Comprendre autrui, comprendre un théorème mathématique ; dans ces deux formules, le terme « comprendre » a-t-il le même sens ?
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«
Comprendre autrui, comprendre un théorème ; dans ces deux formules, le terme « comprendre » a-t-il le
même sens ?
introduction.
— Il ne nous suffit pas de constater : nous voulons comprendre.
Ce désir de compréhension se
manifeste à l'égard des autres : intrigués par leur comportement, nous sommes curieux de connaître leurs idées,
leurs goûts, les mobiles ou les motifs qui les inspirent...
Chez le vulgaire cette curiosité est souvent vaine et parfois
malveillante.
Chez le psychologue, au contraire, elle se justifie par le propos de déterminer le comment et le
pourquoi des conduites humaines.
A plus forte raison ceux qui étudient, non plus des personnes mais des choses ou
des êtres purement idéaux — le physicien et le mathématicien — ne cèdent-ils qu'à des intérêts intellectuels : ils ne
veulent que comprendre, c'est-à-dire établir des rapports intelligibles comme ceux de causalité, de finalité ou
d'identité.
Mais ce verbe a-t-il partout le même sens ? Comprenons-nous autrui comme nous comprenons un théorème
mathématique ?
I.
— COMPRENDRE AUTRUI
A.
« Autrui », tout familier que soit le mot, mérite qu'on s'y arrête.
Seuls les hommes, et seulement dans la mesure où nous nous sentons en communauté avec eux, entrent dans son
extension.
Mais, semblables quant aux caractères essentiels de la nature humaine, ces hommes diffèrent considérablement les
uns des autres et en particulier de celui qui cherche à les comprendre : ils sont aussi ce que les ont faits leur
constitution organique et leur hérédité, l'éducation et les divers milieux auxquels ils appartiennent.
Pour le
mathématicien, il n'y a que les types d'êtres qu'il a définis ; chacun de ces types est conçu comme pouvant se
multiplier à l'infini, mais en les multipliant il n'obtient rien de nouveau, le centième exemplaire est rigoureusement
identique au premier.
Il n'en est pas de même dans le monde naturel où il est bien difficile sinon impossible de
trouver deux échantillons minéraux, et à plus forte raison deux animaux, présentant une identité de ce genre.
Mais
dans le monde humain, du fait de l'intervention de la conscience, la diversification est bien plus accusée : « autrui »
dit moins « semblable à moi » que « différent de moi ».
D'où un mode particulier de compréhension.
B.
Précisons d'abord ce qu'il faut entendre par «comprendre autrui ».
C'est le plus souvent à propos d'un fait particulier que nous disons : « je vous comprends » ou « je le comprends ».
Comprendre quelqu'un, dans ce cas, c'est découvrir la cause d'un sentiment ou d'une conduite, le motif d'une
décision, le but d'une activité...
Mais parfois c'est l'ensemble de la personnalité qu'on a en vue : « comprendre » est pris au sens étymologique de «
saisir avec, en même temps ».
Je comprends quelqu'un en ce sens lorsque, connaissant son passé et les conditions
présentes de sa vie, son tempérament et son caractère..., ce que je vois de lui, et ce que j'en devine — sa
conduite, ses sentiments — ne m'étonnent pas et me paraissent naturels.
J'ai l'impression que cet ensemble est
cohérent, le tout s'expliquant par éléments et les éléments subissant l'influence du tout.
C.
Mais comment est obtenue cette impression ? Comment comprenons-nous autrui ?
Voilà la question essentielle de cette partie de notre travail.
Dans la compréhension des autres comme dans celle des choses intervient un certain savoir, ce que nous savons
sur l'homme.
Tout un savoir psychologique est consigné dans le langage à l'élaboration duquel ont contribué les
expériences séculaires de nos ascendants ; il s'explicite dans maintes maximes qui font partie de la culture de base
d'un pays.
A ce savoir reçu du milieu s'ajoute l'acquis de l'expérience personnelle.
Enfin, un enseignement de la
psychologie peut mettre de l'ordre dans ces connaissances communes à tous et les approfondir.
Mais — à prendre les mots au sens qu'on leur donne aujourd'hui — ce savoir nous permet surtout d'expliquer, c'està-dire de déterminer la loi générale qui intervient dans le cas ou dans le type observé.
La véritable compréhension
se fait par expérience vécue.
Pour comprendre autrui, nous ne mobilisons pas notre savoir psychologique.
Nous
étant trouvés dans des situations analogues à la sienne, par la pensée, nous nous mettons à sa place et
expérimentons ce qu'il éprouve lui-même.
Alors que dans l'explication d'autrui à l'aide du savoir dominent les
processus discursifs, la compréhension est essentiellement intuitive.
Ce n'est même pas assez dire : mon intuition
des sentiments d'autrui diffère de celle que j'ai du soleil qui brille ; ces sentiments, je les vis en même temps que je
les connais.
C'est pourquoi nous parlons d'expérience vécue.
Cette expérience et la compréhension qu'elle procure est inévitablement très personnelle.
D'abord le savoir
psychologique qu'elle suppose manque de rigueur scientifique et varie considérablement d'un observateur à l'autre.
Ensuite et surtout, nous avons beau nous mettre à la place d'un autre, chacun expérimente avec ce qu'il est, avec
son tempérament, ses tendances, son affectivité propres.
Aussi — historiens et critiques littéraires nous le montrent
suffisamment — on peut comprendre autrui de diverses manières.
Cette expérience compréhensive n'est évidemment pas possible en mathématiques : nous ne comprenons pas un
théorème comme nous comprenons autrui..
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