"Le langage, dit Aristote, s'il ne manifeste pas, n'accomplit pas sa fonction propre". Chez Aristote, le discours est donc dit apophantique : littéralement, discours qui « fait apparaître » (phaiestai) la chose « à partir » (apo) d’elle-même. Aristote qualifie donc par là le discours propositionnel, c’est-à-dire tout énoncé qui dit quelque chose de quelque chose. La proposition ( apophansis) est, à la différence de la question ou de la prière, un énoncé susceptible d’être vrai ou faux. Le discours que le langage porte en puissance est en effet révélation de l’Être à l'homme, dans la mesure où le langage est ce au sein de quoi "l’Être se dit en plusieurs sens" (en ces catégories fondamentales sans lesquelles nous ne saurions "habiter" ce monde comme étant justement le "nôtre") ; ou encore il est ce sans le secours de quoi les choses n'apparaîtraient pas avec le SENS qui, pour l'homme qui l'énonce, est "le leur". Le langage est bien pour nous une forme d'appropriation du monde, c'est parce que nous nommons les choses que nous les comprenons, que nous les faisons nôtres; (Nous les appréhendons par la conscience, nous les comprenons par la pensées, c'est-à-dire par le langage). Mais si le langage "manifeste", il ne le fait aussi qu'à la manière jamais dépourvue d'ambiguïté, d'opacité irréductible, des oracles de Delphes, selon le vieux mot d'Héraclite : "Il ne dit ni ne cache ; il SIGNIFIE". Signification, Expression, communication... Ainsi , la fonction de révélation "ontologique" du langage n'est-elle sans doute pas autre chose que l'effet "philosophique" d'une fonction plus vaste du langage, qui dans son usage le plus quotidien, est celle de la SIGNIFICATION. Et avant de servir de support à la vérité d'un discours scientifique ou ontologique, le langage ne sert-il pas de substance élémentaire, pré-réflexive et primordiale, à l’Expression et à la COMMUNICATION des significations Il permet de passer de l'expérience concrète au symbolisme, parmi lesquelles l'homme cherche son sens, quel que soit leur contenu de vérité, d'illusion ou de fiction, pourvu que ces significations soient pour lui pleines de sens. La pensée moderne tente de développer une approche "positive" des faits de langage et de la signification linguistique, afin d'en examiner la nature et le fonctionnement. Une telle démarche épistémologique implique la mise à l'écart de toute attitude superstitieuse ou spéculative à l'égard du langage. Cette démarche implique que le langage soit pris comme objet d'une science descriptive (et non normative) : la linguistique structurale. Le langage y est considéré dans la matérialité de ses procédés signifiants, dans la diversité indéfiniment particularisée de ses systèmes de signes (les langues) et dans l'historicité de son devenir pluraliste. I – Le langage pour l’animal du sens 1 – Qu’appelle t-on langage ? 1.1 - Un système ? (approche de la linguistique) Le langage peut être définit comme système de signes : Si l'on entend par Langage ce qui est simplement une structure formelle de signes, alors : d'une part, ce concept recouvre toutes sortes de concaténation de séquences de symboles engendrées par des règles (par ex. : a, aa, aaa, aaaa...), auxquelles spontanément on refuserait le rang de langage. d'autre part, c'est à un système formel parfaitement délimité et descriptible exhaustivement (qui ne laisse rien de côté du sujet), que correspond un tel langage formel (on connaît d'ailleurs plusieurs types de langages formels : en logique, en mathématiques...). Dans un second sens le mot Langage est utilisé pour l'expression d'un contenu de signification (on peut parler par ex. de langage pour de simples mimiques faciales) Toutefois dans ce second sens c'est le langage vocal, vernaculaire qui reste le paradigme. Mais même pris dans cette acception, le langage a toujours une dimension systématique, mais ce n'est évidemment pas à système formel du type de ceux mentionnés ci-dessus que correspond le langage naturel. Quels sont les mécanismes fondamentaux de la fonction symbolique ? Le langage humain présente à l'analyse des propriétés structurales spécifiques. "Une langue est un instrument de communication selon lequel l'expérience humaine s'analyse, différemment dans chaque communauté, en unités douées d'un contenu sémantique et d'une expression phonique, les monèmes ; cette expression phonique s'articule à son tour en unités distinctes et successives, les phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, dont la nature et les rapports mutuels diffèrent eux aussi d'une langue à l'autre". Martinet, Éléments de linguistique générale Les monèmes sont les plus petites unités signifiantes par elle-mêmes encore douées de sens quand on analyse les énoncés d'une langue donné. (Par ex. dans la phrase : j'ai mal à la tête, il y a six monèmes ; les formes vocales qui servent à les prononcer sont dits phonèmes). Ils constituent en quelque sorte le vocable élémentaire d'une langue, ou son matériel sémantique (du grec : sémaîneîn = signifier). Un "monème" n'est pas nécessairement un mot ; il peut n'être qu'une racine sémantique, un préfixe ou une désinence indiquant le genre, la personne verbale, le temps, la fonction dans une langue à déclinaison, etc. Les monèmes présentent la caractéristique essentielle à tout signe, c'est-à-dire l'association psychique d'une marque dont le statut est sensible (trace écrite et, à l'origine purement sonore) qui est le signifiant, à un contenu de sens qui est le signifié auquel renvoie le signifiant. Signifiant et signifié constituent les deux faces indissociables du SIGNE. Le référent est l'objet concret ou l'expérience de l'objet - réel ou idéal - à quoi "réfère" dans l'expérience le contenu de sens du signe. Outre le découpage caractéristique de son matériel sémantique, le système de la langue est caractérisé par un ensemble de règles, ou structures syntaxiques, prescrivant l'ordre dans lequel les monèmes doivent être rangés dans la succession linéaire de la chaîne des signifiants, afin que des relations logiques déterminées se trouvent signifiées, entre les contenus de sens des monèmes. Tout énoncé doué de sens se fait ainsi par juxtaposition syntaxique ("syntagmation") de monèmes choisis par celui qui parle (le "locuteur") dans le" lexique de la langue et ordonnée selon des règles syntaxiques propres à la grammaire de la langue. L'analyse que le "locuteur" doit faire de l'expérience à communiquer linguistiquement est ainsi conditionnée par le choix à faire dans le système des possibilités lexicales et syntaxiques qui définit la langue. L'articulation lexicale et syntaxique de l'expérience humaine, dans la langue constitue, la première articulation du langage, l'articulation sémantique. Elle se fait par les monèmes. La deuxième articulation du langage porte sur la façon dont l'aspect matériel du signifiant sémantique est à son tour analysable, dans le langage, en unités phoniques élémentaires, distinctes mais dépourvues par elles-mêmes de signification et sans référent dans l'expérience. Les linguistes appellent phonèmes ces sons fondamentaux par lesquels on peut énoncer tout ce qui peut être dans une sphère linguistique donnée ; ils ne correspondent que très grossièrement aux voyelles et aux consonnes. C'est indirectement que les phonèmes contribuent à la signification. En effet, les propriétés signifiantes des phonèmes tiennent seulement à la place qu'ils occupent respectivement dans la chaîne signifiante d'un énoncé, par rapport aux autres phonèmes possibles selon la palette phonématique qu'offre la langue. Ainsi le phonème ne signifie-t-il que par rapport aux phonèmes environnants dans l'énoncé, et par opposition aux phonèmes possibles mais non choisis en un point donné de l'énoncé. Cette découverte relative aux propriétés dites sémiotiques des phonèmes permet de rendre compte aussi des effets de signification propres à tout choix sémantique au sein du système de la première articulation linguistique. Toute parole qui se dit dans la langue n'est qu'un certain usage de celle-ci parmi bien d'autre possibles, elle privilégie, cette parole, tel ou tel énoncé, tels ou tels monèmes, telles ou telles structures syntaxiques, par opposition à tous les autres énoncés différents. De même, à l'intérieur du système de la langue, un monème n'est significatif que par opposition différentielle avec tels ou tels autres, tant sur le plan du signifié que du signifiant. Il n'y a donc de signification linguistique que différentielle : "Dans la langue, il n'y a que des différences", écrit F. de Saussure, Cours de linguistique générale, 2ème partie, chap. IV, La valeur linguistique. Et toute parole ne dit proprement "quelque chose" que dans la mesure même où elle "diffère" de toute parole effectivement dite à côté d'elle ; de toute autre parole dont la langue est en puissance. Par la double articulation qui la caractérise, la langue est donc le système de signes qui permet à l'homme d'engendrer par l'acte de la "parole", une infinité ouverte de monèmes distinctifs, et cela à partir d'une liste fermée et restreinte de phonèmes ainsi que d'une logique de la différenciation sémiotique. Le jeu des différences sémiotiques est donc ouvert à l'infini d'une prolifération de signification différentielles du SENS qui est la pensée même ; et la raison de l'homme dépend de la maîtrise de son langage en un discours réglementé qui ne permet pas de tout dire. 1.2 – L'expression et la communication de la pensée ? Il n'en reste pas moins que la positivité d'une telle approche, qui est scientifiquement instructive quant à la production du "sens" en quelque sorte entre les signes, ne saurait pour autant faire oublier au philosophe du langage que le langage est plus qu'un simple "instrument" de communication ; il est plutôt le milieu propre à l'humain, ou l'élément au sein duquel l'humain est "chez lui" dans le monde, il renvoie à cette façon propre qu'à l'homme d'"habiter" le monde intimement, dans l'intersubjectivité de ses semblables comme dans l'intériorité de son rapport à soi : "La pensée, dit Platon, est le dialogue silencieux de l'âme avec elle-même".