Dans la passion suis-je moi-même ?
Extrait du document
«
Vous pouvez partir ici d'une définition commune de la passion : la passion désigne un état dans lequel se trouve
un sujet dont tout le désir et tout l'intérêt vivant sont portés vers un unique objet.
Montrez que, en ce sens, la
passion n'est concevable que pour l'homme : dans la passion, l'homme s'affirme comme un être de désir qui ne se
contente plus de subir ce que les lois de la nature lui dictent.
Les passions seraient donc une des manières possibles
de reconnaître la spécificité de l'homme.
Montrez cependant (qu'il s'agisse du jeu, de l'alcool ou d'une personne) que
dans la passion le sujet commence toujours par se perdre : nécessairement insatisfait, le passionné devient étranger
à lui-même et finit par s'oublier totalement dans sa passion.
Montrez donc que s'il veut se retrouver, la passionné
doit chercher à maîtriser ses passions.
Demandez-vous en quoi consiste cette tâche (songez à l'opposition entre
raison et passion) : n'est-ce pas avant tout dans l'usage de la raison que se reconnaît l'humanité.
1.
Oui, dans la passion je suis moi-même.
A.
Les passions sont le contenu même de la vie.
Si, comme Descartes, on définit les passions comme des pensées que l'âme ne
peut pas diriger parce qu'elles sont provoquées par le corps, il est vrai qu'on
peut être amené à confondre nos passions avec notre volonté, et ainsi perdre
la maîtrise de soi.
Cependant, si les excès des passions peuvent être nuisibles,
il ne s'agit pourtant pas de les éradiquer pour être soi-même, car elles sont
«presque toutes bonnes» (Descartes, Correspondance avec Élisabeth).
Elles
sont le contenu même de la vie.
Autrement dit, sans elles, la liberté ne serait
qu'une liberté d'indifférence.
Si donc les excès des passions peuvent nous
mettre en contradiction avec nous-mêmes et avec les autres, il suffit d'agir
«avec industrie» sur nos passions pour les régler simplement.
Ainsi, puisque
l'homme ne se définit pas seulement comme une substance pensante, mais
comme «union de l'âme et du corps», les passions font partie intégrante du
moi.
«Moi» désigne ici non seulement la nature humaine, mais également la
complexion spécifique de l'individu particulier: la passion est effectivement ce
qui nous permet de nous caractériser individuellement.
Si la raison est
universelle, la passion, elle, nous particularise.
B.
Seule la passion est motif d'action.
Si la raison est conçue comme strictement théorique (Hume), et que seule la
passion est dynamique et moteur de l'action, alors il n'y a plus lieu de croire en
un déchirement de l'individu entre sa raison et sa passion.
La passion n'est pas
déraisonnable puisqu'elle n'est pas une idée: la déraison, dans cette perspective, ne peut être que l'erreur commise
par le jugement.
La passion, elle, ne juge pas: elle nous fait agir et nous inscrit par là dans l'existence.
Ainsi, la
passion procède de mon identité puisque sans elle je ne serais que pur pouvoir de contemplation, prévision et
jugement, sans aucune prise dans ce monde, sans inscription dans le moment présent: «La raison à elle seule ne
peut jamais produire une action, ni engendrer une volition» (Hume).
C.
La passion participe de mon identité: la pleine conscience de soi implique que l'on tienne compte des
passions.
Si, dans la passion, il semble que l'on soit victime d'une illusion, il reste à savoir si l'idée d'une pleine possession
immédiate de soi-même n'est pas elle aussi une forme d'illusion.
En effet, penser que je suis moi-même dès lors que
j'ai la capacité de choisir et de me déterminer moi-même sans avoir l'impression de subir une quelconque contrainte
ne signifie pas que je sois de fait pleinement maître de moi-même.
Le libre choix lui-même pourrait n'être qu'une
illusion, car il ne serait que le résultat de l'ignorance de nos déterminations (Spinoza, Éthique).
Pour devenir soimême, il ne s'agit donc pas de condamner les passions d'un point de vue moral.
Il faut au contraire admettre que l'accès au moi est une conquête progressive,
qui implique de développer les lumières de la raison afin de connaître les
passions, sachant qu'elles font partie de la nature humaine.
Être soi-même,
être un moi capable de s'autodéterminer et de se reconnaître dans ses actes,
ses aspirations, ses désirs, n'est donc pas un donné et ne peut être qu'une
conquête progressive, cette progression suivant celle des lumières de la raison
théorique.
La connaissance des causes qui nous déterminent est ici la
condition de possibilité d'une distinction entre ce qui est vraiment moi et ce qui
n'est que l'effet en moi d'une contrainte.
C'est en combattant l'illusion qui fait
naître la passion que je serai capable de devenir moi-même..
»
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