Dans une page demeurée célèbre du Manifeste du surréalisme, André Breton écrit à propos des romanciers et de leurs oeuvres : « Le caractère circonstanciel, inutilement particulier, de chacune de leurs notations, me donne à penser qu'ils s'amusent à mes d
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« Le seul mot de liberté est tout ce qui m'exalte encore », l'aveu flotte en étendard dès les premières pages du Manifeste du surréalisme. Car « liberté », tel est bien le maître-mot de cette « révolution surréaliste » dont André Breton va être le plus zélé promoteur. Il s'agit bien de rendre à l'imagination son pouvoir, dans le domaine de l'art en général, de la littérature en particulier. C'est pourquoi le roman et les romanciers deviennent une cible de choix. Les romans livrent leurs lecteurs aux écrivains : « Le caractère circonstanciel, inutilement particulier, de chacune de leurs notations, me donne à penser qu'ils s'amusent à mes dépens. On ne m'épargne aucune des hésitations du personnage : sera-t-il blond ? Comme s'appellera-t-il ? Autant de questions résolues une fois pour toutes, au petit bonheur ; il ne m'est laissé d'autre pouvoir discrétionnaire que de fermer le livre, ce dont je ne me fais pas faute aux environs de la première page. » La seule liberté qui reste au lecteur de romans : interrompre sa lecture. Le refus est net. Breton l'illustrera par la suite à propos d'une page de Crime et châtiment : Non, il ne rentrera pas avec Raskolnikov dans cette petite chambre tapissée de papier jaune ! Pourquoi cette chambre-ci, pas une autre ? Pourquoi ce papier jaune ? A quoi bon suivre Dostoïevski ? Pourquoi subir cette manifestation-là de son arbitraire de créateur ?
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Dans une page demeurée célèbre du Manifeste du surréalisme, André Breton écrit à propos des romanciers et de leurs
circonstanciel, inutilement particulier, de chacune de leurs notations, me donne à penser qu'ils s'amusent à mes dépens.
hésitations du personnage : sera-t-il blond ? Comment s'appellera-t-il ? Autant de questions résolues une fois pour toutes, au
laissé d'autre pouvoir discrétionnaire que de fermer le livre, ce dont je ne me fais pas faute aux environs de la première page.
»
l'arbitraire romanesque et rejetez-vous, comme Breton, cette passivité que le romancier impose à son lecteur ?
œuvres : « Le caractère
On ne m'épargne aucune
petit bonheur, il ne m'est
Partagez-vous ce refus de
« Le seul mot de liberté est tout ce qui m'exalte encore », l'aveu flotte en étendard dès les premières pages du Manifeste du surréalisme.
Car « liberté », tel
est bien le maître-mot de cette « révolution surréaliste » dont A ndré Breton va être le plus zélé promoteur.
Il s'agit bien de rendre à l'imagination son
pouvoir, dans le domaine de l'art en général, de la littérature en particulier.
C'est pourquoi le roman et les romanciers deviennent une cible de choix.
Les
romans livrent leurs lecteurs aux écrivains : « Le caractère circonstanciel, inutilement particulier, de chacune de leurs notations, me donne à penser qu'ils
s'amusent à mes dépens.
On ne m'épargne aucune des hésitations du personnage : sera-t-il blond ? Comme s'appellera-t-il ? Autant de questions résolues
une fois pour toutes, au petit bonheur ; il ne m'est laissé d'autre pouvoir discrétionnaire que de fermer le livre, ce dont je ne me fais pas faute aux environs
de la première page.
» La seule liberté qui reste au lecteur de romans : interrompre sa lecture.
Le refus est net.
Breton l'illustrera par la suite à propos d'une page de Crime et châtiment : Non, il ne rentrera pas avec Raskolnikov dans cette petite
chambre tapissée de papier jaune ! Pourquoi cette chambre-ci, pas une autre ? Pourquoi ce papier jaune ? A quoi bon suivre Dostoïevski ? Pourquoi subir
cette manifestation-là de son arbitraire de créateur ?
Il est vrai qu'un bon roman fait traverser au lecteur comme une « crise de crédulité », sans laquelle il n'est d'ailleurs plus de lecture possible.
Breton dans
son entreprise quasi cartésienne de doute radical n'a pas d'autre issue.
Mais qu'à-t-il à nous offrir en échange ? Sa tentative d'écriture romanesque, Nadja
offre-t-elle vraiment une alternative ? Et l'opposition roman-poésie, à laquelle on aboutit fatalement, est-elle si irréductible ? Des œuvres de la dimension
d'Aurélia, d'Une saison en enfer, nous permettent à notre tour de douter.
L'amateur de roman est une victime consentante.
La plupart des lecteurs se plongent dans un roman comme dans une sorte d'hypnose.
Le temps de la
lecture, il faudra tout oublier, s'oublier soi-même et accepter de vivre par procuration des aventures qu'un autre à conçues.
L'attitude est passive certes,
mais de cette passivité le lecteur de romans tire tout son plaisir.
On parlera d'un « roman captivant » et l'expression n'aura rien de péjoratif, au contraire ?
Pourtant les mots sont là : « C aptivant », qui captive, qui emprisonne, enchaîne.
Plus solide sera le lien, mieux l'ouvrage sera apprécié.
D'où la vogue
actuelle du roman policier, par exemple, et naguère celle des romans feuilletons...
Dumas, Féval, Ponson du Terail connaissaient bien les exigences de leur
public.
Le roman apparaît donc comme plus qu'un divertissement, une perte de conscience volontaire.
Si elle n'a pas lieu, cette abolition fugace du « moi »
du lecteur, celui-ci jugera le livre « ennuyeux », « difficile », « obscur », « Rares sont les lecteurs qui ne prennent leur plaisir que l'esprit tendu » écrit V aléry
dans la préface de la Soirée avec Monsieur Teste.
« Nous ne gagnons les attentions qu'à la faveur de quelque amusement ; et cette espèce d'attention est
passive.
»
Très significativement placés en préface d'une oeuvre « cérébrale », ces mots nous invitent à supposer « en creux », une autre sorte de romans, peu
nombreux, destinés par leur ambition même à un public très réduit, des livres qui rendraient aux lecteurs leur autonomie, qui les réveilleraient de cette
torpeur émolliente pour l'intelligence.
Ce qui revient évidemment à dessiner le schéma d'une hiérarchie : les romans opiacés aux foules, les autres à l'élite ?
Il est clair que cette distinction est inacceptable, elle invite néanmoins à explorer de près, « l'autre voie ».
Restituer au lecteur sa liberté, le projet même s'il
contrarie celui qu'on prétend sauver ne manque pas de générosité.
Les Histoires brisées de Paul Valéry, dont le titre est évocateur, innovent en refusant
d'imposer au lecteur une fin à des récits que l'auteur préfère abandonner, pour les laisser à la discrétion de nos imaginaires.
Quant à Monsieur Teste, le livre
se présente sous la forme d'un recueil de fragments que le lecteur est invité à rassembler.
Même appel au lecteur dans Nadja, le beau roman passionné de Breton.
Dans la préface, l'auteur évoque les deux impératifs « antilittéraires » qui ont régi
l'écriture du texte : « De même que l'abondante illustration photographique a pour objet d'éliminer toute description, le ton adopté pour le récit se calque sur
celui de l'observation médicale, entre toutes neuropsychiatrique, qui tend à garder trace de tout ce qu'examen et interrogatoire peuvent livrer, sans
s'embarrasser en le rapportant du moindre apprêt quant au style.
» Ainsi le libre arbitre du lecteur est sauvegardé, le récit se donne alors comme une
confrontation ouverte entre une subjectivité (celle de l'auteur).
Le roman commence par ces mots :
« Qui suis-je » et toutes les autres : « Je persiste à ne m'intéresser qu'aux livres qu'on laisse battants comme des portes...
».
L'activité du lecteur semble
se réduire à celle du « poseur de puzzle ».
Le roman propose des pièces que le lecteur a tout loisir de rassembler.
Tel est exactement ce à quoi nous invite
Georges Pérec dans la Vie mode d'emploi, mais il nous avertit : « Chaque geste que fait le poseur de puzzle, le faiseur de puzzle l'a fait avant lui.
» Que le
romancier nous relate l'histoire d'une énigme ou qu'il compose l'énigme d'une histoire, il est toujours présent, agissant, jouant à se déjouer de son lecteur.
Et il aura beau compliquer le jeu, ces règles il ne les aura pas moins fixées.
Que l'on prenne l'exemple d'une des « machines littéraires » les plus
sophistiquées du siècle : Ulysse de Joyce.
Le lecteur a certes la liberté d'essayer d'identifier tel ou tel pastiche ou celle de se perdre dans le dédale des références du romancier irlandais pour tenter
de composer le récit qu'il peut lire, le labyrinthe n'en a pas moins été tracé par un architecte, et chacune de nos hésitations devant le texte a été prévue,
voulue par lui.
Plutôt que deux types de romans, ou deux types de lecteurs de romans, on peut distinguer deux types de romanciers, l'un joueur et l'autre pas.
En fait, la
réaction de Breton est celle d'un poète, plutôt que celle d'un lecteur de romans abusé, blessé dans son intelligence par la « crise de crédulité » que le
romancier a imposée.
« La vie de tous les jours dans le langage de tous les jours.
Pour le poète, c'est là le péché originel du roman.
» C'est ainsi que Michel
Breton analyse le refus de Valéry d'écrire une phrase aussi banale que « La marquise sortit à cinq heures » (propos rapportés par Breton dans le Manifeste).
Ce que l'on reprochera au romancier, c'est d'avoir contribué à la dévaluation de la langue par facilité.
La passivité du lecteur de romans serait plutôt une «
paresse » linguistique, on se laisse porter par les mots plutôt qu'on ne les interprète.
Or le poète, lui, invite son lecteur à une interprétation de la langue,
comme on dit d'une interprétation musicale.
Interpréter : donner du prix.
A lors que l'usage quotidien de la parole lui a effacé tout réel pouvoir : il convient de
réveiller, de « ré-activer » le sens des mots.
C'est ce qu'écrit Mallarmé : « Rendre un sens plus pur aux mots de la tribu.
» Revitaliser la langue.
Il est clair
que Valéry évoquant le cours d'un « Ruisseau scrupuleux », il force le lecteur à l'action : ne pas entendre seulement scrupuleux au sens de « qui a des
scrupules » (ce qui dans le contexte n'est guère probant), mais savoir chercher jusqu'à la racine latine du mot (scrupulus : petit caillou).
Le texte poétique a donc le charme d'une énigme, pour l'oreille comme pour l'intelligence.
D'où la fascination qu'exercent sur nous certains vers mystérieux,
détachés de tout poème comme un cartouche égyptien d'une statue disparue : « A boli bibelot d'inanité sonore », par exemple.
Breton, dans l'Amour fou
confesse avoir été toute son existence hanté par ce vers de Mallarmé : « Alors, comme la nuit vieillissait...
» Magie du verbe poétique.
La distinction entre poésie et roman devient fragile : Mallarmé, toujours lui, n'écrivait-il pas que « chaque fois qu'il y a effort sur le style, il y a versification
».
Un roman, quand son auteur en a travaillé le style, l'écriture, est comme un long poème.
On songe évidemment à Flaubert et à la première phrase de
Salammbô : « C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.
» C'est tout un décor fabuleux qui s'échappe de cette phrase, mais aussi
la puissance évocatrice de quelques noms propres : Mégara, Carthage, Hamilcar, aussi efficaces que le reste la formule « Il était une fois...
».
Le lecteur lui
aussi s'évade et libère toutes les images qu'il porte en lui.
La suggestion n'implique pas seulement la passivité, Breton fait semblant de l'ignorer.
Les «
passages » des romans au poème sont nombreux et dans les deux sens : Baudelaire écrit de ses Petits poèmes en prose qu'il s'agit d'un roman d'où il aurait
proscrit tout ce qui n'était pas proprement poétique.
Quant à M.
Picon, il précise, ce que nous avons déjà dit à propos de Flaubert : « Des romans de
Lamartine, de Musset, de Vigny, de Hugo, on doit dire qu 'ils sont des romans de poètes, en ce sens que le lyrisme des passions vécues et l'imagination
créatrice de symboles expressifs les dominent, comme ils dominent la poésie romantique.
».
»
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