement progressif et irréversible de la démocratie.
Et pourtant, « instruit de ses vrais intérêts, le peuple comprendrait que pour
profiter des biens de la société, il faut se soumettre à (…) l’influence qu’exerce
(…) l’égalité des conditions et le gouvernement de la démocratie sur la société
civile », observe Alexis de Tocqueville (1961, pp.45-52).
D’ailleurs, ce denier
auteur pourrait « nous aider à penser notre temps » (J.-P.
Peter, 1963, 43).
En
effet, il nous inspire des approches nouvelles et des solutions novatrices aux
questions de la stabilité de nos Etats et du bien-être des populations.
Car
c’est « un penseur politique dont l’importance ne le cède qu’à Marx » (J.-P.
Peter, 1963, 43) ; et que « même hésitante, sa pensée nous concernerait
encore.
Mais elle est ferme » (J.-P.
Peter, 1963, 43).
Dans la perspective Tocquevillienne, la démocratie est une réalité
humaine qui s’impose à chaque peuple.
Elle est une exigence imprescriptible.
Ce dernier observe d’ailleurs que
Une grande révolution démocratique s’opère parmi nous.
Tous
la voient mais tous ne la jugent point de la même manière.
Les
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uns la considèrent comme une chose nouvelle, et, la prenant
pour un accident, ils espèrent pouvoir encore l’arrêter ; tandis
que d’autres la jugent irrésistible, parce qu’elle leur semble le
fait le plus continu, le plus ancien et le plus permanent que l’on
connaisse dans l’histoire (A.
de Tocqueville, 1961, p.
38).
Toutefois, les coups d’Etats, les rebellions et les guerres observées çà et
là en Afrique semblent justifier la position de certains observateurs de la vie
politique de ce continent selon laquelle l’Afrique ne serait pas prête pour la
démocratie.
En effet, pense Biléou Sakpane-Gbati (2011, vol 13), «
L’édification d’une véritable démocratie est mise à mal par la persistance de
considérations tribales, ethniques ou encore claniques ».
Et pourtant, en dépit
des dispositions juridico-institutionnelles qui font de nos Etats des
Républiques, c’est l’exigence de la démocratie qui est aujourd’hui, aussi bien
le critère de légitimation internationale des pouvoirs politiques africains, que
la condition des aides et autres assistances que la communauté
internationale porte à l’Afrique.
« C’est ainsi que, comme les autres ex-colonies
françaises d’Afrique subsaharienne, la Côte d’Ivoire a été invitée, le 20 juin
1990 à La Baule, à s’engager dans un processus démocratique» (C.
Bouquet,
2007, 894).
D’ailleurs la plupart des pays africains dont la Côte d’Ivoire sont
comptés au rang des pays pauvres très endettés ; ce qui fait d’eux des Etats
tributaires de l’aide internationale ; d’où la nécessité pour l’Etat ivoirien de
reconsidérer son rapport à la démocratie.
En effet, comment vivre sans larme
ni goutte de sang l’expérience démocratique en Côte-d’Ivoire ? Ainsi, qu’estce qui a manqué à l’expérience ivoirienne au point de faire le lit de la
violence ? Enfin, à une étape où tant de jeunes Etats se construisent et
s’efforcent de donner corps à leur nation, il nous revient que c’est la
démocratie qui a permis de créer la nation américaine.
« Dès lors, si les
promoteurs de ce nationalisme priorisent l'accès démocratique au statut d'État
indépendant, ils en faussent le processus au point tel que nombre de futurs
citoyens et de futures citoyennes ne se perçoivent pas sur un pied d'égalité
avec les membres de cette « nation » » (C.
Bariteau, 2014, pp.
214-227).
Aussi,
ne serait-il pas judicieux de mettre de l’avant la formation des ivoiriens à
Jean Dalougou DJAZE : Démocratie et violence en Côte d’Ivoire … P.84-105 89
« une science politique nouvelle » (A.
de Tocqueville, 1961, p.34) dans la
perspective d’une société nouvelle fondée sur ‘‘l’égalité des conditions’’ et
propre à éviter le piège des replis identitaires ?
Notre objectif principal est de procéder à un renversement de perspective
qui consiste à partir de la démocratie pour en arriver à la république et non
plus partir de la république pour espérer un état démocratique.
Ce faisant, il
nous sera loisible de comprendre ce qu’est réellement un Etat démocratique
et comment la confusion entre démocratie et république met dangereusement
à mal la paix sociale aujourd’hui en Côte-d’Ivoire.
Espérant ainsi
appréhender l’une des causes profondes de la crise ivoirienne, nous
montrerons la nécessité de former les populations ivoiriennes à une science
politique nouvelle dans la perspective d’un nouvel Etat bâti sur les
fondements de véritables valeurs démocratiques.
Aussi, la méthode historico-analytique inspirée du système de pensée
d’Alexis de Tocqueville serait-elle indiquée dans une telle démarche.
Cette
méthode ne consiste pas simplement à pouvoir brosser à grands traits
l’histoire des sociétés.
Tout en recueillant les données historiques, il s’agit
plutôt de les analyser rigoureusement afin de ressortir l’intelligibilité à
l’œuvre dans le devenir historique des sociétés en général et particulièrement
de la Côte-d’Ivoire.
La démarche consiste donc à produire des connaissances
apodictiques sur la base de la validation des idées par des preuves
empiriques.
Cette méthode en appelle au triptyque suivant : d’abord, il s’agit
de dénoncer l’assimilation de la république à la démocratie comme source de
la violence politique en Côte-d’Ivoire.
Ensuite, sur la base de la pensée
politique de Tocqueville, nous exposerons le sens réel de la démocratie.
Enfin,
nous verrons les conditions de la réalisation de la société nouvelle à laquelle
aspire la Côte d’Ivoire dans sa volonté d’émergence dans la décennie avenir.
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1 – DE LA CONFUSION ENTRE RÉPUBLIQUE ET DÉMOCRATIE COMME
SOURCE DE LA VIOLENCE POLITIQUE EN CÔTE D’IVOIRE
Le parcours de la constitution ivoirienne (Loi n°2000-513 du 1er Août
2000) révèle que la Côte-d’Ivoire proclame son attachement
à la légalité constitutionnelle et aux institutions démocratiques,
la dignité de la personne humaine, aux valeurs culturelles et
spirituelles.
(…) son adhésion aux droits et libertés tels que
définis dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme
de 1948 et dans la charte africaine des droits de l’Homme et
des peuples de 1981, exprime son attachement aux valeurs
démocratiques reconnues à tous les peuples libres.
Ainsi, les constitutionnalistes ivoiriens ramènent le principe de la
souveraineté au peuple.
Ils énoncent d’ailleurs à l’article 31 de la constitution
que « la souveraineté appartient au peuple » (Loi n°2000-513 du 1er Août
2000).
Aussi l’exercice de la souveraineté populaire est-elle inscrite dans le
système représentatif puisque « le peuple exerce sa souveraineté par ses
représentants et par la voie du référendum » (Loi n°2000-513 du 1er Août
2000, article 32).
Ce système est animé par une compétition entre
groupements politiques pour l’obtention, la gestion et la conservation du
pouvoir d’Etat ; lequel pouvoir se décline en pouvoir législatif, exécutif et
judiciaire.
Une première approche analytique de cette constitution montre la volonté
des autorités politiques ivoiriennes de donner à l’Etat des institutions
démocratiques.
Néanmoins, proclamer son attachement aux principes de la
démocratie ne suffit pas à faire d’un Etat une démocratie ; car l’application
des principes de la démocratie résulte de leur interprétation.
Or, toute
interprétation est toujours subjective et tendancieuse.
D’où, « dans plusieurs
cas, ces principes restent plutôt théoriques que pratiques » (K.
Goa, 2014,
p.52.).
Aussi, pour pallier à cette insuffisance, l’origine populaire du pouvoir
politique est affirmée dans le texte constitutionnel.
Jean Dalougou DJAZE : Démocratie et violence en Côte d’Ivoire … P.84-105 91
Toutefois, proclamer la souveraineté du peuple ne signifie pas qu’il est
nécessairement conscient de ce pouvoir et qu’il l’exerce effectivement comme
il se doit.
En effet, les conditions de la souveraineté démocratique exigent le
rassemblement et l’expression du peuple sur un sujet d’intérêt commun.
C’est d’ailleurs ce que corroborent J.
Boulad-Ayoub et P.-M.
Vernes (2007, p.
44) pour qui, « les individus doivent se rassembler et s’exprimer sur un sujet
d’intérêt commun.
Le peuple propre à la législation et à l’éclosion d’une
authentique volonté générale doit avoir un territoire assez borné et un chiffre
de population assez restreint pour que tous se rencontrent en un lieu et forgent
en commun leurs lois ».
Or la plupart des sociétés contemporaines dont la
Côte d’Ivoire sont caractérisées par un vaste territoire et une population
nombreuse dont on ne saurait recueillir efficacement les avis individuels.
Mieux, la paupérisation grandissante de la société ivoirienne et la recherche
des soins matériels de la vie constituent assurément un point de divergence
d’intérêts des populations ivoiriennes.
En effet, la Côte d’Ivoire est comptée
au rang des pays pauvres très endettés ; et la préoccupation quotidienne des
ivoiriens est de s’assurer le minimum vital, ce qui peut les éloigner de plus
en plus de la politique.
Pire, la récupération et l’instrumentalisation des
souffrances des masses populaires, la manipulation de leurs revendications
les infantilise.
Or quelle compréhension réelle pourrait avoir un enfant de la
souveraineté ? De cela, il serait loisible de dire avec J.
Boulad-Ayoub et P.-M.
Vernes (2007, p.
44) que « le peuple souverain est encore à naître ».
La simple
notion de souveraineté ne saurait suffire pour parler de démocratie ; pas plus
que le système représentatif n’est la marque de la démocratie.
En effet, l’inadéquation entre la démocratie et le système représentatif
tient d’abord du paradoxe à l’œuvre dans la représentation; car si la
législation ivoirienne postule que le peuple exerce sa souveraineté par ses
représentants, rien ne garantit l’effectivité de l’expression de cette
souveraineté populaire par les élus.
J.
Boulad-Ayoub et P.-M.
Vernes (2007,
p.
12) ne disent pas autre chose lorsqu’elles écrivent que « la volonté exprimée
par les représentants n’est pas censée être la leur mais celle du peuple.
En
réalité, si le peuple a une volonté, comment s’assurer que celle-ci est exprimée
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par les représentants puisqu’on ne connaît cette volonté du peuple que par celle
des représentants ? ».
C’est pour avoir compris ce paradoxe du système
représentatif que Rousseau dénie aux humains la capacité de se gouverner
démocratiquement.
Il précise d’ailleurs que « s’il y avait un peuple de dieux,
ils se gouverneraient démocratiquement.
Un gouvernement si parfait ne
convient pas à des hommes » (J.-J.
Rousseau, 2016, p.
59).
Pour insister sur
cette inadéquation, J.
Boulad-Ayoub et P.-M.
Vernes (2007, p.41) reprennent
les propos du penseur genevois selon lesquels « les mots ne font rien aux
choses et quand un peuple a des chefs qui gouvernent pour lui, quelque nom
que portent ces chefs, c’est toujours une Aristocratie ».
L’incompatibilité entre
la démocratie et le système représentatif prend également appui sur la double
problématique du sens réel des élections et des partis politiques.
Aujourd’hui, en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier, la
conception des élections comme compétitions pacifiques entre des projets de
société a fait place à un simple « acte de nomination de personnalités » (P.
Rosanvallon, 2011, PP.
335-347.).
L’identification au groupe socio-culturel
du candidat devient de plus en plus le mobile du choix politique des
électeurs.
Dans ces conditions, la vocation des partis politiques à penser des
projets de société et des programmes de gouvernement fait place à une
vocation de « machines à présenter des candidats » (P.
Rosanvallon, 2011, PP.
335-347.).
Cette réalité ne fait ni du vote ni de la diversification des tendances
politiques, des preuves de démocratie.
C’est pourquoi, pense Pierre
Rosanvallon, le changement de nature des partis politiques suite au
changement de nature des élections devrait plutôt se faire et se comprendre
dans le cadre de la recherche d’une dynamique démocratique.
Il précise
d’ailleurs que « les partis politiques ont changé de nature parce que l’élection a
changé de nature » (P.
Rosanvallon, 2011, PP.
335-347.).
Cela sous-entend
d’abord qu’il faut dissocier le changement du sens des élections de toute
ethnicité et de tout régionalisme.
C’est ensuite exprimer le souci permanant
d’imaginer de nouvelles médiations entre l’Etat et la société qui favoriseraient
la création de nouvelles institutions et des pratiques novatrices propres à la
vitalité de la démocratie.
Aussi, dans le cadre du changement progressif de
Jean Dalougou DJAZE : Démocratie et violence en Côte d’Ivoire … P.84-105 93
paradigmes de la démocratie, le sens et la pratique de la souveraineté
populaire, du système représentatif, des élections et autres groupements
politiques devraient-ils évoluer afin d’éviter de se muer dans un
républicanisme béat ; car souligne Jean-Jacques Rousseau, la démocratie
est bien différente de la république.
S’accordant avec la position de Rousseau,
J.
Boulad-Ayoub et P.-M.
Vernes (2007, p.
42) reprennent les propos du
philosophe : « Je n’entends pas par ce mot (République), écrit-il, une
Aristocratie ou une Démocratie ».
Selon le Vocabulaire technique et critique de la philosophie, la démocratie
serait l’«Etat politique dans lequel la souveraineté appartient à la totalité des
citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou de capacité» (A.
Lalande,
2013).
Il définit la république comme un « Etat, grand corps social, tout Etat
qui n’est pas monarchique » (A.
Lalande, 2013).
Un examen attentif des
définitions proposées par le Vocabulaire technique et critique de la philosophie
met en exergue la constante confusion entre les notions de démocratie et de
république.
Cette confusion pourrait s’expliquer par le rapport intime
entretenue entre ces concepts tout long de l’histoire des idées politiques.
Mais
« le concept de république est, depuis deux à trois siècles, assez stable » (O.
Hammam, Juillet 2007) ; tandis que « celui de démocratie est en perpétuel
évolution, car contrairement au modèle organique qu’est la république, le
modèle structurel qu’est la démocratie évolue en même temps que les
structures sociales évoluent » (O.
Hammam, Juillet 2007).
Cette distinction
n’est pas clairement précisée par les autorités ivoiriennes qui organisent le
pouvoir politique autour d’institutions républicaines dans l’espoir d’obtenir
un régime démocratique.
Certes, les institutions républicaines peuvent
participer à l’instauration d’un Etat démocratique.
Mais nous dit O.
Hammam (Juillet 2007), « la chose est assez claire (…).
La démocratie concerne
avant tout la souveraineté (qui a le pouvoir ?) tandis que la république concerne
l’organisation (comment s’exerce le pouvoir ?) ».
Hammam souligne ici que la
démocratie est un régime politique tandis que la république est l’organisation
du politique.
Le régime politique est le procédé d’identification du lieu
d’émergence du pouvoir politique.
Il s’agit d’identifier l’origine ou la source
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du pouvoir politique.
Ainsi le pouvoir peut par exemple être d’origine divine
(théocratie) ou populaire (démocratie).
Nous avons également l’aristocratie, la
dictature, l’oligarchie, etc.
Ces différents régimes font appel à une
organisation du pouvoir politique.
L’organisation politique peut se
comprendre comme le système qui organise le pouvoir.
C’est l’ensemble des
mécanismes mis en place pour gérer le pouvoir politique.
Comme mécanisme
de gestion du pouvoir, nous avons par exemple la féodalité, l’absolutisme ou
encore la république.
En clair, la république n’est pas la démocratie et inversement.
C’est ce
que conclut O.
Hammam (Juillet 2007) pour qui il est clair que
Il n’y a pas cent mille manières d’organiser une société, il
n’y en a guère que quatre ou cinq, quel que soit le nom qu’on
leur donne, avec une ou deux variantes, alors que la démocratie,
qui est avant tout le débat, la confrontation des idées (et non
des hommes), la discussion, n’a pas de base fixe et se modifie
en même temps que les idées apparaissent et évoluent.
En
outre, le mode de réalisation d’un Etat démocratique est
tributaire de l’état des choses dans telle société, alors que
l’organisation de l’Etat n’en dépend guère, sinon pour des
questions d’efficacité
Ainsi, l’organisation du pouvoir politique et les institutions républicaines
ont leur importance.
Toutefois, elles ne décernent pas la qualité de
démocratie à une société.
En cela, un Etat peut se doter d’institutions
républicaines sans qu’il soit démocratique.
Et la Côte d’Ivoire semble ne pas
échapper à cette confusion.
En effet, la législation ivoirienne n’élucide pas
clairement le sens des deux bases du pouvoir politique que sont le régime
politique et l’organisation politique.
D’abord, le régime politique qui pose la
question de l’origine du pouvoir en Côte d’Ivoire n’est pas explicitement défini.
Certes, la constitution proclame l’attachement du peuple ivoirien aux
principes de la démocratie, Mais rien n’est dit du champ sémantique du
concept.
Ni son sens, ni son contenu ne sont clairement précisés.
Par
Jean Dalougou DJAZE : Démocratie et violence en Côte d’Ivoire … P.84-105 95
conséquent, son application reste incertaine même si l’Etat ivoirien se dote
de textes républicains.
Or, c’est le propre de la république, en tant que
système d’organisation du pouvoir politique, de regrouper des éléments de
divers régimes politiques qui, à priori, s’excluent mutuellement.
Par exemple lorsque, dans sa constitution, le peuple ivoirien affirme son
attachement à la démocratie mais adopte un système républicain par lequel
il attribue ses prérogatives au législatif, à l’exécutif et au judiciaire, il adopte
une démarche anachronique : celle de se reconnaître le droit imprescriptible
de susciter le débat sur des questions d’intérêt national dans la gestion des
biens publiques ; mais d’en laisser le soin à des structures qui ne sont pas
toujours susceptibles de rendre textuellement la volonté populaire.
Ainsi, la
confusion entre république et démocratie met-elle en retrait la prise populaire
de la parole où les velléités pourraient s’exprimer dans la force d’arguments
constructifs ; cette mise en retrait ne peut manquer de propulser la société
dans un état de suspicion généralisée et finalement de violence ouverte.
En
clair, la crise de la démocratie ivoirienne est accentuée par « une faiblesse du
débat public.
Les médias dont le devoir est d’informer l’opinion public se sont
montrés incapables de fournir à l’opinion des informations systématiques (…)
et une grille d’analyse permettant aux citoyens de décrypter les faits et de
disposer d’un cadre de compréhension et d’autonomie dans la formulation des
points de vue » (Gorée institut, 2014, p.
15).
L’historien P.
Rosanvallon (2011,
PP.
335-347.) s’accorde bien avec cette idée quand, répondant à la question
de la violence politique, il soutient qu’« on voit très bien aujourd’hui que la
vitalité de la protestation et de l’expression sociale est beaucoup plus forte
qu’autrefois.
Cependant, elle ne trouve pas ses instruments de construction
dans le temps, elle ne trouve pas ses éléments de construction dans une
stratégie ».
Ainsi pourrait se comprendre l’établissement progressif de la
violence sur la scène sociopolitique ivoirienne depuis plus d’une décennie.
La violence socio-politique en Côte-d’Ivoire résulte de plusieurs facteurs.
Nous avons par exemple la poursuite de la lutte d’émancipation du joug
colonial, comme le souligne Sébastien Zahiri Ziki (Regard sur la crise
ivoirienne à la lumière de la parole de Dieu).
Elle peut se comprendre
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également comme une crise née de la quête d’une identité nationale, selon
Maugenest (De report en report vers la démocratie… ?); ou encore comme le
reflet de la politique impérialiste de l’occident, comme le dénonce Bonnie
Campbell (Frontières de la citoyenneté et violence politique en Côte d’Ivoire).
Mais l’attention devrait être d’avantage attirée sur deux raisons principales.
Il y a d’abord un manque de visibilité claire de ce qui fait la consistance du
pouvoir politique (régime politique et organisation politique).
L’organisation
politique est confondue au régime politique, tout comme la république l’est à
la démocratie.
Ensuite, il y a la question de leur mise en rapport afin que
démocratie et république marchent en accord parfait dans le cadre de
l’édification d’une société ivoirienne aux institutions solides.
Ces problèmes
sont doublés de « l’absence de rôle que les médias ont joué quant à
l’information permettant au citoyen (…) de se faire un opinion claire » (Goree
institut, 2014, p.
15) sur la gestion de la chose publique.
Aussi, est-il
nécessaire de revenir sur la notion de démocratie qui est le régime politique
qu’a choisi la Côte-d’Ivoire, afin de mieux l’appréhender et voir les
mécanismes de sa mise en application paisible.
2 – DU SENS REEL DE LA DEMOCRATIE
Système initié à une période d’effervescence politique et institutionnelle
de la Grèce antique, la démocratie s’appréhende comme le gouvernement
du peuple, par le peuple et pour le peuple.
D’ailleurs l’étymologie grecque du
concept rapporte que dêmos (peuple) et kratos (pouvoir) sont les deux
termes dont il est formé.
Toutefois, procéder par une définition étymologique
nous engagerait dans une impasse car la démocratie est une réalité
complexe, une totalité qui comporte plusieurs aspects.
C’est pourquoi il serait
loisible de l’appréhender à partir de ses caractéristiques essentielles, dans la
perspective de Tocqueville.
Ce dernier a une triple appréhension de la notion de démocratie.
Il
l’appréhende d’abord au plan social.
En accord avec G.
Lefebvre (1957, p.
13)
pour qui « Aucune société n’est stable à aucun égard », Tocqueville soutient
que les sociétés humaines marchent toutes vers une forme nouvelle
Jean Dalougou DJAZE : Démocratie et violence en Côte d’Ivoire … P.84-105 97
caractérisée par l’égalité entre les hommes.
Cette nouvelle forme sociale, il
l’appelle la démocratie ou encore la société démocratique.
Ainsi pour
Tocqueville, la démocratie ne réfère pas d’abord à une organisation politique.
Elle est avant tout « un état social qui peut recevoir plusieurs traductions
politiques » (A.
Amiel, 2002, P.22.).
Avec Tocqueville, la démocratie revêt
d’abord une connotation sociale.
Sur le plan social, la démocratie est
caractérisée par l’égalité des conditions.
Parmi les objets nouveaux qui, pendant mon séjour aux
Etats-Unis, ont attiré mon attention, soutient Tocqueville, aucun
n’a plus vivement frappé mes regards que l’égalité des
conditions.
(…) je voyais de plus en plus dans l’égalité des
conditions, le fait générateur dont chaque fait particulier
semblait descendre (A.
de Tocqueville, 1961, P.
37.).
Loin d’être du socialisme égalitariste, puisque les conditions sociales ne
peuvent être uniformes, l’égalité des conditions est avant tout l’abaissement
progressif et irréversible des barrières élevées entre les hommes.
Cela veut
dire que les hommes ont la même valeur et sont susceptibles de jouir des
mêmes privilèges.
Anne Amiel précise que « le sens fondamental de l’égalité
est la mobilité sociale » (A.
Amiel, 2002, p.
24.).
De cette mobilité sociale
découle l’idée constante que l’on peut perdre ses privilèges ou que l’on peut
en gagner au fil de l’évolution de la société ; car souligne A.
de Tocqueville
(1961, p.41.)
partout on a vu les divers incidents de la vie des peuples
tourner au profit de la démocratie ; tous les hommes l’ont aidé
de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de concourir à ses
succès et ceux qui ne songeaient point à la servir ; ceux qui ont
combattu pour elle, et ceux mêmes qui se sont déclarés ses
ennemis ; tous ont été poussés pêle-mêle dans la même voie, et
tous ont travaillé en commun, les uns malgré eux, les autres à
leur insu.
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Cette dynamique abaisse les barrières entre les classes et rapproche les
hommes les uns des autres.
Ainsi, les individus, au-delà de leurs différences
naturelles (hommes/femmes, jeunes/adultes, enfants/vieillards,
handicapés/bien-portants…) ne sauraient s’accommoder de formes de
dominations sociales ou politiques jugés inappropriées et illégitimes.
Dans
sa forme sociale, la démocratie s’appréhende d’abord comme le
rapprochement inexorable des conditions sociales au point où les positions
sociales ne sont plus héréditaires mais ouvertes à tous (démocratie de fait).
Ensuite elle est caractérisée par l’égalité face à la loi (démocratie de droit).
Le
mouvement évolutif de la société est donc une marche vers l’établissement
de la démocratie sociale.
Dans ce dynamisme, la démocratie migre de sa
forme sociale vers sa forme politique.
La démocratie politique est le second
sens de l’acception tocquevillienne de démocratie.
« Au sens politique, nous
dit Benjamin Kazadi-Shabani, le terme démocratie désigne donc la
souveraineté populaire dans son principe et sa parfaite actualisation » (B.
Kazadi-Shabani, 1999, p.17.).
Le sens politique de la démocratie
tocquevillienne s’accorde avec la notion de souveraineté populaire.
Lorsqu’on veut parler des lois politiques des États-Unis,
soutient Tocqueville, c’est toujours par le dogme de la
souveraineté du peuple qu’il faut commencer.
(…) Le principe de
la souveraineté du peuple qui se trouve toujours plus ou moins
au fond de presque toutes les institutions humaines y demeure
d’ordinaire comme enseveli.
(…) Il devient la loi des lois.
(A.
de
Tocqueville 1961, pp.106-107.).
Dans la perspective tocquevillienne, le dogme de la souveraineté
populaire n’est pas une communauté de volonté qui viserait la constitution
d’une société.
Ce n’est pas non plus un droit sacré qui définirait un cadre
d’expression à tous les autres droits, comme le pense Rousseau pour le
contrat social.
Le dogme de la souveraineté populaire est plutôt une force
imprescriptible à laquelle obéissent les individus et les institutions dans le
sens de la promotion et de la préservation du bien-être social.
‘‘C’est la cause.
»
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