De la peine de mort ?
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«
De la peine de mort
A.
— Toute société organisée a le droit de punir, parce qu'elle a le droit et le devoir de maintenir l'ordre, ce qui serait impossible si elle
était désarmée.
Mais ce droit va-t-il jusqu'à la peine de mort ? Pendant longtemps ce droit est resté sans contestation.
Ce fut Beccaria
qui, au xviiie siècle, soutint le premier qu'il n'existait pas et que d'ailleurs ce châtiment était sans efficacité.
Depuis, les adversaires de
la peine de mort ont été de plus en plus nombreux.
Que faut-il en penser ?
B.
— Légitimité de la peine de mort.
— Nous verrons plus loin que les deux fondements du droit de punir dans la société, les deux
caractères essentiels qui font la légitimité de la sanction civile sont la justice et l'utilité sociale.
Le premier en est la condition
essentielle, le deuxième en marque la fin et la limité: Or le droit d'infliger la peine de mort est légitimé :
a) Par la justice : D'une part, la société attaquée et menacée dans son existence est en étal de légitime défense ; d'autre part, la peine
infligée est proportionnée à la culpabilité du délinquant.
A forfait hors pair, il faut un châtiment hors pair.
b) Par la sécurité sociale : Le devoir essentiel de la société est de maintenir l'ordre, d'assurer sa sécurité en mettant le coupable hors
d'état de nuire, en intimidant ceux qui seraient tentés de l'imiter, en rassurant les bons.
Or, supprimer le droit d'infliger la peine de
mort, ce serait mettre la société dans l'impuissance d'atteindre cette fin.
OBJECTIONS SOULEVÉES CONTRE LA PEINE DE MORT.
— Ceux qui contestent la légitimité de la peine de mort prétendent que
cette peine ne répare en rien le dommage causé ; qu'elle rend impossible l'amendement du criminel ; que la société peut garantir sa
sécurité par quelque autre peine tout aussi efficace, qui aurait surtout l'avantage d'être mieux proportionnée au degré des méfaits ;
que d'ailleurs les exécutions capitales excitent des curiosités malsaines, développent des instincts grossiers et barbares ; on invoque
enfin des erreurs judiciaires.
Discussion.
— Ces inconvénients sont graves assurément ; mais, outre qu'ils sont plus ou moins inhérents à tout châtiment infligé par
les tribunaux humains, ils ne semblent pas suffisants pour mettre en doute la légitimité de la peine de mort.
Montrer que :
a) Le but essentiel du châtiment est la préservation sociale ; l'intérêt du coupable ne vient qu'ensuite.
L'intérêt général ne saurait être
subordonné à l'intérêt particulier.
b) Il y a des crimes particulièrement monstrueux, que la société ne peul efficacement châtier que par la mort du coupable, des instincts
de sauvagerie tels que toute autre peine ne saurait contenir.
e) En fait, supprimer la peine .de mort, c'est encourager le crime.
L'expérience le prouve : chez certains peuples qui l'avaient
supprimée, le nombre de crimes a pris des proportions si effrayantes qu'il a fallu la rétablir.
C.
— Conclusion.
- La conclusion qui se dégage, c'est qu'une pareille peine doit être réservée à certains crimes atroces, qu'elle doit
être dégagée de tout ce qui l'aggrave inutilement, soustraite aux curiosités malsaines, en attendant que le progrès des moeurs
permette de l'abolir en fait sans danger pour la sécurité publique.
(Rappeler le mot pittoresque et profond d'Alphonse Karr : « Que
messieurs les assassins commencent.
»)
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De fait les hommes sont capables de s'entretuer mais il ne va pas de soi que cette possibilité doive être portée au titre de possibilité
légale.
Le meurtre d'un homme n'est-il qu'un crime ou bien peut-il être rehaussé (aufheben dans le vocabulaire hégélien, c'est-à-dire à
la fois dépasser et conserver) en tant que punition infligée par l'Etat au contrevenant ? L'importance de la question nous paraît exiger
une réponse universelle, or comme souvent en politique la réponse ne peut s'avérer que relative à une époque et une culture donnée,
sauf à demeurer prisonnier d'un plan d'abstraction.
Toutefois nous verrons que nous pouvons dégager à partir par exemple de la
situation en France un paradigme de réflexion général sur la question.
I- Le droit de mort et la liberté de l'individu.
L'homme est lié à la société par le pacte social : il s'engage, implicitement, à ne pas contrevenir à la bonne marche de la
société et même à y contribuer, en échange de quoi il bénéficie d'une protection et d'une reconnaissance.
La loi protège le citoyen.
Or,
dans ce système politique quel est le sens de la peine de mort ? Une réponse possible, que d'aucun qualifieront d'inhumaine ou (et
sans doute à raison) de trop simpliste, consiste à montrer que la peine de mort confirme la liberté du citoyen.
En effet, condamner un individu à mort c'est tout autant le reconnaître comme responsable de ses actes : c'est parce qu'il était
libre de ses choix qu'il doit être exécuté.
La condamnation à mort confirme donc la citoyenneté de l'individu, c'est-à-dire sa liberté et sa
responsabilité ; on l'exécute parce qu'on ne doute pas un instant qu'il ai cessé d'être citoyen et de connaître les règles de la société.
Moins qu'une humiliation ou qu'une mesure barbare la peine de mort serait une sorte d'hommage des bourreaux à leurs victimes :
vous tuer c'est en même temps reconnaître que vous étiez des hommes libres de vos choix.
Or précisément nous nous heurtons à une première contradiction : si la loi doit protéger les citoyens elle ne saurait à la fois
reconnaître la citoyenneté, c'est-à-dire la responsabilité pleine et entière d'un individu, et le condamner à mort.
Conséquemment
Rousseau fait la distinction au chapitre V dans Du contrat social : le citoyen condamné cesse, par son crime, d'appartenir à la société et
devient un ennemi de cette dernière.
Aussi Rousseau assimile t-il la peine de mort non à une modalité de la législation civile mais à
une modalité du droit de la guerre : en tant qu'ennemi l'individu vaincu peut être tué en vertu du droit de vie et de mort qui prévaut en
situation de guerre.
II- La peine de mort comme mise en scène du pouvoir.
La peine de mort, dite peine capitale, arroge le droit de mort à l'Etat sur la personne du criminel, lorsque la peine de mort
existait encore en France ce n'était pas à un magistrat mais au président de la république que revenait le droit de grâce.
Bien plus
qu'une procédure judiciaire, pénale, la peine de mort est une prérogative de l'Etat, une dimension de son pouvoir.
Dans Surveiller et Punir Foucault parle d'une mise en scène du pouvoir dans l'usage de la peine de mort.
A l'âge classique la
peine infligée devait être plus horrible que le crime commis : par là le souverain prouvait sa supériorité, on ne pouvait renchérir sur la
cruauté des tortures qui étaient, publiquement, mises en scène.
Plus tard (en France) la peine s'est trouvée modérée et devenir la
même pour tous, la guillotine tenait lieu d'objet générique symbole de l'institution qu'était la peine capitale.
Les rapports de l'Etat au
crime se faisant toujours plus indirects, les pouvoirs étant de plus en plus séparés, la peine de mort est devenue une affaire purement
pénale et on a cesser de la mettre en scène, les exécutions n'ont plus eu lieu qu'à huis clos au sein des enceintes pénitentiaires..
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