Comment vivre sans sexe ?
Publié le 28/03/2023
Extrait du document
«
INTRODUCTION
Ils ont 30, 40 ans.
Ils sont équilibrés, indépendants, pas moins séduisants que d’autres.
Mais
ils ne font plus l’amour.
Dans une société où le sexe est omniprésent, où règne une "tyrannie
du plaisir", selon les mots de Jean-Claude Guillebaut (in Tyrannie du plaisir, Le Seuil, 1999,
prix Renaudot de l’essai 1998), comment vit-on sans sexe ? Qu’ils subissent cette situation
pour se protéger ou qu’ils l’aient choisie pour mieux se retrouver, les abstinents se sentent
atypiques.
Devant les injonctions à l’orgasme des romans, des films ou des couvertures de
magazine, ils se taisent.
« Je suis fatiguée de tous ceux qui me regardent comme une
handicapée des sens.
J’en ai assez de devoir les convaincre que je suis normale », dit Anna, 35
ans, sans homme depuis huit ans.
I-
UNE PREOCCUPATION LANCINANTE
Mais est-il normal de vivre sans sexe ? Pour Freud, l’abstinence n’était pas vivable : « La
tâche de maîtriser la pulsion sexuelle autrement qu’en la satisfaisant peut réclamer toutes les
forces d’un être humain.
Seule une minorité y parvient, et encore de façon intermittente.
Le
combat contre la sensualité consume l’énergie du caractère disponible.
» Une citation qui fait
sourire Thierry, 39 ans, abstinent depuis cinq ans après un divorce douloureux : « Ce n’est pas
tant un combat qu’une préoccupation lancinante.
Je ne me sens pas prisonnier de pulsions
inassouvies mais il me reste un fond de douleur : j’ai l’impression de rater quelque chose
censé faire partie de ma vie d’homme.
Oui, le sexe me manque.
Mais de moins en moins ;
même l’envie de plaisir solitaire s’estompe.
Je me suis fait une raison, mais il me manque
quelque chose.
Je vis avec une impression de vide.
»
Ce type d’abstinents, le psychanalyste J.-D.
Nasio les appelle les « désabusés de la sexualité »
: « Ils se sont donnés, ils ont été déçus et refusent de souffrir de nouveau.
C’est comme si leur
tête imposait le silence à leur corps.
Dans la rencontre, lorsque l’idée de la souffrance prend le
pas sur l’idée de plaisir, l’abstinence rétrécit la vie, l’isole.
Comme elles ont le sentiment de
ne rien pouvoir y faire, les personnes abstinentes souffrent puis se résignent.
» « Si l’on sait
exprimer ses sentiments autrement que par le sexe, par la parole, les gestes, les caresses, on
peut sûrement trouver une forme d’équilibre, explique la sexologue Catherine Solano.
On
peut également diriger cette pulsion vitale non employée vers autre chose – le travail, le sport,
les enfants.
Mais si cette dimension intime peut parfois être inventée en dehors de la sexualité,
elle manque toujours.
»
1- Faire le point avec soi
Même s’ils doivent se heurter à ce manque, certains choisissent l’abstinence comme une
thérapie, comme un temps de silence du corps, décrété pour faire le point avec eux-mêmes.
Dans un magnifique petit livre (Le Désir, EDLM), Chantal Bourbigot raconte sa traversée du
non-désir : « Mon corps crie grâce.
Je ne veux plus d’homme dans ma vie, je ne veux plus
d’homme dans mon lit.
Ce n’est pas normal de ne pas faire l’amour mais il est nécessaire que
ça s’arrête si je veux vivre plus près de moi.
Le bonheur pour la femme harassée que je suis,
c’est de s’accorder le nécessaire repos du corps.
»
Sur la banquette d’un café parisien, le charme et les rires d’Eve, 38 ans, attirent les regards.
Pourtant, elle est là pour raconter comment, depuis dix ans, elle vit sans qu’aucun homme ne
la touche.
« L’abstinence que j’ai choisie n’est pas le signe d’une névrose ou d’une peur du
sexe.
J’ai vécu une sexualité épanouie et plutôt heureuse.
Mais un matin, j’ai regardé l’homme
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auprès de qui j’avais dormi et j’ai réalisé que je partageais l’intimité de mon corps avec
quelqu’un qui ne connaissait pas l’intimité de mon histoire, de ma vie, de mon âme.
Et je me
suis retrouvée à penser : “Mais quel intérêt ?” J’ai rompu en me disant que je donnerais tout
au suivant, sinon rien.
Depuis dix ans, c’est rien.
»
Divorce douloureux, période de reconstruction, l’abstinence assumée comme « une planche
de salut » semble s’accompagner naturellement d’un travail sur soi.
Pour Nadia, 34 ans et huit
ans d’abstinence, la thérapie a fait basculer les choses.
« Durant les deux premières années
sans sexe, l’idée même de la pénétration m’était insupportable.
J’ai fini par entamer une
thérapie qui m’a aidée à mieux comprendre et à redéfinir ma relation aux hommes et à
l’image déplorable que j’avais d’eux.
Aujourd’hui, si je suis toujours abstinente, ce n’est plus
dans le rejet ou la frustration, mais dans l’attente d’une relation satisfaisante.
»
Cette attente dont parle Nadia semble plus être celle de la tendresse que celle du sexe.
« Mon
corps avait besoin d’un homme mais mon cœur réclamait un amour, se souvient Chantal
Bourbigot.
Je ne ressentais pas le manque de sexe.
J’avais envie de bras qui me serrent, pas de
pénétration.
Les effets du manque étaient ceux du manque de tendresse.
»
2- Les hommes plus démunis
Et les hommes ? Naturellement, on serait enclin à considérer que les femmes sont moins
pulsionnelles que les hommes.
« Elles ont moins de mal à vivre sans sexe parce qu’elles
possèdent une palette plus étendue pour communiquer leur affection, avance Catherine
Solano.
Elles ont une relation très physique avec leurs enfants, avec leurs amies.
Pour les
hommes, le sexe est un moyen privilégié de communiquer leur tendresse, c’est en cela qu’ils
peuvent se trouver démunis.
»
Jean-Marc, 42 ans, est abstinent depuis six ans.
Contraint au déménagement par choix
professionnel, il a très vite réalisé à quel point, dans une petite ville de province, il était
difficile de rencontrer quelqu’un.
« Bien sûr que j’ai des pulsions sexuelles soudaines.
Dans
ces cas-là, j’ai recours à la masturbation.
Mais le sexe ne m’a jamais manqué au point d’aller
voir des prostituées.
» Aidé par un thérapeute, il a choisi de s’accommoder de son abstinence,
puis d’assumer : « Longtemps, j’ai fait l’amour parce qu’il était normal de le faire.
Maintenant, je me fiche de ce qui est normal.
Je sais que le sexe n’est pas une fin en soi.
L’important, c’est de savoir ce que je veux faire de ma vie et la place que j’accorde au sexe
dans cette vie-là.
»
3- Pallier l’assoupissement du corps
L’attente de l’autre, non pour faire l’amour mais pour construire une relation où le sexe aurait
une place naturelle : l’anorexie sexuelle renvoie souvent au vide sentimental.
« Le manque de
désir sexuel témoigne souvent du manque de lien amoureux, assure J.-D.
Nasio.
La sexualité,
c’est le plaisir que nous donne notre corps ou le contact avec le corps de l’autre.
Qu’il soit
solitaire, hétérosexuel ou homosexuel, il est nécessaire à tout le monde.
Mais il est vrai que
nous pouvons en avoir plus ou moins besoin et y prendre plus ou moins de plaisir.
Faire
l’amour n’est pas vital comme manger ou respirer.
La sexualité nous aide à vivre : elle est un
besoin psychologique mais pas physiologique.
Il faut juste faire attention à conserver un moi
intégral, où le corps garde sa place.
»
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Lorsque ces situations d’abstinence perdurent, on s’expose effectivement au risque de couper
définitivement son corps de sa tête.
Et parce que l’inconscient se protège des douleurs liées au
manque, le corps s’endort lentement si l’on n’y prend pas garde.
« Au début, lorsque je
ressentais le besoin d’un homme, raconte Eve, je me masturbais.
C’était une satisfaction
instantanée et facile.
Mais ce désir....
»
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