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Commentez ce vers de Boileau : « On peut être héros sans ravager la terre » ?

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« INTRODUCTION Les héros antiques constituaient une race intermédiaire entre les hommes et les habitants de l'Olympe : les uns étaient demi-dieux dès leur naissance, les autres recevaient la qualité divine comme récompense de leurs hauts faits.

Le mot a perdu dans notre langue sa valeur mythologique, mais il s'applique toujours à ceux qui se distinguent du commun des mortels.

Boileau écrivait à ce sujet la mise en garde suivante : « On peut être héros sans ravager la terre ».

Ce vers s'explique par l'idée qu'on se faisait en général de l'héroïsme au siècle de Louis XIV ; mais cette conception s'est élargie de nos jours, au point de se transformer totalement. I.

LA CONCEPTION TRADITIONNELLE DE L'HÉROÏSME Le héros au XVIIe siècle est un soldat : grotesque ou séduisant, il est le Matamore de L'Illusion Comique ou le Rodrigue du Cid.

Il s'incarne aussi dans le Cardinal de Retz, dans ces nobles qui passent leur vie à tirer l'épée, au cours de la Fronde ou dans les duels. L'héroïsme ainsi compris suppose un certain nombre de qualités morales essentielles qui forcent l'admiration : une action énergique ne peut être menée sans courage, et nous savons à quel point la volonté est nécessaire à cette vertu.

L'endurance, le mépris de la souffrance sont aussi la marque de ces personnages grandioses qui sont dans la littérature la traduction idéale d'une réalité concrète : d'Achille à Rodrigue, en passant par Roland, le type du preux, brave et fort, presque surhumain, s'impose à l'imagination du public.

Le plus souvent, son prestige tient aussi à l'idéal qu'il défend.

S'il fait la guerre, c'est pour une bonne cause, et l'on sait avec quel art l'auteur de la Chanson de Roland a transformé l'histoire pour créer un héros sans tache.

Les chevaliers du Moyen Age, que Victor Hugo représentera sous les traits d'Éviradnus, parcouraient leur pays pour faire respecter la justice ; les Résistants de la dernière guerre se battaient pour leur patrie ; Malraux, dans L'Espoir, montre toutes les résonances d'une lutte qui met en jeu le sort d'une part de l'humanité. Héros littéraires ou personnages historiques, ils ont en commun le désir de s'engager totalement, sans aucune restriction.

Ils méprisent la mort, et font volontiers le sacrifice d'eux-mêmes : les rescapés de la bataille d'Angleterre de 1940 évoquent la facilité avec laquelle ils risquaient chaque jour leur vie. Aspects négatifs Chacune de ces qualités, il est de l'héroïsme traditionnel vrai, a son revers : les vertus martiales que nous évoquions s'accompagnent parfois d'une insensibilité dangereuse.

Le personnage le plus caractéristique à cet égard est celui d'Horace, dans la pièce de Corneille ; Curiace fait son devoir comme lui, mais en le déplorant ; l'autre au contraire réprime toute faiblesse : « Albe vous a nommé ; je ne vous connais plus ».

Et nous avons fait l'expérience douloureuse, pendant la dernière guerre, de la cruauté dont sont capables des soldats fanatisés. Le danger est d'autant plus grand que la cause défendue n'est pas toujours juste : les héros se mettent au service du mal comme au service du bien.

Les généraux de Louis XIV s'illustrèrent dans des guerres de conquête iniques, ceux de Napoléon aussi — et le IIIe Reich allemand fit bien pire.

Julien Gracq, dans le Rivage des Syrtes, montre la naissance ténébreuse d'un héroïsme qui n'a d'autre fin que lui-même.

A-t-on le droit d'excuser le mal sous prétexte qu'il est source de grandeur ? On en a d'autant moins le droit que cette grandeur est totalement destructrice.

Le héros parfait, dans cette forme d'héroïsme, n'est-il pas le kamikaze japonais qui se tue avec son avion pour atteindre la cible à coup sûr ? Il y a là en fait toute une tradition, prestigieuse peut-être mais barbare, qui ne devrait plus séduire que notre curiosité. Il est donc possible de constater que la réflexion de Boileau se justifie.

Mais il ne faut pas oublier les vertus qui sont à la base de l'héroïsme.

Ne pourrait-il prendre d'autres formes ? II.

L'HÉROÏSME PACIFIQUE On conteste aujourd'hui de plus en plus que les temps de guerre soient seuls riches en héros : la paix aussi leur permet d'apparaître. Certains pays donnent ce titre à des hommes très divers : cosmonautes ou savants, les héros sont d'abord ceux qui font progresser l'humanité par leur action exceptionnelle.

Sully Prud'homme à la fin du XIXe siècle glorifiait, en vers généreux, le dévouement de deux aéronautes, morts dans l'espace au cours d'expériences scientifiques : « Moi, je salue en vous le genre humain qui monte, Indomptable vaincu des cimes qu'il affronte, Roi d'un astre, et pourtant jaloux des deux entiers ! » On pourrait dédier des apostrophes semblables à tous ceux qui consacrent leur vie à la recherche ; des noms universellement connus viennent à l'esprit — Pasteur, Marie Curie. D'autres ont cherché ainsi le dépassement d'eux-mêmes par des voies différentes.

L'histoire et la littérature nous fournissent de multiples exemples de ces figures prestigieuses : l'empereur Auguste maîtrisant son désir de vengeance, la Princesse de Clèves fidèle au souvenir d'un homme qu'elle n'a pas aimé, Charles de Foucauld passant d'une vie mondaine à un ascétisme généreux. On peut parler aussi d'héroïsme véritable à propos du stoïcisme de Vauvenargues, de Vigny.

Cette sagesse austère et exigeante a ses saints, qui sont parfois des médiocres comme le Salavin de Georges Duhamel, ou des êtres d'exception comme le Tarrou de la Peste. Les qualités du héros pacifique - Ces formes d'héroïsme ont moins de panache que celles dont nous parlions plus haut, et l'histoire des Mousquetaires a peut-être plus de prestige aux yeux du public que la vie du docteur Laënnec.

Pourtant il y a autant de courage — sinon plus — chez celui qui lutte contre le découragement que chez celui qui fonce témérairement à travers des dangers dont il a à peine conscience.

La bravoure n'est plus alors affaire d'intuition brusque, d'exaltation soudaine : c'est une attitude réfléchie et constante ; lorsque Tarrou veut essayer d'être un « vrai médecin », au-dessus de la mêlée, il lui faut un effort de tous les instants pour se défendre de la « peste ».

La persévérance et la résistance à autrui, plus que les coups d'éclat, ont fait la gloire des révolutionnaires généreux comme Lamennais ou de novateurs méconnus comme Galilée. Si le défaut essentiel de l'héroïsme traditionnel est de mener à l'anéantissement, l'héroïsme pacifique, lui, est tourné vers autrui, vers le bien de tous.

Les Deux Amis de Maupassant seraient bien incapables de se battre contre les Prussiens, mais ils acceptent modestement de mourir pour ne pas trahir les leurs.

Les personnages de Saint-Exupéry, très proches de leurs modèles réels, se dévouent de la même façon afin de créer ces lignes de courrier qui peuvent seulement aider leurs semblables.

Cet héroïsme-là est une médaille sans revers, et vaut plus, pour l'humanité, que le premier.

Mais est-il à la portée de tout le monde ?. »

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