Commentez cette pensée de G. Bachelard : « L'essence même de la réflexion, c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris. » ?
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CONSEILS PRELIMINAIRES 1. La pensée de Bachelard est rédigée dans un style apparemment paradoxal où la compréhension est définie comme l'opération par laquelle on comprend qu'on n'avait pas compris. Rapprocher de la formule de James : « La volonté de croire, lorsqu'elle est consciente, devient une raison de douter. » Bachelard fait allusion au rôle positif du doute, de l'erreur dans l'effort qui mène au jugement vrai. On remarquera l'imparfait (qu'on n'avait pas compris) qui indique que la réflexion comporte plusieurs étapes où l'on passe dû l'erreur à la prise de conscience de l'erreur, puis à la vérité. 2. Le sujet comporte un aspect psychologique — il convient de rechercher le rôle des jugements négatifs dans l'élaboration des concepts — et un aspect logique et méthodologique. G. Bachelard est un logicien et un historien des sciences. Il songe visiblement à l'évolution des concepts scientifiques qui comprend un grand nombre de notions erronées ou limitées mais qui, par les réflexions et les tâtonnements qu'elles ont suscités, ont malgré tout fait avancer la science. 3. Ne pas attacher une importance particulière au mot « essence » qui, ici, ne semble pas avoir un sens métaphysique mais signifie tout simplement « le propre de », « la caractéristique de...». PLAN Préambule, — Aspect paradoxal de la pensée de Bachelard. Définition qui semble négative, mais qui en fait définit la réflexion par la suspension — au moins provisoire — du jugement (rapport avec Descartes). lre partie. —■ Explication et justification de la pensée de Bachelard : a) Définitions habituelles de la réflexion : aspect constructif — tour à tour analytique et synthétique ; b) Ici, définition « suspensive » ; c) Les jugements négatifs dans la formation des concepts, dans le raisonnement ; d) Aspect logique du problème : rôle du doute, de la prise de conscience de l'erreur dans la pensée scientifique. 2e partie. — Limites de la définition de Bachelard : a) L'aspect constructif de la pensée n'est pas suffisamment dégagé ; b) La réflexion n'est pas seulement compréhension pure, mais pratique; c) Liaison de la technique et de la théorie. Conclusion. — La pensée de Bachelard pourrait aboutir au scepticisme en ce qui concerne les résultats de la science. En fait, ceux-ci n'autorisent pas une telle attitude.
«
CONSEILS PRELIMINAIRES
1.
La pensée de Bachelard est rédigée dans un style apparemment paradoxal où la compréhension est définie comme l'opération par laquelle on comprend
qu'on n'avait pas compris.
Rapprocher de la formule de James : « La volonté de croire, lorsqu'elle est consciente, devient une raison de douter.
» Bachelard
fait allusion au rôle positif du doute, de l'erreur dans l'effort qui mène au jugement vrai.
On remarquera l'imparfait (qu'on n'avait pas compris) qui indique que
la réflexion comporte plusieurs étapes où l'on passe dû l'erreur à la prise de conscience de l'erreur, puis à la vérité.
2.
Le sujet comporte un aspect psychologique — il convient de rechercher le rôle des jugements négatifs dans l'élaboration des concepts — et un aspect
logique et méthodologique.
G.
Bachelard est un logicien et un historien des sciences.
Il songe visiblement à l'évolution des concepts scientifiques qui
comprend un grand nombre de notions erronées ou limitées mais qui, par les réflexions et les tâtonnements qu'elles ont suscités, ont malgré tout fait
avancer la science.
3.
Ne pas attacher une importance particulière au mot « essence » qui, ici, ne semble pas avoir un sens métaphysique mais signifie tout simplement « le
propre de », « la caractéristique de...».
PLAN
Préambule, — Aspect paradoxal de la pensée de Bachelard.
Définition qui semble négative, mais qui en fait définit la
réflexion par la suspension — au moins provisoire — du
jugement (rapport avec Descartes ).
lre partie.
— Explic ation et justific ation de la pensée de
Bachelard :
a) Définitions habituelles de la réflexion : aspect constructif — tour à tour analytique et synthétique ;
b) Ici, définition « suspensive » ;
c) Les jugements négatifs dans la formation des concepts, dans le raisonnement ;
d) A spect logique du problème : rôle du doute, de la prise de conscience de l'erreur dans la pensée scientifique.
2e partie.
— Limites de la définition de Bachelard :
a) L'aspect constructif de la pensée n'est pas suffisamment dégagé ;
b) La réflexion n'est pas seulement compréhension pure, mais pratique;
c) Liaison de la technique et de la théorie.
Conclusion.
— La pensée de Bachelard pourrait aboutir au scepticisme en ce qui concerne les résultats de la science.
En fait, ceux-ci n'autorisent pas une
telle attitude.
La pensée de G.
Bachelard se présente sous une forme passablement paradoxale.
Le philosophe s'amuse visiblement à rapprocher les mots « comprendre »
et « ne pas comprendre ».
Cette définition quand on l'examine de plus près présente un autre paradoxe.
Elle définit la réflexion c'est-à-dire le pouvoir constructeur et positif de l'esprit
par une opération négative ou qui semble l'être.
L'essence de la réflexion, c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris, c'est-à-dire de révoquer en doute
le jugement antérieur — ce qui est marqué par l'imparfait « avait » — et de constater une erreur, ce qui aboutit à une suspension au moins provisoire de
jugement.
Si paradoxe il y a, notons cependant que Bachelard retrouve une tradition assez ancienne en philosophie puisque la pensée scolastique reprise
par Descartes définissait l'acte de la pensée par le doute : je doute donc je pense.
Une telle définition semble contredire les définitions qu'on donne habituellement de la réflexion.
On insiste volontiers sur son aspect constructif, sur le
pouvoir qu'a l'esprit de commencer une « longue chaîne de raisons ».
La réflexion discursive se développe dans le temps, procédant tour à tour par analyse et par synthèse.
Je divise la difficulté « en autant de parcelles qu'il se
pourra et qu'il sera requis pour la mieux connaître », je rassemble les éléments clarifiés, je n'omets pas les dénombrements qui m'évitent d'oublier les
conclusions déjà acquises, j'applique partout le critère de la clarté et de la distinction, j'évite la prévention et la précipitation, etc..
La définition de Bachelard insiste au contraire sur l'aspect destructeur pourrait-on dire de la pensée, sur les jugements négatifs qu'elle comporte.
Je
découvre que je n'avais pas compris, que mon jugement antérieur était fausseté, néant.
Sans doute on pourra rétorquer que la découverte d'une erreur
suppose ou sous-entend la détention d'une vérité et que « toute négation est une affirmation » (Spinoza).
Mais Bachelard insiste seulement sur l'aspect
suspensif de la réflexion, comme s'il était le plus important.
La réflexion se nourrit de négations.
Le rôle des jugements négatifs est considérable dans l'acquisition de toutes les fonctions psychologiques.
On l'omet
trop généralement.
La vie intellectuelle n'acquiert précision et clarté que par l'intervention de ce qu'on s'accorde à appeler esprit critique.
Mais des formes
plus subtiles et plus élémentaires de l'esprit critique opèrent déjà leur travail obscur dans notre conscience.
Comment su i s-je parvenu à acquérir tel ou tel concept, par exemple le concept de justice ? Des idées m'avaient été suggérées que j'identifiais à la justice
: certaines étaient adéquates, d'autres non.
L'expérience, la réflexion m'ont permis d'opérer une sélection.
Un grand nombre de jugements négatifs sont
intervenus.
Donner la même chose à tout le monde, cela m'a semblé d'abord une bonne définition de la justice; mais quoi ! c'est la négation du travail, de
l'effort individuel.
La formule « à chacun selon son travail » m'a semblé alors plus juste.
Mais l'expérience m'a appris que dans le monde où je vis, certains
ont déjà beaucoup d'argent, détiennent la propriété des moyens de production; cette forme de justice n'est donc juste qu'en théorie puisqu'elle commence
par accepter un état de fait.
Et ainsi de suite...
C'est ainsi que peu à peu mes concepts se sont formés et si certains ne sont pas clairs, si l'on a raison de
dire de moi que je ne suis pas assez « réfléchi » c'est que mon pouvoir de nier ne m'a pas assez servi.
La logique et la méthodologie insistent sur le rôle qu'ont joué le doute et l'esprit critique dans la pensée scientifique.
Bachelard est un historien des
sciences et il n'est pas improbable que son opinion qui veut se situer sur le plan psychologique nous renvoie bien davantage à l'histoire de la pensée
mathématique ou physique.
L'essentiel de la réflexion d'un Galilée ou d'un Newton c'est précisément d'avoir compris que le système de Ptolémée ne suffisait pas à rendre compte des
phénomènes célestes.
Toute l'histoire des sciences est pleine d'erreurs fécondes, d'abord parce qu'elles ont constitué à une certaine date une synthèse
suffisante des connaissances de l'époque, mais aussi parce qu'à un autre moment elles n'ont plus suffi et ont mis sur la voie d'autres vérités ou d'autres
erreurs.
Cependant la définition de Bachelard, telle qu'on nous la présente, c'est-à-dire séparée de son contexte, ne nous semble pas suffisante pour définir
l'essence de la réflexion et autorise à un certain nombre de critiques.
D'abord que signifie exactement ce terme d'« essence » ? Est-il bien choisi ? Voudrait-on nous engager dans une discussion métaphysique sur l'essence et
l'existence ? Nous le comprenons tout simplement dans la phrase donnée comme synonyme de « le propre de la pensée, la caractéristique de la réflexion».
Ensuite l'aspect constructif des opérations intellectuelles ne semble pas suffisamment dégagé.
Bachelard aurait pu faire remarquer qu'il n'y a jamais de
destruction sans édification, de négation sans affirmation.
Descartes a, d'autre part, montré que le doute n'est pas seulement un acte suspensif, mais une
opération positive qui met sur la voie de la découverte de la vérité.
Assurément cette idée est implicite dans l'opinion de Bachelard, mais il y a des choses
qu'il vaut mieux expliciter.
Une critique plus grave que l'on peut faire à Bachelard c'est de s'être volontairement situé sur le plan d'une pensée pure, d'un acte réflexif considéré
indépendamment de son objet.
Or la psychologie nous apprend que la réflexion est toujours pratique à quelque degré, que je ne pense pas dans l'abstrait,
mais que j'ai toujours l'idée de quelque chose ou de quelqu'un.
S'il fallait caractériser la compréhension peut être conviendrait-il plutôt de retenir l'aspect de
découverte qu'elle contient toujours.
L'homme trouve puis justifie sa trouvaille.
L'histoire des science nous le montre d'ailleurs clairement.
L'homme, suivant l'expression de Denis de Rougemont, « pense d'abord avec les mains ».
Cette
science, cette théorie dont il est si fier et qu'il a tendance à considérer en elles-mêmes comme si elles étaient indépendantes de la technique, elles sont
liées à son travail, à sa lutte contre la nature.
« Comprendre qu'on n'avait pas compris » ne suffit pas à décrire cet effort par lequel l'homme expérimente et
tâtonne..
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