De quoi manque mon désir?
Extrait du document
«
Le désir a longtemps été considéré négativement par la philosophie, notamment par les philosophes antiques.
Les
pythagoriciens y voyaient l'expression de l'attachement au sensible, faisant du corps un tombeau.
En effet,
l'équivalent du mot désir en latin est libido qui peut être l'énergie vitale mais qui est aussi marqué négativement
comme le montre l'adjectif « libidineux » qui caractérise un homme qui n'est attaché qu'à la chair.
Pourtant le désir
est plus ambigu.
Il est difficile d'en découvrir l'origine exacte mais aussi l'objet qui le satisferait.
Pour Platon, le désir
est bien le signe d'un manque.
Mais c'est l'individu qui désir qui manque de quelque chose.
Mon désir lui manque-t-il
d'un objet ? Ne lui permet-il pas plutôt d'exister ?
Le désir est l'expression d'un manque, celui de l'objet désiré
Dans Le banquet, Platon met en scène plusieurs anecdotes qui ont en charge
de raconter les origines du désir.
Le mythe que raconte Aristophane est une
explication : à l'origine les âmes étaient des boules sphériques qui ne
manquaient de rien.
Par punition divine, elles ont été coupées en deux et sont
condamnées à rechercher leur deuxième moitié.
Ainsi, le désir est conscience
du manque d'une partie de nous-mêmes.
La description d'Eros par Socrate va
dans le même sens : éros est fils de Penia ( la pauvreté) et de Poros (
l'abondance).
Il est lui-même pauvre mais désire atteindre la perfection de
son père.
Le désir est donc l'expression de l'imperfection de l'homme qui ne possède pas
la plénitude des dieux.
« Étant fils de Poros et de Pénia , l'Amour en a reçu certains
caractères en partage.
D'abord il est toujours pauvre, et loin
d'être délicat et beau comme on se l'imagine généralement, il est
dur, sec, sans souliers, sans domicile, sans avoir jamais d'autre lit
que la terre, sans couverture, il dort en plein air, près des portes
et dans les rues ; il tient de sa mère, et l'indigence est son
éternelle compagne.
D'un autre côté, suivant le naturel de son
père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon ; il est brave, résolu, ardent, excellent
chasseur, artisan de ruses toujours nouvelles, amateur de science, plein de ressources, passant sa
vie à philosopher, habile sorcier, magicien et sophiste.
Il n'est par nature ni immortel, ni mortel ; mais
dans la même journée, tantôt il est florissant et plein de vie, tant qu'il est dans l'abondance; tantôt il
meurt, puis renaît, grâce au naturel qu'il tient de son père.
Ce qu'il acquiert lui échappe sans cesse,
de sorte qu'il n'est jamais ni dans l'indigence, ni dans l'opulence.
» PLATON.
[Introduction]
Loin de toute froide analyse du concept d'amour, Platon brosse dans ce texte un portrait vivant d'Éros, de
l'Amour personnifié.
En le dépeignant comme le fils de la Pauvreté et de l'Expédient, il nous place au coeur
même de l'amour, comme sentiment unissant des contraires.
L'amour n'a pas en effet de caractère un : sa
nature semble insaisissable, incompréhensible.
Pour nous permettre de saisir cette difficulté propre à l'idée
d'amour, Platon nous retrace sa filiation, qu'il détaille ensuite avant d'en tirer les conséquences sur la nature
de l'Amour.
[I.
Présentation du mythe d'Éros.]
Dans une première phrase, Platon donne à son texte la dimension d'un mythe.
L'amour est personnifié sous les
traits d'Éros, cette divinité grecque.
L'allégorie de l'amour commence ainsi par l'étude de sa généalogie.
On
retrouve là l'un des thèmes principaux de toute la mythologie grecque : les figures légendaires nous sont
connues par leur filiation.
Nous sommes ce que notre hérédité a fait de nous.
Nous portons en nous les qualités
ou les défauts de nos parents, et Éros, fils de deux parents aux vertus opposées, Poros, son père, l'Expédient,
et Pénia, sa mère, la Pauvreté, en est un exemple significatif.
[II.
Amour et pauvreté.]
[1.
L'Amour manque de tout.]
Aussitôt après avoir indiqué cette filiation, Platon passe à une analyse des qualités issues de la mère d'Éros.
L'Amour est dans le dénuement : Platon nous brosse son portrait comme celui d'un vagabond, d'un va-nupieds.
Aimer, c'est en effet être dans la pauvreté.
Lorsque j'aime, je ne possède en effet en un sens plus rien;
car ce que j'aime, c'est autrui, c'est-à-dire ce qui ne m'appartient pas et ne saurait m'appartenir.
L'amour
suppose la séparation radicale entre l'amant et l'aimé.
Du coup, celui qui aime, quand bien même il serait
comblé au plus haut point par l'objet de son amour, en reste toujours séparé.
Aimer, c'est, parce que
justement on n'a plus d'intérêt que pour l'objet aimé, expérimenter la solitude, éprouver le dénuement, ressentir
que l'on ne possède rien et que l'être aimé est encore plus éloigné de nous que tout autre être.
L'amant ne se
soucie plus de soi-même, se fait indigent par amour.
[2.
L'Amour se satisfait de peu.].
»
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