David HUME
Extrait du document
«
Pour moi, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle moimême, je tombe toujours sur une perception particulière ou sur une
autre, de chaleur, de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine,
de douleur ou de plaisir.
Je ne parviens jamais, à aucun moment, à me
saisir moi-même sans une perception et je ne peux jamais rien observer
d'autre que la perception.
Quand mes perceptions sont absentes pour
quelque temps, quand je dors profondément, par exemple, je suis,
pendant tout ce temps, sans conscience de moi-même et on peut dire à
juste titre que je n'existe pas.
Et si toutes mes perceptions étaient
supprimées par la mort, si je ne pouvais plus penser, ni éprouver, ni voir,
aimer ou haïr après la destruction de mon corps, je serais entièrement
anéanti et je ne conçois pas du tout ce qu'il faudrait de plus pour faire de
moi une parfaite non-entité.
Si un homme, après une réflexion sérieuse et
dénuée de préjugés, pense qu'il a une notion différente de lui-même, je
dois avouer que je ne peux plus discuter avec lui.
Tout ce que je peux lui
concéder, c'est qu'il peut, tout autant que moi, avoir raison et que nous
différons essentiellement sur ce point.
Il se peut qu'il perçoive quelque
chose de simple et de continu qu'il appelle lui-même, encore que je sois
certain qu'il n'y a pas un tel principe en moi.
« Qu'est-ce que le moi ? » : Pascal le partageait entre des qualités accidentelles et une substance vide, de sorte qu'il
en venait à se demander où était donc le moi.
Hume, à son tour, reprend cette question dans l'une des analyses les
plus corrosives du Traité.
Il s'adresse « aux philosophes qui imaginent que nous sommes à chaque instant conscients
de ce que nous appelons notre moi » et oppose aux « affirmations péremptoires » qui sont les leurs son expérience
privée, qui est celle de la seule et pleine présence des perceptions qui occupent l'esprit (comparé à « une sorte de
théâtre », sans que nous ayons « la plus lointaine idée du lieu où ces scènes sont représentées »).
Cette expérience
est doublée ici d'une contre-épreuve : dans le sommeil, où je n'ai pas de perceptions, tout est pour moi comme si je
n'existais pas, comme dans l'anéantissement de la mort.
Les cibles de la critique humienne sont nombreuses : les philosophies du sujet, sur deux thèses, celle d'une évidence
de la subjectivité et celle de sa substantialité ; la notion, soit philosophique, soit religieuse, d'âme, et particulièrement
l'idée d'immortalité de cette âme ; la croyance courante en une personnalité substantielle, qui est sans doute l'origine
de laquelle dérivent ces suppositions intellectuelles.
Car Hume ne peut évidemment pas ne pas reconnaître que nous
avons une idée du moi ; mais, puisqu'il n'y a pas de sensation à l'origine de cette idée, elle est fictive et peut
s'expliquer comme un effet des mêmes principes qui nous font attribuer de l'identité à autrui : liaisons des perceptions
dans l'imagination, soutien de la passion constituant son objet.
Des développements complexes, repris dans
l'Appendice, veulent donc dériver la croyance à l'identité personnelle de la seule réalité attestée, le flux constant des
perceptions qui « font successivement leur entrée, passent, repassent, s'esquivent et se mêlent en une variété infinie
de positions et de situations », qui sont donc des existences distinctes sans connexion réelle entre elles.
Cette
connexion, pourtant, existe sous forme de croyance pour l'entendement et, quand il réfléchit « à la série des
perceptions passées qui composent un esprits », il s'offre à cette croyance.
L'idée d'un moi unifié, et a fortiori celle
d'un je doté de pouvoir, ne s'autorise pourtant d'aucune conjonction constante faute d'une intériorité perceptible qui
se pourrait conjuguer avec les perceptions qui la traversent.
Le lecteur de Hume constate donc ici une conséquence
ultime de son ontologie sceptique, la dénonciation d'une croyance philosophiquement irrecevable.
Commentaire du texte de Hume
Dans le cadre de cet extrait, Hume tente de caractériser l'expérience par laquelle je tente de me saisir, par laquelle je
tente de saisir mon moi.
Puis-je d'ailleurs le saisir en lui-même, épuré de toutes sensations, de toutes émotions?
Lorsque je mène une introspection, m'est-il possible de rencontrer cette substance propre qu'est l'ipséité, cette
essence même de ma subjectivité à son état pure?
La réponse de Hume est négatif, et cet extrait tente de justifier une telle position qui rentre en pleine opposition avec
celle que, Descartes avant lui, tentait de défendre.
En effet, ce texte peut être perçu comme une réponse empiriste
au cogito innéiste cartésien, un cogito où le sujet fait précisément l'expérience de cette irréductible substance
pensante qu'est le moi dans son plus pure état.
Le moi, pour Hume, est toujours occupé à ressentir quelque chose, à
penser quelque chose, de telle sorte que ces idées, ces sentiments, sont autant de barrages pour une saisie du moi
dans son plus sincère éclat.
I.
« Pour ma part...
observer que la perception »: une conscience comme conscience de quelque chose
Lorsque Hume s'exerce à l'introspection il nous dit qu'aussitôt il « bute sur une perception particulière ».
il s'agit de
faire ici un détour par la deuxième des Méditations Métaphysiques de Descartes.
Lorsque ce dernier énonce: « il faut.
»
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