Conscience psychologique et conscience morale
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«
RAPPEL DE COURS: LA CONSCIENCE MORALE
La conscience n'est pas seulement l'état intellectuel grâce auquel je suis présent à moimême.
Elle désigne aussi un état moral (ce qui se remarque au fait que le nom « conscience »
a donné deux adjectifs : « conscient » et «consciencieux»).
C'est ainsi que Rousseau dit de
la conscience qu'elle est un « instinct divin », c'est-à-dire un moyen immédiat et infaillible de
reconnaître le bien du mal.
La conscience est ici une « voix intérieure » qui est « un principe
inné de justice et de vertu » : les principes qui réglementent la moralité, écrit Rousseau, « je
les trouve au fond de mon cœur, écrits en caractères ineffaçables ».
Il y a d'ailleurs un lien
entre ces deux significations de la notion de conscience : c'est parce que nous sommes
intellectuellement conscients de ce que nous faisons que nous pouvons en être tenus pour
moralement responsables.
La conscience implique la responsabilité, c'est-à-dire la capacité de
pouvoir répondre de nos actes et de nos pensées.
I.
Le terme français conscience est ambigu; il n'a pas le même sens dans l'expression : « cet homme a perdu consc ience » et dans l'expression : « c'est un
être ignoble, dépourvu de conscience ».
Dans le premier c as, il s'agit d'un évanouissement, et perdre conscience c'est perdre la conscience psychologique,
c'est-à-dire cette intuition de l'existence du monde et de nous-mêmes qui, lorsque nous sommes éveillés , accompagne tous nos actes.
Dans le second cas,
il s'agit de la consc ience morale, c'est-à-dire de l'aptitude à porter des jugements de valeur sur la conduite humaine, à distinguer le bien du mal.
II.
Dans la plupart des langues étrangères nous trouvons deux mots différents pour désigner d'une part c o n s c i e n c e psychologique, d'autre part la
conscience morale (en anglais, respectivement consciousness et conscience en allemand, Bewusstsein et Gewissen).
Et il est clair, en effet, que ces deux
consciences ont des fonctions distinctes.
La conscience psychologique est un simple témoin, la conscience morale est un juge.
Tandis que la conscience
psychologique est une lumière qui constate ce qui est la conscience morale est comme une « voix » intérieure qui prescrit ce que nous devons faire.
La
conscience psychologique révèle ce qui est, la c onscienc e morale ordonne c e qui doit être (avant d'agir, ses jugements se présentent à nous s ous la forme
d'une exigence, d'un scrupule; après l'action, ils se traduisent par un sentiment de satisfaction ou de remords).
III.
Toutefois la conscience psychologique et la conscience morale ne sont pas sans relations.
En réalité, si le problème moral se pos e pour l'homme, c'est
d'abord parce qu'il a une c onscience au s e n s psychologique du mot.
L'animal n'a pas, semble-t-il, de c o n s c ience ps ychologique (tout au plus une
conscience très confuse) parce que, à toutes les situations que le milieu lui propose, il trouve une réponse toute faite dans ses réflexes innés ou dans les
automatis mes du dressage.
A u niveau humain, au contraire, entre la situation donnée et le comportement qui suivra, il y a comme une lacune, le temps
d'une hésitation, d'une réflexion - et cette lacune c'est en quelque sorte la conscience psychologique.
P rendre conscience de nos actes, c'es t prendre un
certain recul sur nos actes qui nous permet de concevoir d'autres actes possibles.
A voir conscience (au sens psychologique), c'est ne pas rester prisonnier
du présent et du réel, c'est c oncevoir l'avenir qui pourra être, le passé qui a été ou c elui qui aurait pu être.
A insi l'homme, en prenant conscience de s on
comportement, s'aperçoit qu'il peut agir de plus ieurs manières possibles.
A l'automatisme aveugle et c onfortable du monde animal, la simple conscience
psychologique subs titue déjà l'avènement du souci.
I V En somme, l'existence de la c o n s c i e n c e psychologique e s t la condition nécessaire d e la possibilité de la c o n s c i e n c e morale.
La conscience
psychologique nous ouvre la possibilité d'un choix entre divers ac tes possibles.
Et la conscience morale est l'ensemble des exigenc es, des prescriptions
que nous reconnais sons valables pour orienter c e choix.
V Le problème philosophique de la conscience morale es t celui de son fondement et nous entendons par là, non pas seulement l'origine, mais en même
temps la justification.
Qu'est-ce qui justifie, qu'est-ce qui fonde en raison les prescriptions de notre conscience ? S'il est en effet fort aisé d'énoncer une
liste d'obligations familières, il l'est moins de dire ce qui les justifie, ce qui constitue leur valeur.
Schopenhauer remarquait à ce propos qu'« il est plus fac ile
de prêcher la morale que de la fonder ».
V I.
Mais avant de résoudre c e problème, nous devons évidemment nous demander dans quelle mesure les prescriptions de la conscience sont universelles.
Sujettes à des variations infinies, on voit mal comment elles pourraient maintenir leur autorité.
« La cons cience morale n'es t pas quelque chose que l'on soit susceptible d'acquérir, et il n'y a pas de devoir ordonnant de s e procurer cette conscience;
mais tout homme, en tant qu'être moral, possède en lui, originairement, une telle consc ience.
» Kant, Doctrine de la vertu, 1797.
« Fouille en dedans .
C 'est en dedans qu'est la source du bien et elle peut jaillir sans cesse, s i tu fouilles toujours.
» M arc-A urèle, Pensées pour moimême, IIe s.
apr.
J.-C .
« La conscience morale est la raison pratique représentant à l'être humain s on devoir dans chaque cas où intervient une loi, que ce s oit pour l'acquitter ou
pour le condamner.
»
Kant, Doctrine de la vertu, 1797.
« Il est [...] au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d'autrui
comme bonnes ou mauvaises, et c'est à ce principe que je donne le nom de conscience.
» Rousseau, Émile ou De l'éducation, 1762.
« C onscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix; guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre; juge infaillible du
bien et du mal, qui rends l'homme semblable à Dieu, c'est toi qui fais l'exc ellence de sa nature et la moralité de ses actions.
» Rousseau, Émile ou De
l'éducation, 1762.
« Si tu éc outes tel ou tel jugement, comme la voix de ta conscience, en sorte que tu considères quelque chose comme juste, c'est peut-être parce que tu
n'as jamais réfléchi sur toi-même et que tu as accepté aveuglément ce qui, depuis ton enfanc e, t'a été désigné comme juste.
» Nietzsche, Le Gai Savoir,
1883.
« A u cours de mes années de bagne, je n'ai pas constaté chez mes camarades le moindre regret, le moindre malaise de conscienc e [...].
Le criminel,
insurgé contre la société, la hait; il considère presque toujours qu'il a raison et qu'elle a tort.
» Dostoïevski, Souvenirs de la maison des morts, 1862..
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