Dans quelles expériences se manifeste la conscience morale ?
Extrait du document
«
Avant de nous poser la question de la nature et de l'origine de la conscience morale, nous tenterons de la saisir
dans ses manifestations concrètes.
— I — La mauvaise conscience.
Il semble qu'on ne puisse décrire « la mauvaise conscience » que par référence à
« la bonne conscience ».
Mais la bonne conscience est presque inconscience morale parce qu'elle est absence de souci moral, elle est demiconscience.
Si, à propos d'un devoir accompli, la conscience s'aiguise dans une affirmation de satisfaction de soi
(que l'on pourrait appeler « bonne conscience »), on peut être sûr que cette affirmation spectaculaire, devenue
vanité de la bonne conscience, entraîne ipso facto une mauvaise conscience due à cette vanité même, et peut-être
au sentiment qu'on n'a pas fait tout ce qu'on devait, comme si dans la recherche de l'approbation de ce qu'il a fait,
le sujet cherchait à oublier le souvenir de ce qu'il n'a pas fait.
La mauvaise conscience est un malaise moral dû à une sorte de non-unité du moi ; l'action est suspendue par une
hésitation dans laquelle le sujet fuit la conscience de soi parce qu'il est devenu insupportable à lui-même.
Et
pendant qu'il fuit, il se retrouve à chaque instant.
« La mauvaise conscience », dit V.
Jankélévitch, « est cernée de
tous côtés par des surfaces réfléchissantes sur lesquelles les problèmes rebondissent ; partout les choses lui
renvoient sa propre image ; elle voudrait sortir de soi, et partout c'est elle-même qu'elle rencontre.
Il y a donc en
elle deux mouvements inverses et simultanés : un effort pour s'éloigner, une tendance à adhérer » ( V.
Jankélévitch,
« La mauvaise conscience », 1951).
On peut distinguer plusieurs types de mauvaise conscience, nous en décrirons trois : la honte, le sentiment de la
faute, le remords.
1 — La honte.
La honte est liée à un reproche.
Un acte dont je je suis la cause, l'agent ou le responsable, que j'ai
fait délibérément ou inconsciemment (la malhonnêteté que je viens de faire ou l'énurésie que le garçonnet constate
à son réveil) est en contradiction avec ce que j'étais capable de faire, que je devais faire ou qu'on attendait de moi.
Je suis, malgré moi, celui que je ne voulais pas être ou que je n'aurais pas voulu être.
Il y a, sans aucun doute, dans
la honte, le sentiment pénible que la faute s'étale sous le regard d'autrui, et comme cette faute est mienne, j'ai
honte sous le regard d'autrui et le désir naît de fuir ce regard.
C'est pourquoi lorsqu'on a honte, on cherche à se
cacher, on a envie de « disparaître », d'entrer sous terre, ou de mourir ; mais le regard d'autrui, comme l'œil de Dieu
pour Gain, nous poursuit dans la solitude.
On peut aussi avoir honte de quelqu'un, dans la mesure où cet être est relié à nous par des liens de parenté ou
d'amitié antérieure et où l'action qu'il a commise irradie sur notre propre personne, comme si l'on avait peur qu'on
nous croie complice ou simplement approbatif.
Ainsi un père peut se suicider à la preuve du crime de son fils.
Cette
structure sociale de la honte explique qu'elle soit le sentiment de la perte de l'estime sociale, sentiment qui se
rapproche de celui du déshonneur.
Lorsqu'elle est intime et secrète, la honte devient le sentiment de la faute.
2 — Le sentiment de la faute.
Le regard d'autrui a disparu dans le sentiment de la faute pour laisser la place à notre
propre regard sur nous-mêmes et il est aussi sévère sinon plus, car il paraît plonger plus profondément.
Dans la
honte, c'est l'acte qui est jugé, dans sa matérialité, son objectivité, et l'on peut à la limite garder un sentiment
intime d'innocence dans la honte, lorsqu'autrui refuse de nous laisser nous expliquer et nous impute l'action
honteuse.
Dans le sentiment de la faute, nous nous accusons nous-mêmes; au-delà du manquement à un interdit ou
à une obligation purement sociale (infraction à un code, à un arrêté municipal ou à une loi que nous sommes censés
ne pas ignorer mais que nous ignorions peut-être), le sentiment de la véritable faute est celui qui implique une
causalité réelle et ineffaçable du « moi » dans l'action incriminée.
3 — Le remords.
Si le regret est le fait de déplorer un événement dont nous ne nous reconnaissons pas
responsables, le remords est au contraire la rumination mentale, l'obsession, d'une faute passée, dont le moi
s'accuse avec une sorte de passion douloureuse, qui le détourne de l'avenir pour l'enfermer dans la conscience de
l'irréparable, de l'irrévocable ; cette rancune de soi pour soi peut prendre la forme de l'agressivité, de la cruauté, de
l'auto-punition.
Autant qu'un reproche lancinant et agressif contre soi-même, le remords est désespoir, perte du
goût d'être, et peut conduire au suicide.
« Vous pourriez d'abord confondre le remords avec la crainte du châtiment
», dit Bergson (« Les deux Sources »...), car il se traduit par les précautions les plus minutieuses pour cacher le
crime...
Mais regardez-y de plus près : il ne s'agit pas tant d'éviter le châtiment que d'effacer le passé, de faire
comme si le crime n'avait pas été commis...
C'est donc son crime même que le criminel voudrait annuler en
supprimant toute connaissance qu'en pourrait avoir une conscience humaine.
Mais sa connaissance à lui subsiste, et
voici que de plus en plus, elle le rejette hors de cette société où il espérait se maintenir en effaçant les traces de
son crime ».
C'est ce sentiment d'être hors de la société, d'être a-social qui est quelquefois suffisamment
douloureux pour pousser le criminel à se dénoncer car il réintègre alors la société, fût-ce comme coupable.
Au-delà
de cette description, il faut remarquer que la reconnaissance sociale de la culpabilité ne sauve pas du remords.
Si
ce sentiment est en relation avec l'être-social de l'homme, c'est donc qu'il s'agit d'un rejet non seulement de sa
société mais de toute société, c'est-à-dire, en fait, de l'humanité même.
Il y a dans le remords le sentiment d'être
indigne de l'humanité.
Le remords retrouve un sens moral et un avenir dans le « repentir » qui est volonté de réparation.
— II — Les conflits intérieurs.
Dans plusieurs types de débats moraux, la conscience morale hésite dans sa.
»
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