Cours de philosophie: L'ART ?

« Il semble difficile de donner une définition stricte du concept d'art, et de ce fait le souci de certains critiques d'établir une hiérarchie entre les différentes formes d'art apparaît c o m m e fort contestable.

Il est vrai que la philosophie en rendant compte d e l'art à travers des oppositions métaphysiques c o m m e sensible-intelligible, forme-contenu, surface-profondeur, apparence-réalité, a établi un m o d e d e pensée qui a gommé ce qui ne pouvait faire l'objet d'analyses abstraites. Hegel par exemple dans ses leçons d'Esthétique fait de l'art une étape du développement de l'esprit, son expression sensible et c'est la catégorie d e l'expressivité qui permet d'établir une hiérarchie des arts, en allant du moins spirituel au plus spirituel.

L'architecture est au b a s d e l'échelle, elle est pure extériorité, elle ne peut traduire l'esprit lui-même, à la limite elle peut le symboliser.

La tâche de l'art pour Hegel est d'être le médiateur qui rend visible l'esprit au sein de la nature.

Certes, la sculpture, la peinture, la musique n'ont pas, comme la poésie le pouvoir de s'identifier avec le contenu spirituel et de disparaître en lui, mais en raison des éléments sensibles qui les constituent, elles correspondent à ce moment que l'art doit représenter dans la construction de l'esprit. "Le sensible doit être présent dans l'oeuvre artistique mais avec cette restriction qu'il s'agit seulement de l'aspect superficiel, de l'apparence du sensible.

[...]Ce que veut l'Esprit, c'est la présence sensible qui doit rester sensible m a i s qui doit être aussi débarrassée d e l'échafaudage d e la matérialité.

C'est pourquoi le sensible est élevé dans l'art à l'état de pure apparence par opposition à la réalité immédiate des objets naturels.

Ce n'est pas encore de la pensée pure, mais en dépit de son caractère sensible, ce n'est plus une réalité purement matérielle".

(Hegel, Esthétique.) Autrement dit, en art, ce qui importe ce n'est pas l'expression de la forme dans sa matérialité mais la vérité qu'elle manifeste.

En art se manifeste la volonté de donner un sens spirituel à quelque chose qui est matériel.

"Le beau se définit ainsi comme la manifestation sensible de l'idée".

(Hegel, Esthétique.) En ce sens Hegel rejoint Platon pour qui l'essence de l'art, c'est d e nous faire participer à la beauté absolue qui n'a d'autre fin qu'elle-même. L'art est une activité qui n'est pas poussée par le désir mais qui vise la contemplation.

En effet, le désir détermine le sujet sur un plan pratique et en ce sens il poursuit toujours la suppression de l'objet désiré. Il n'en va pas de même dans l'ordre de l'art où il s'agit non plus de la contingence et de l'ordre naturel des choses mais de la vérité qui appartient à l'esprit.

La contemplation esthétique ne vise aucun but, elle est désintéressée. "Le goût est la faculté de juger d'un objet ou d'une représentation par une satisfaction dégagée de tout intérêt.

L'objet d'une semblable satisfaction s'appelle beau." (Kant, Critique du jugement.) Cette idée kantienne se retrouve aussi chez Hegel.

"Les relations de l'homme à l'œuvre d'art ne sont pas de l'ordre du désir.

Il la laisse exister pour elle-même, librement, en face de lui, il la considère sans la désirer, comme un objet qui ne concerne que le côté théorique de l'esprit.

C'est pourquoi l'œuvre d'art, tout en ayant une existence sensible, n'a pas besoin d'avoir une réalité tangiblement concrète ni d'être effectivement vivante.

Elle ne doit m ê m e pas s'attarder sur ce terrain puisqu'elle ne vise à satisfaire que des intérêts spirituels et qu'elle doit exclure tout désir." (Hegel, Esthétique.) On comprend pourquoi, si l'objet d'art dépasse par définition s a matérialité, il est difficile d e définir ce qui est beau.

Car la notion de beau laisse supposer l'existence d'un jugement absolu, fondement de tout jugement possible.

Enfin, pour confirmer cette idée, l'opinion commune considère qu'on ne discute pas des goûts et des couleurs. L'art, lorsqu'il veut rivaliser avec la nature échoue, car répéter ce qui existe déjà ne peut aboutir qu'à une simple copie où la vie a disparu. C o m m e l e souligne Michel Serres : "Etre m ê m e d e b e a u t é , rien n'est aussi beau que le monde." (Le Contrat naturel.) L e b e a u e n art garde du monde la trace de l'innocence, le caractère désintéressé.

Ce n'est pas tel objet singulier qui est beau en soi, une œuvre de Van Gogh ou une sculpture de Moore, mais l'universel présent en eux. Kant dans la Critique du jugement distingue ce qui est beau de l'agréable, car ce dernier ne peut qu'être subjectif.

C e qui permet d e distinguer le beau d e l'agréable, c'est le critère d'universalité La beauté exige un accord entre les esprits et ceci d'autant plus que l'expérience montre une grande différence de jugement esthétique entre les hommes.

Les différentes formes que peut prendre le beau ne nous disent pas ce qu'est le beau, car aucun objet n'est beau en soi.

Mais ce qui fonde le jugement esthétique, c'est la croyance que mon jugement traduit la vérité de l'objet alors qu'il n'est que subjectif.

Cette subjectivité a néanmoins un caractère universel dans la mesure où elle est à l'oeuvre dans tous les esprits.

En effet dans le jugement esthétique, ce qui est affirmé d'un objet est considéré c o m m e ayant un statut d e vérité, comme s'il s'agissait d'un jugement logique : "Le beau est ce qui est représenté, sans concept, comme l'objet d'une satisfaction universelle." (Kant, Critique du jugement.) S'il n'y pas d'art sans idée du beau, l'art obéit aussi à une nécessité intérieure.

Il est très clair que l'art ne correspond pas seulement à un besoin d'expression immédiat de la réalité, mais qu'il est une forme de prise de conscience de cette réalité et que de ce fait il procure un nouveau regard sur le monde.

A ce sujet Hegel propose une synthèse remarquable : "Dans l'art il faut voir non pas je ne sais quel jouet plaisant ou agréable, mais l'esprit qui se libère des formes et du contenu de la finitude - la présence et la conciliation de l'absolu dans le sensible et l'apparence -, un déploiement de la Vérité qui ne s'épuise pas comme histoire naturelle, mais se révèle dans l'histoire universelle dont il est le plus bel aspect,- la meilleure récompense pour le dur travail dans le réel et les efforts pénibles de la connaissance".

(Hegel, Esthétique.) L'art nous dévoile la réalité.

Il nous ouvre le monde.

11 nous montre les objets, la nature, les êtres sous un jour qui nous apprend ce qu'ils sont.

Dans la vie ordinaire les choses se présentent à moi sous un aspect utile; avec l'art je dispose d'une vision pure du réel, d'une vision désintéressée.

Il nous ouvre la voie d e l'existence.

Il affirme la plénitude et la force à l'œuvre dans le réel ainsi q u e la volonté humaine magnifiée dans la création artistique. Sans art la vie humaine demeurerait à un stade grégaire, et le monde resterait dans sa matérialité.

Avec l'art la vie est embellie, un ordre se crée qui favorise le développement des vivants.

Nietzsche oppose à l'art comme puissance de vie, les beaux-arts qui ne gardent que l'aspect formel de l'art.

En ce sens l'art n'est plus une école de vie mais l'histoire des œuvres.

Les hommes sont souvent confrontés au malheur.

Ils souffrent des limites de l'existence.

L'art peut consoler en ce sens qu'il représente sur un plan objectif les souffrances de l'artiste.

Schopenhauer ( 1788-1860) évoque le fascinant spectacle de la vie que l'art propose à notre contemplation : "Ce côté purement connaissable du monde, sa reproduction par l'art sous une forme quelconque, est la matière sur laquelle travaille l'artiste." (Le monde comme volonté et comme représentation, IL) L'art permet ainsi à l'homme de dépasser la matérialité de son existence en accédant au s e n s d e la vie.

Dans le Banquet Platon suggère avec force que le but de la vie est la contemplation du beau.

Par cette contemplation l'âme accède à la vérité qui est le bien désiré par la philosophie : "Quel est le point de la vie où autant qu'en aucun autre imaginable, il vaut pour un homme la peine de vivre : quand il contemple la beauté en elle-même !" (Platon, Banquet.). »