Comparez ces trois termes: suggérer, persuader, convaincre ?
Extrait du document
Je réserve une attitude hostile à telle opinion politique ou à tel individu. Sur le moment, j'ignore pourquoi. En y réfléchissant, plus tard, je comprends pourquoi j'ai eu cette attitude. Sans que j'y prenne garde, on m'avait mis dans la tête que cet individu ne pouvait que me tromper, que ce parti politique était dans l'erreur. On ne m'avait rien expliqué, on s'était borné à me suggérer quelque chose. Je sors. Soudain une inquiétude m'envahit. Ai-je oui ou non laissé la clé du gaz ouverte ? Comme je suis pressé et qu'une fois sur deux, malgré tout, je n'oublie pas de la fermer, je conclus que je l'ai fermée. Je continue ma route, l'esprit plus tranquille. Je suis parvenu à m'en persuader. J'ai longtemps cherché la solution d'un problème de mathématiques. Un ami plus expert que moi m'apporte la solution. J'entre dans ses vues, j'en conviens. J'en suis convaincu. Dans ces trois cas, je crois. Cependant ma croyance n'a pas la même valeur. Dans le premier, mes préventions étaient fausses; j'ai appris plus tard que ce parti politique représentait l'intérêt national; dans le second, la clé du gaz était effectivement ouverte, dans le troisième, j'avais raison d'en convenir, la solution du problème était l'évidence même.
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Je réserve une attitude hostile à telle opinion politique ou à tel individu.
Sur le moment, j'ignore pourquoi.
En y réfléchissant, plus tard, je
comprends pourquoi j'ai eu cette attitude.
Sans que j'y prenne garde, on m'avait mis dans la tête que cet individu ne pouvait que me
tromper, que ce parti politique était dans l'erreur.
On ne m'avait rien expliqué, on s'était borné à me suggérer quelque chose.
Je sors.
Soudain une inquiétude m'envahit.
Ai-je oui ou non laissé la clé du gaz ouverte ? Comme je suis pressé et qu'une fois sur deux,
malgré tout, je n'oublie pas de la fermer, je conclus que je l'ai fermée.
Je continue ma route, l'esprit plus tranquille.
Je suis parvenu à
m'en persuader.
J'ai longtemps cherché la solution d'un problème de mathématiques.
Un ami plus expert que moi m'apporte la solution.
J'entre dans ses
vues, j'en conviens.
J'en suis convaincu.
Dans ces trois cas, je crois.
Cependant ma croyance n'a pas la même valeur.
Dans le premier, mes préventions étaient fausses; j'ai appris
plus tard que ce parti politique représentait l'intérêt national; dans le second, la clé du gaz était effectivement ouverte, dans le troisième,
j'avais raison d'en convenir, la solution du problème était l'évidence même.
Dans les trois exemples considérés, il s'agit d'un acte de croyance qui présente en gros les mêmes caractéristiques.
A tort ou à raison je
décide qu'il en est ainsi et j'adhère de toutes mes forces à une idée que j'affirme exacte.
Cet acte d'adhésion relève de la volonté et il se retrouve dans tous les exemples de croyance et, même si l'on en croit les subtiles
analyses de Lagneau, dans tous les jugements.
Je dis : la rose est odorante.
Mon jugement me paraît objectif et il ne semble pas contenir autre chose que deux concepts qui se suffisent,
semble-t-il, à eux-mêmes : la rose d'une part, l'odeur de l'autre.
Cependant si j'y regarde mieux, je retrouve à l'intérieur de ce jugement
une adhésion implicite, j'affirme que la rose est odorante.
C'est ainsi que mon esprit est toujours présent.
Ma volonté, mon pouvoir de
faire que le monde existe ou non sont toujours en éveil.
Sans doute m'a-t-on suggéré, c'est-à-dire introduit dans l'esprit, ce parti pris dont je suis la première victime.
Mais il n'en reste pas moins
que soit ignorance, soit manque de réflexion, je l'ai fait mien.
Dans ce sens, je suis responsable (et responsable seul) de mes erreurs.
Dans le cas de la persuasion, ma croyance repose sur de mauvaises raisons.
Mais elles flattaient telle ou telle tendance de ma nature.
Avec plus ou moins de bonne foi, j'ai accepté de croire.
Le cas de la conviction est le seul où ma croyance se fonde sur des raisons rationnelles.
J'adhère parce qu'il n'y a pas moyen de faire
autrement, parce que je suis vaincu (étymologiquement, vaincu avec.) L'acte de volonté qui me fait affirmer ou adhérer, à l'analyse,
semble identique.
Je pense toujours avec tout mon être et suis capable de défendre avec autant de force la vérité, le mensonge, ou
l'erreur.
Si cependant l'acte de croire est identique sur le plan subjectif, il est très différent sur le plan objectif.
Affirmer une vérité, un mensonge ou
une erreur, ce n'est pas du tout la même chose et les conséquences peuvent être fort différentes.
La responsabilité de celui qui suggère,
de celui qui persuade ou de celui qui convainc, au sens que nous avons donné à ces mots, n'est pas du tout la même.
Ces distinctions
s'établissent non plus à partir de l'acte de la volonté mais du contenu de la croyance.
Il faut, en conséquence, distinguer deux cas
principaux.
Le premier est celui où l'objet de la croyance, — la mienne ou celle de l'homme que je veux persuader — n'est pas clair.
Malgré cette
absence de clarté, je puis maintenir mon affirmation.
Si j'ignore que l'objet de ma croyance n'a pas été élucidé, il s'agit d'une erreur.
Si je
sais que cet objet n'est pas clair et si je maintiens une affirmation erronée en la sachant erronée, on pourra parler de mauvaise foi ou de
mensonge.
Dans l'hypothèse où l'objet de la croyance n'est pas clair une autre attitude d'ailleurs reste possible, celle qui consiste à
suspendre son jugement en attendant que l'objet soit devenu clair.
C'est le doute.
On remarquera que le doute n'a dans cette description
aucun caractère négatif, ce qui semblerait suggérer le célèbre adage : « Dans le doute, abstiens-toi », mais au contraire, présente une
valeur positive : je constate que l'objet de mon jugement n'est pas clair, je décide de le clarifier et jusque là, me propose de ne formuler
aucun jugement.
Le doute ainsi constitue une étape vers le jugement vrai, vers la connaissance scientifique.
On sait d'ailleurs le rôle que
Descartes lui donne dans sa méthode.
Claude Bernard, de son côté, fait de ce qu'il appelle « le doute expérimental », un élément
essentiel de la « méthode scientifique ».
La deuxième éventualité est celle où l'objet de ma croyance est clair.
L'adhésion que je lui ai accordée est donc valable et je n'ai aucune
raison de la lui refuser.
Sans doute, pourrait-on alléguer que, dans ce cas, ma volonté se trouve déterminée.
C'est vrai.
Mais la véritable
volonté ne consiste point à affirmer ce qui n'est pas, mais tout au contraire ce qui est et la détermination par le vrai est la seule
détermination qui reste libre.
Comme dit Descartes : « d'une parfaite clarté dans l'entendement, résulte une parfaite détermination dans
la volonté.
» Dans ce cas, Descartes parle aussi d'évidence.
Il s'agit effectivement d'une vision directe de la réalité, vision qui peut
présenter les caractères d'une évidence logique en mathématiques par exemple, ou au contraire d'une certitude quasi absolue dans les
sciences expérimentales ou humaines où la certitude est fondée sur l'expérience, à partir d'un maximum de probabilités.
Suggérer, persuader, convaincre sont donc des opérations psychologiques qui paraissent se ressembler par le rôle qu'elles accordent
toutes trois à l'adhésion du sujet.
Mais en fait, ces trois opérations sont profondément distinctes et n'ont pas la même valeur.
On peut sans doute suggérer des choses exactes, on peut persuader, c'est-à-dire recourir aux raisons affectives que l'on a de vous croire
sur des sujets où l'on dispose des connaissances véritablement scientifiques, mais alors pourquoi se borner simplement à suggérer et à
persuader ? Il serait beaucoup plus utile de convaincre, c'est-à-dire d'expliquer jusqu'à ce que l'adversaire devienne un partisan.
La certitude scientifique, en moi comme en autrui, est à ce prix.
Il faut d'abord que j'aperçoive les contradictions de mon attitude et les
raisons que j'avais de me tromper — en particulier cette volonté de croire au fond de moi qui, comme dit W.
James « lorsqu'elle devient
consciente est une raison de douter » suspens alors mon jugement.
C'est là l'acte essentiel par lequel la pensée mesure son pouvoir et
renonçant à connaître, en fait se prépare à connaître.
L'esprit se trouve donc renvoyé au monde extérieur, à l'expérience.
C'est d'elle en effet qu'il tire sa force.
Il doit se confronter sans cesse
à elle et rapporter sa réflexion à l'objet qui lui donne un sens.
La volonté, c'est-à-dire l'acte par lequel j'adhère à un jugement en conséquence, n'est pas non plus indifférente et identique comme nous
avions cru pouvoir l'affirmer dans une première analyse.
La volonté vaut fout juste ce que vaut l'entendement où l'idée à laquelle elle
adhère.
Et Descartes lui-même qui parle pourtant de la volonté comme d'un acte infini et identique dans tous les cas, laisse entendre
d'autre part qu'il y a divers types d'adhésion qui n'ont pas tous la même valeur.
Ainsi, par exemple, l'acte par lequel je choisis une
alternative pour user de mon libre arbitre — ce qu'il appelle la « liberté d'indifférence », est « le plus bas degré de la liberté ».
Par contre,
l'acte par lequel j'adhère à une idée juste est le degré le plus haut de ma liberté — l'expression la plus valable de ma qualité d'homme.
Brochard disait que « rien n'est plus à nous que nos erreurs ».
Peut-être, mais rien n'est plus digne de nous que nos vérités..
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