Conceptualisation du référent de la notion d' « acte inhumain »
Publié le 18/01/2024
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Table des matières
I) Conceptualisation du référent de la notion d' « acte inhumain » : correction...................................2
II) Principaux extraits du livre de Gitta SERENY sur lesquels s'est appuyée la conceptualisation du
référent de la notion d' « acte inhumain »........................................................................................6
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I) Conceptualisation du référent de la notion d' « acte inhumain » : correction.
Qu'affirme-t-on au juste quand on dit d'un acte qu'il est inhumain ?
Comment répondre à cette question sans partir de ce à quoi la notion d' « acte
inhumain » fait référence dans le champ de l'expérience humaine ? L'histoire de l'humanité
n'abonde-t-elle pas en actes de ce genre ? Dans un livre intitulé Au fond des ténèbres la
5 journaliste et écrivain Gitta SERENY rapporte les entretiens qu'elle eut avec Franz
STANGL, un des plus grands meurtriers de masse de l'histoire de l'humanité.
Franz
STANGL fut affecté au programme d’euthanasie des handicapés en Allemagne puis nommé
en Pologne, où il allait commander les centres d'extermination de Sobibor (entre mars et
septembre 1942) puis de Treblinka (jusqu’en août 1943), Treblinka où près de 900 000 Juifs
10 ont été gazés.
Qualifier ce meurtre de masse d' « acte inhumain » est une affirmation dont la
vérité semble tellement aller de soi, tellement relever de l'évidence, que la mettre en doute
serait propre à révolter la conscience humaine.
Toutefois se poser la question « Peut-on dire d'un acte qu'il est inhumain ? »
invite non pas à mettre en doute l'existence d'actes inhumains, mais à évaluer les fondements
15 des discours qui en viennent à caractériser certains actes d'« inhumains », et à se demander si
ces fondements ont bien l'évidence qu'on leur attribue.
C'est le doute jeté sur l'évidence de
ces fondements qui peut entraîner un doute sur l'existence de tels actes.
Mais peut-être faut-il
en passer par ces doutes pour échapper à un préjugé qui logerait dans l'attribution à certains
actes d'un caractère d'inhumanité et, du même coup, dans la condamnation morale et
20 juridique de tels actes : qui sait si ce préjugé ne serait pas une source de l'inhumanité des
actes qu'il condamnerait ?
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Sur quoi au juste se fonde-t-on quand on qualifie d’ « acte inhumain » le meurtre
de masse commis par Franz STANGL ? Qu'est-ce qui dans la nature de ce meurtre conduit à
le qualifier d'acte « inhumain » ? Les entretiens de Gitta SERENY avec Franz STANGL
peuvent aider à rendre compte de l'attribution d'un caractère inhumain à ce meurtre.
Un passage de ces entretiens fait bien éprouver l'expérience que Franz STANGL
cherchait à fuir en se tenant debout sur le mur et en voyant ceux qui, sortant nus et agglutinés
des baraques de déshabillage, avançaient dans le « couloir », en flot énorme, vers les
« douches » où ils allaient être gazés.
La réponse de Franz STANGL, à la question de Gitta
SERENY « Pour vous, quel était le pire endroit du camp ? » (L.145), est en effet riche
d'enseignements pour conceptualiser le référent de la notion d' « acte inhumain » et d'abord
pour commencer de bien sentir ce que l'on nomme inhumanité d'un acte.
Examinons cette
réponse.
Les baraques de déshabillage, de l'aveu même de Franz STANGL, étaient pour
lui « le pire endroit du camp » (L.145) de Treblinka : « C’est une chose que je repoussais du
plus profond de moi-même » (LL.146-147), répond-il à Gitta SERENY.
Mais pourquoi
repoussait-il du plus profond de lui-même les baraques de déshabillage ? Assurément parce
qu'elles étaient le lieu d'une expérience qu'il ne voulait pas vivre, d'une épreuve qui lui était
insupportable et qui ne pouvait que faire obstacle à l'exercice de sa fonction en tant que
commandant d'un camp d'extermination.
Pour assumer cette fonction qui était la sienne, il lui
fallait se délivrer de cette expérience, échapper à cette épreuve, et dans cette échappée
consistait précisément ce qui rendait possible l'accomplissement du meurtre de masse.
Mais quelle était donc cette expérience de vie, cette épreuve insupportable à
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laquelle Franz STANGL voulait échapper en repoussant les baraques de déshabillage du plus
profond de son être ? Répondre à cette question c'est peut-être commencer de sentir ce qui
fonde l'inhumanité d'un acte.
« Je ne pouvais pas les affronter » (L.147), dit-il.
Mais de qui
parle-t-il ? De « ceux qui allaient mourir » (L.148) dans le camp dont il était le commandant.
Mais de quel affrontement parle-t-il puisque ceux qui allaient mourir étaient de force
conduits à leur mort imminente ? Comment la faiblesse et l'impuissance de ceux qui allaient
mourir pouvait-elle se dresser contre la volonté et l'action d'un Franz STANGL qui
commandait alors le camp d’extermination ? Et pourtant c'est bien son impuissance à subir
cet affrontement qui est au cœur du propos de Franz STANGL : de façon paradoxale, au
regard du puissant et dans l'affrontement dont il parle, le puissant se définit lui-même comme
impuissant face à ceux qui allaient mourir sur ses ordres et ceux qui allaient mourir comme
exerçant sur lui une puissance insupportable.
Comment un tel paradoxe est-il possible ?
Comment le puissant peut-il être défini par son impuissance et ceux, qui sont impuissants à
repousser la violence qu'ils subissent, être définis par une puissance que leur bourreau n'est
pas en mesure d'affronter ? Mais quelle est donc cette puissance que, dans les baraques de
déshabillage, ceux qui allaient mourir et qui ne pouvaient rien faire contre leur mort
imminente – exerçaient sur Franz STANGL ? Comment pouvaient-ils, du fond de leur
impuissance, faire obstacle à la volonté et à l'action même de Franz STANGL attelé à la
tâche et à la responsabilité de leur extermination ?
La puissance de ceux qui allaient mourir consistait à rendre Franz STANGL
impuissant à leur mentir : « je ne pouvais pas leur mentir » (LL.147-148), avoue-t-il, alors
que le bon déroulement de l'extermination était bâti sur un mensonge, celui de faire passer un
camp d'extermination pour un camp de transit afin d'éviter des mouvements désordonnés de
panique qui auraient retardé le passage vers les chambres à gaz.
Impuissant à leur mentir,
Franz STANGL pouvait encore moins leur parler : « j’ai évité par tous les moyens de parler à
ceux qui allaient mourir ; je ne pouvais pas le supporter » (LL.148-149).
Mais qu'est-ce donc qui rendait insupportable à Franz STANGL de mentir et de
parler à ceux qui, dans les baraques de déshabillage, allaient mourir ?
Pour répondre à cette question, il faut se tourner vers ce qui permettait à FRANZ
STANGL d'échapper au sentiment de son impuissance à les affronter, à leur mentir, à leur
parler.
Comment parvenait-il à cette échappée sans laquelle le meurtre de masse ne pouvait
75 pas, ne pouvait plus s'opérer ? La réponse à cette question est dans ce moment des entretiens
où Franz STANGL continue de parler à Gitta SERENY « avec une gravité extrême et avec
l’intention évidente d’atteindre une nouvelle vérité en lui-même » (LL.106-107) : « Voyezvous, je les ai rarement perçus comme des individus.
C’était toujours une énorme masse.
Quelquefois j’étais debout sur le mur et je les voyais dans le "couloir".
Mais — comment
80 expliquer — ils étaient nus, un flot énorme qui courait conduit à coups de fouet comme… »
(LL.107-110).
Le propos de Franz STANGL fait ainsi écho à ce qu'il disait précédemment
« d'un ton neutre » (L.89) : « C’était une cargaison.
Une cargaison.
» (L.89) Cette parole est
d'importance dans le livre de Gitta SERENY puisqu'elle le commente ainsi :
« Sa main s’est levée, puis est retombée en un geste de désespoir.
Nous avions
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tous deux baissé la voix.
Ce fut un des rares moments où, durant ces semaines
d’entretien, il n’a fait aucun effort pour dissimuler son accablement, et son
chagrin sans espoir suscitait un instant la sympathie » (LL.89-92).
S'échapper de son impuissance face à ceux qui allaient mourir c'était pour Franz
STANGL ne plus les voir autrement que comme « une cargaison » (L.89) : on remarquera
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90 qu'à cette expression « une cargaison », immédiatement et douloureusement répétée par
Franz STANGL, font écho deux autres expressions : « une énorme masse » (L.108), « un flot
énorme » (L.110).
Pour échapper au sentiment de son impuissance il fallait à Franz STANGL
ne plus voir ceux qui allaient mourir que comme une cargaison, une énorme masse, un flot
énorme, où donc la pluralité de ceux qui allaient mourir était ainsi fondue dans l'unité d'une
95 masse : masse où disparaissait cette pluralité et qui s'écoulait en un flot vers les chambres à
gaz.
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Que fallait-il donc pour que Franz STANGL se délivre du sentiment de son
impuissance ? Qu'il cesse de sentir comme une pluralité ceux qui allaient mourir.
Ce qui
soulève plusieurs questions : quelle était cette pluralité ? Pourquoi faisait-elle obstacle à....
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