Comment penser autrui ?
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Comment penser autrui ?
• Pour un Grec, le «problème de l'existence d autrui» ne se pose guère: «l'homme est un animal politique » (=
destiné à vivre en cité), écrit Aristote (IVe siècle av.
J.-C), et seuls une bête ou un dieu peuvent subsister en
dehors de la société (La Politique, l.
I).
Dans l'amitié, en particulier, l'autre se révèle comme «un autre soi-même»,
comme un alter ego (Ethique à Nicomaque, l.
IX).
• Aussi, un tel problème ne prend-il tout son sens qu'avec l'avènement d'une philosophie du sujet (= celle de
Descartes, xvii siècle), qui fait du moi pensant la première certitude dont dérivent toutes les autres.
1.
LA SOLITUDE DE LA CONSCIENCE
Le cogito cartésien.
a) Un Malin Génie se plairait-il à me tromper toujours — ce qui demeure
indubitable, c'est que moi qui doute, je pense.
b) Ayant établi ce caractère indubitable du «je pense» (en latin: cogito),
Descartes — pour confirmer son dire — passe à une analyse de la perception.
Lorsque je dis que je vois la même cire — que celle-ci soit solide ou liquéfiée
après échauffement — c'est mon âme qui juge en réalité ce que je crois voir
de mes yeux.
De même, si je vois d'une fenêtre des hommes « qui passent
dans la rue (...), je ne manque pas de dire que je vois des hommes (...): et
cependant que vois-je de cette fenêtre sinon des chapeaux et des manteaux,
qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que
par ressorts ? mais je juge que ce sont de vrais hommes» (Descartes,
Méditation II, 1641).
• Le doute méthodique qui mène Descartes à remettre en cause l'existence
même du monde extérieur permet de bien comprendre la distance qui me
sépare d'autrui.
Qu'est-ce qui me prouve, en effet, que je ne suis pas le seul
être doué d'une véritable subjectivité, et que les autres ne sont pas tous des
automates, ou même des rêves?
• Si radicale et paranoïaque qu'une telle hypothèse puisse sembler, c'est bien
souvent comme un automate - ou comme un objet, et non comme un sujet
digne de ce nom - que je traite autrui lorsque je l'instrumentalise à mes propres fins ou que je le considère comme
d'une dignité inférieure à la mienne.
Difficultés de la connaissance d'autrui.
Dans une problématique intellectualiste de ce type, la question de l'existence d'autrui se prolonge en celle de la
connaissance d'autrui: autrui ne peut guère être atteint que par le biais d'un raisonnement par analogie.
"Nous conjecturons, écrit Malebranche (1638/1715), que les âmes des autres hommes sont de même espèce que la
nôtre.
Ce que nous sentons en nous-mêmes, nous prétendons qu'ils le sentent" (De la recherche de la vérité, 16741676).
2.
LA RELATION A AUTRUI COMME INTERSUBJECTIVITE
Autrui comme certitude originaire.
Contre cette tradition classique, la philosophie contemporaine — la phénoménologie (Husserl, Heidegger, Sartre), en
particulier — a voulu montrer que l'existence d'autrui n'est nullement déduite par raisonnement, mais qu'elle est
plutôt saisie dans une certitude pré-réflexive, dans une intersubjectivité originaire.
La conscience, écrit Husserl,
«reconnaît l'existence d'autres consciences dans un sentiment originaire de coexistence » (Méditations
cartésiennes, 1931).
Autrui, limite ontologique à ma liberté.
Mon être même (en grec: ontos= «être») est défini par l'existence de l'altérité.
Honte, fierté : le regard d'autrui
constitue jusqu'à mon existence la plus intime.
«Ma chute originelle, c'est l'existence de l'autre», écrit Sartre (L'Être et le néant, 1943).
« C'est en ce sens que
nous pouvons nous considérer comme "des esclaves", en tant que nous apparaissons à autrui (...) Je suis esclave
dans la mesure où je suis dépendant dans mon être au sein d'une liberté qui n'est pas la mienne et qui est la
condition même de mon être » (Ibid.).
La dictature du « on ».
a) L'existence d'autrui m'est si immédiate, souligne Heidegger (1889/1976), que l'existence commune quotidienne se
plie à la «domination subreptice d'autrui» (L'Être et le temps, 1927).
b) « Nous nous amusons, nous nous distrayons comme on s'amuse » (Ibid.).
Nous lisons, nous jugeons «scandaleux», ce qu'on lit et ce qu'on trouve scandaleux (pensez, par exemple, à l'impact
des médias contemporains) ; « et même nous nous écartons des "grandes foules" comme on s'en écarte» (Ibid.)..
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