Communiquer est-ce nécessairement échanger ?
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Communiquer est-ce nécessairement échanger ?
On parle de communication dès lors qu’il y a transmission d’un message entre un émetteur et un récepteur, par l’intermédiaire d’un code, en l’occurrence de la langue. Mais communiquer, ce n’est pas simplement utiliser des signes qui auraient déjà une valeur en eux-mêmes, il s’agit de se les approprier, et par là d’analyser le monde qui nous entoure.
Si communiquer, c’est échanger des informations, au sens de connaissances constituées, sur le modèle d’une conversation téléphonique, il existe un travail sur ces dernières par l’intermédiaire de la langue. Par l’appropriation du langage, la communication est également synonyme de travail sur le monde. Car si le schéma de la communication tel qu’établi par Saussure semble être neutre, proche de la machine, l’usage de la langue n’est pas anodin.
Puisque communiquer, c’est non seulement échanger des informations mais aussi les modeler, il est possible de préciser cette définition de manière négative. Hegel, dans L’Encyclopédie des Sciences Philosophiques, à la section qu’il consacre à la Philosophie de l’Esprit, souligne que l’ineffable, ce qui nous semble ne pas pouvoir être communiqué, relève en fait de la pensée obscure, mal déterminée. Or, c’est en communiquant, en trouvant le mot adéquat, que la pensée est réellement, pleinement. Ainsi, communiquer c’est avant tout sortir de l’intériorité pour affronter la négativité extérieure.
ð Il faut voir dans l’échange non un processus neutre de don contre don, mais une lutte pour l’autonomie de la pensée par l’intermédiaire du mot juste.
«
Les animaux, s'ils ne disposent pas du langage, peuvent échanger des informations en utilisant des attitudes, des grognements, ou en émettant des phéromones.
Pour
autant, on ne parle que rarement de « communication animale » : il semblerait que les échanges entre les animaux ne relèvent pas de la même catégorie que ceux
des humains.
A s'interroger sur l'essence de la communication, il semble donc qu'il nous faut nous concentrer sur le rôle du langage : c'est par lui que nous pensons, que nous
extériorisons nos pensées, que nous nous définissons dans l'échange.
Mais ce dernier terme pose lui aussi problème : comment considérer ce qui est à l'œuvre entre
un émetteur et un récepteur ? Comme un don contre don ? Comme un affrontement déguisé dans l'affirmation du « Je » ?
Enfin, comme les animaux, il est à l'œuvre des informations que nous ne considérons pas comme des « connaissances constituées », qui sont d'un autre type :
émotions, passions, etc.
Quel est leur statut dans le processus communicationnel ?
On le voit, poser le problème de ce qui est à l'œuvre dans la communication questionne autant les us du langages que la manière dont ils façonnent la subjectivité.
La communication comme système
On parle de communication dès lors qu'il y a transmission d'un message entre un émetteur et un récepteur, par l'intermédiaire d'un code, en l'occurrence de la
langue.
Mais communiquer, ce n'est pas simplement utiliser des signes qui auraient déjà une valeur en eux-mêmes, il s'agit de se les approprier, et par là d'analyser
le monde qui nous entoure.
Si communiquer, c'est échanger des informations, au sens de connaissances constituées, sur le modèle d'une conversation téléphonique, il existe un travail sur
ces dernières par l'intermédiaire de la langue.
Par l'appropriation du langage, la communication est également synonyme de travail sur le monde.
Car si le
schéma de la communication tel qu'établi par Saussure semble être neutre, proche de la machine, l'usage de la langue n'est pas anodin.
Puisque communiquer, c'est non seulement échanger des informations mais aussi les modeler, il est possible de préciser
cette définition de manière négative.
Hegel, dans L'Encyclopédie des Sciences Philosophiques, à la section qu'il consacre
à la Philosophie de l'Esprit, souligne que l'ineffable, ce qui nous semble ne pas pouvoir être communiqué, relève en fait
de la pensée obscure, mal déterminée.
Or, c'est en communiquant, en trouvant le mot adéquat, que la pensée est
réellement, pleinement.
Ainsi, communiquer c'est avant tout sortir de l'intériorité pour affronter la négativité extérieure.
Il faut voir dans l'échange non un processus neutre de don contre don, mais une lutte pour l'autonomie de la pensée par
l'intermédiaire du mot juste.
Genèse de la communication
S'interroger sur ce qui est en jeu dans la communication nécessite d'examiner les premiers usages du langage : il fut avant
tout geste, dicté par le besoin, puis, suscité par la passion, il devint parole.
Rousseau, dans son Essai sur l'origine des
langues précise qu'avant de parler, l'homme chantait au tempo de sa passion.
Ce n'est qu'en se socialisant, autour des
points d'eau ou des feux, que le langage acquiert sa spécificité articulée.
Communiquer, ce n'est pas échanger des informations impersonnelles, des connaissances, mais essentiellement,
originellement, « émouvoir un jeune coeur, (…) repousser un agresseur injuste ».
Ce n'est qu'en subsumant sous le terme
d'informations des données aussi diverses que les émotions et les passions qu'il est possible de parler d'un tel échange.
De plus, communiquer, ce n'est pas uniquement se servir de sons articulés qui feraient sens préalablement à ce que nous
disons ou écrivons.
Que ce soit dans la parole ou dans l'écrit, celui qui émet le message pense dans le message.
Nous
habitons les mots que nous disons (Cf.
Merleau-Ponty, Le langage indirect et les voix du silence) : avant même d'échanger
le contenu du message avec autrui, je suis en contact avec autrui dans sa manière de dire.
Communiquer, ce n'est pas simplement échanger une connaissance préexistante, mais bien se révéler dans l'usage même du langage, penser à travers lui : je
me révèle autant que le message en jeu dans le processus communicationnel.
Par ailleurs, il paraît utile de reprendre l'analyse kantienne du langage, développée dans l' Anthropologie du point de vue pragmatique : lorsque l'enfant commence à
parler, et donc à vouloir communiquer avec son entourage, ce n'est qu'assez tard qu'il associe le « Je » à sa personne, parlant auparavant de lui-même à la troisième
personne du singulier.
C'est que la maîtrise du langage, le véritable échange passe par la fondation de la subjectivité.
Je ne donne pas simplement au monde une
information concernant mon état qui attend réponde de l'entourage, je m'affirme dans ce monde en tant qu'entité à part entière.
Communiquer, c'est passer par l'échange langagier du sentiment de soi même à la pensée de soi même : essentiellement, ce n'est pas l'échange
d'informations qui est au cœur du processus mais bien la révélation de l'être au monde.
L'information n'est qu'un médium, non ce qui fait l'essence de la
communication.
Quand communiquer, c'est agir
C'est dans les usages performatifs du langage, tels que définis par Jakobson que l'on trouve ce qui différencie profondément une communication artificielle, telle que
peuvent le faire les ordinateurs lorsqu'il échangent des données, de la communication humaine.
Un ordinateur ne peut user symboliquement du langage, il ne
communique que des données sans que cela modifie son être.
En revanche, dans des emplois de la langue tels « je vous déclare mari et femme » ou « je te bénis »,
la langue est synonyme d'acte, de modification de l'être qui entend ces paroles.
Communiquer, dans ce cas, ce n'est pas essentiellement échanger des informations
mais opérer une modification sur l'essence de l'être.
L'échange, entre celui qui émet le message et celui qui le reçoit fait certes partie intégrante du processus, pour autant, cet échange ne peut être mesuré en
terme d'avoir mais sur la modalité de l'être.
Ce n'est plus en termes de connaissances constituées qu'il s'agit de penser, mais en tant que la connaissance
modifie l'être lui-même.
Mais si dans le discours performatif, il est encore aisé d'identifier l'émetteur du message et celui qui le reçoit, dans la mesure où l'on peut identifier un certain
consentement de la seconde partie évoquée, le mode de communication actuel le plus fréquent consiste d'avantage en un assénement d'informations qu'en leur
échange.
Il s'agit, cela est particulièrement visible dans les stratégies publicitaires, d'un mode de communication basé sur la création de besoins chez les
consommateurs : non pas une communication qui modifie l'être, comme dans le discours performatif, mais qui vise la création de besoins, qui se rapporte à l'avoir.
Communiquer pour modeler l'image de l'autre aux envies du publicitaire : ce serait acquérir pour devenir autre.
Communiquer, dans le monde contemporain, ce n'est plus essentiellement échanger des informations, mais travailler sur leur modes de transmission de
manière à les rendre les plus attrayantes possibles.
Communiquer, c'est leurrer.
En conclusion, il est manifeste qu'on ne peut réduire la communication à un échange neutre, sur le modèle d'un transfert : par l'intermédiaire du langage, c'est non
seulement ladite information qui se trouve travaillée, mais aussi celui qui l'émet et celui qui la reçoit.
Ce qui est à l'œuvre dans la communication, ce ne sont pas
seulement des connaissances rationnelles, mais également ce qu'il ne nous est pas possible de cerner rationnellement : l'implicite fait partie de tout processus de ce
type, implicite qu'il ne nous est possible d'approcher que par l'intuition..
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