Comparez passion et volonté ?
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INTRODUCTION.
— La plus grande partie de notre activité — intérieure aussi bien qu'extérieure — est automatique : nous pensons et
agissons comme on pense et comme on agit autour de nous, ou comme nous avons pris l'habitude de penser et d'agir.
Mais il nous arrive
aussi de briser avec nos routines, ou du moins de nous dégager pour un instant de leur emprise ; parfois, c'est un désir devenu dominant
et exclusif, une passion, qui nous forge en quelque sorte une âme nouvelle et bouleverse profondément notre activité coutumière; plus
souvent, un cas de conscience complexe, un problème pratique peu familier nous prenant au dépourvu, nous devons suspendre le
déroulement automatique de notre action afin de délibérer sur la conduite à suivre, substituant alors à l'automatisme coutumier la façon
d'agir dite volontaire.
La passion et la volonté étant spécifiquement humaines, tandis que l'activité automatique nous est commune avec les animaux, il sera
intéressant de comparer ces deux faits psychiques dont la connaissance est si importante pour la psychologie de l'homme, et encore plus
pour la pratique morale et la conduite de la vie.
I.
Les ressemblances.
— On représente volontiers la passion comme le règne de la.
pure affectivité, tandis que la volonté suppose la
domination de la pure pensée.
Mais cette opposition est par trop simpliste.
a) Si la passion consiste dans l'exaspération d'un désir, le désir reste le ressort essentiel de la volonté.
Sans doute, nous sommes amenés, dans la délibération, à renoncer à certains désirs, à sacrifier des jouissances auxquelles nous
aspirions.
Mais ce renoncement et ce sacrifice ne sont possibles que grâce à la perspective de jouissances encore plus désirables.
Le jeune
homme tombé vaillamment au combat nous parait plus enviable que celui qui n'a échappé au danger et à la mort que par des
manoeuvres habiles peut-être mais peu avouables.
b) D'autre part, l'acte volontaire est essentiellement réfléchi.
Mais il ne faudrait pas croire que la passion ne comporte aucune
collaboration de l'intelligence : il suffirait, pour rendre cette hypothèse peu vraisemblable, de rappeler qu'on n'observe point de passion
chez les animaux.
Quand l'homme est passionné, ses fonctions cognitives sont puissamment stimulées : Stendhal a décrit, sous le nom
de cristallisation, le travail de l'esprit cherchant et trouvant partout des raisons nouvelles d'admirer l'objet de son amour; par ailleurs, nous
le savons bien, il arrive qu'un individu à la pensée inerte s'éveille sous l'excitation d'une passion, devienne ingénieux, pénétrant ou
même spirituel.
c) Enfin, la passion n'est pas un état purement affectif et passif.
Le passionné, comme le volontaire, est un actif.
Il ne reste pas en place.
Il a toujours projets en tête.
Les efforts les plus pénibles, les tâches les plus absorbantes, ne l'arrêtent pas.
Par là encore, la passion se
rapproche de la volonté.
Souvent, d'ailleurs, la collaboration de la passion et de la volonté est si intime en nous qu'il est difficile de faire
le départ du passionnel et du volontaire dans notre activité.
II.
Les différences.
— Il n'en est pas moins vrai que, considérées en elles-mêmes et pour ainsi dire à l'état pur, passion et volonté
diffèrent profondément et constituent comme les deux pôles opposés de l'activité humaine.
a) Sans doute, nous trouvons des désirs à l'origine de l'acte volontaire comme à l'origine de la passion.
Mais le désir devenu passion a
étouffé tous les autres désirs ou se les est subordonnés : dans l'âme du passionné, il n'y a plus qu'un seul intérêt, auprès duquel rien
d'autre ne compte; toutes ses pensées gravitent autour de l'objet aimé, et s'il se prête à des considérations différentes, il ne s'y donne
pas.
Au contraire, celui chez qui la volonté est maîtresse reste ouvert à toutes sortes de pensées et sensible à de multiples intérêts : il
peut être amoureux, mais en même temps attaché à ses parents, soucieux de sa réputation et de sa fortune, ami de la bonne chère...
De plus, il est tonte une classe de désirs qui ne peuvent se tourner en passion et constituent le ressort des actes le plus vraiment
volontaires, ceux qui sont le plus conformes aux indications de la raison : les désirs supérieurs, qui ont pour objet le beau, le vrai et
surtout le bien.
Le passionné ne cherche jamais que son propre avantage, ou plutôt ce qu'il juge tel; l'homme de désir, au contraire, peut
faire abstraction de lui-même et s'élever à la considération des intérêts supérieurs de la morale, de la patrie, de l'humanité, et c'est par
un acte de volonté libre qu'il se hausse, au-dessus du niveau des tendances spontanées de sa nature.
b) C'est que la volonté suppose le libre jeu de l'esprit et l'indépendance de la raison; l'intelligence du passionné, au contraire, est
fonctionnalisée et asservie.
Lorsque je délibère sur l'opportunité d'une décision à prendre, j'envisage méthodiquement toutes les
conséquences possibles de ma détermination; je me place aux différents points de vue à considérer et ne néglige aucun intérêt notable.
Au lieu de m'abandonner à la première impression, je renvoie à plus tard la réponse définitive; je sais que des motifs nouveaux peuvent
se présenter d'eux-mêmes et que la nuit porte conseil.
J'attendrai pour me décider que je me sois assuré de la sagesse de ma décision
et de l'improbabilité de pouvoir aboutir à une, décision plus sage.
Au contraire, si le passionné est stimulé pansa passion même à
chercher et à réfléchir, le cercle de ses rechercher el de sa réflexion est extrêmement limité; il ne peut penser qu'à une chose, à l'objet de
sa passion, aux raisons ou aux prétextes qui la justifient, aux moyens de la satisfaire.
Ayant son siège fait et son but arrêté, il procède
sans critique, ne retenant que les seuls faits qui, confirment ses préjugés ou des désirs, fermant les yeux à l'évidence et accordant à des
présomptions ou à des constructions imaginatives la valeur de preuve.
Le désir passionnel, ne domine donc pas seulement tous les autres
désirs : il domine aussi l'intelligence.
c) On pourrait dire aussi qu'il domino la volonté entendue dans le sens de pouvoir d'agir en se déterminant soi-même.
Si le passionné est
un grand actif, dans son activité, il fait preuve de la même passivité que; celui qui est mené par la peur ou par la colère.
Capable, grâce à
l'impulsion parfois farouche qui lui vient de sa passion, de maîtriser les choses et de.
dominer les hommes, il est à son tour maîtrisé par
sa passion et dominé par l'idée fixe qui s'est implantée en lui.
Le volontaire, au contraire, reste maître de son action; il peut, en quelque
sorte, jouer avec lui-même comme le cavalier joue avec son cheval, le conduisant avec souplesse et douceur là où il veut.
Il n'aura sans
doute pas l'énergie irrésistible du passionné, mais il évitera aussi ces coups de tête qui sont un retour à la bestialité.
CONCLUSION.
— Il y a donc une opposition fondamentale entre la passion proprement dite et la volonté : la passion supprimé le pouvoir
de délibérer et, par suite, de prendre une décision vraiment volontaire.
Mais si nous prenons passion au sens faible, désignant par ce mot
un désir plus vil ou un attachement plus prolongé, la passion peut facilement composer avec la volonté et même devenir son auxiliaire.
L'acte volontaire est en effet une synthèse de toutes les forces psychiques qui agissent en nous.
Cette synthèse sera bien difficile chez
celui qui n'est pas quelque peu passionné ; ou bien il hésitera indéfiniment, n'aboutissant jamais à une décision dans laquelle
s'harmonisent ses tendances; ou bien il flottera, au gré de l'impression du moment, entre des décisions contradictoires.
Mais qu'un désir,
sans devenir exclusif, parvienne à prédominer, la coordination des tendances se fera comme spontanément et le jeu de la volonté en sera
facilité.
Avoir dans sa vie un grand désir qui donne à notre volonté quelque chose de l'énergie spontanée de la passion, voilà le moyen de faire
de grandes choses tout en restant une grande âme..
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