Comment le passé peut-il demeurer présent ?
Extrait du document
«
Discussion :
Pour la doxa le passé c'est le passé, le passé est donc considéré comme mort.
Il arrive même qu'on condamne certaines personnes parce qu'elles vivent
dans le passé, qu'elles ne suivent pas leur temps, et par conséquent qu'elles ne vivent pas dans le présent.
Or à s'interroger on peut se demander comment
faut-il penser le passé, ou encore si l'homme peut réellement se passer du passé.
Autrement dit, le passé passe-t-il vraiment ? Et si l'on en vient à
admettre que le passé ne passe jamais alors effectivement tout passé demeure aussi présent.
I.
Première partie : le présent n'existe pas.
Saint A ugustin, Les Confessions, Livres XI : « Il est dès lors évident et clair que ni l'avenir ni le passé ne sont et qu'il est impropre de dire : il y a trois temps,
le passé, le présent, l'avenir, mais qu'il serait exact de dire : il y a trois temps, un présent au sujet du passé, un présent au sujet du présent, un présent au
sujet de l'avenir.
Il y a en effet dans l'âme ces trois instances, et je ne les vois pas ailleurs : un présent relatif au passé, la mémoire, un présent relatif au
présent, la perception, un présent relatif à l'avenir, l'attente.
Si l'on me permet ces expressions, ce sont bien trois temps que je vois et je conviens qu'il y en
a trois.
»
Dans la philosophie, la question du temps est assez classique.
Historiquement on dirait que la vraie interrogation a commencé avec Saint Augustin au Livre
XI des C onfessions.
Dans ce texte ce dernier interroge les trois figures du temps : le présent, le passé et le futur pour aboutir finalement à la conclusion
qu'il n'y a en vérité qu'une seule figure du temps à savoir le présent.
Mais un présent d'un type bien particulier car il porte avec lui les traces du passé et
celui du futur, d'où sa formule en latin : « presens praesentibus, presens futuribus ».
C ar d'après Saint A ugustin le présent est toujours coincé entre ce qui
était et ce qui n'est pas encore.
C ette métaphysique du temps nous permet d'apprécier le passé à sa juste valeur puisque ici il se confond même avec le
présent.
Ce qui veut dire que le passé ne se laisse pas facilement entraîner dans le fil du temps, il n'arrive pas à disparaître, il crève le mur du présent, il
s'impose au présent.
Le présent est donc ici un faux présent.
Le passé demeure présent parce qu'il constitue chez Saint A ugustin une des formes du
présent, une des dimensions de ce qui est.
Car il évident que sans passé il ne peut y avoir de présent, car en réalité le présent est un temps qui n'existe
pas, car il est soit la résultante d'un passé soit l'anticipation d'un futur.
A insi le présent est impalpable et furtif, il est prit dans cette ambivalence, à savoir
qu'il ne peut être qu'une suite logique de ce qui a été auparavant et une ébauche de ce qui sera.
C'est en ce sens que le présent n'existe pas vraiment, car
aucun moment n'est réellement présent : dès qu'un fait s'est accomplit il devient passé, et dès qu'un fait doit s'accomplir il est futur.
A quel moment d'une
vie le présent est et demeure présent ?
Sartre, L'Etre et le Néant : « Nous rencontrons d'abord ce paradoxe : le passé n'est plus, l'avenir n'est pas encore, quant au présent instantané, chacun sait
bien qu'il n'est pas du tout, il est la limite d'une division infinie, comme le point sans dimension.
»
II.
Deuxième partie : temps abstrait et temps historique.
Si nous laissons la pure métaphysique du temps et que nous essayons de penser non plus le temps abstrait mais le
temps historique, nous devons dire que les événements se pensent sous formes de traces.
Car l'histoire comme
discipline est justement celle qui n'a à faire qu'au passé.
L'histoire est l'acte par lequel on fait advenir ce qui n'est plus
dans ce qui est, il n'y a donc pas d'histoire du présent.
Il faut opposer actualité et histoire.
L'histoire est une distance
par rapport au temps.
Demeurer dans le passé c'est en vérité être prit dans le récit historique des faits, ainsi grâce à
l'histoire le passé est vivant, il est actualisé, donc il ne se confond plus avec la mort, avec le pur disparaître.
Car en
vérité, il faut en finir avec l'idée primesautière du passé comme une instance, comme une figure morte, c'est-à-dire une
figure qui n'a rien à apporter au présent.
D'autre part nous savons aussi qu'il n'y a du présent que sur le fond ou sur la base du passé.
C e qui apparemment est
mort est justement ce qui est le plus vivant puisque sans cette mort il n'y aurait pas vie, sans ce disparaître il n'y aurait
pas d'être.
Hegel, Propédeutique philosophique : « Les dimensions du temps sont 1° le passé, la présence comme supprimée, comme
n'étant pas là; 2° l'avenir, la non-présence, mais déterminée à être là; 3° le présent, en tant qu'immédiat devenir et
union des deux autres.
».
III.
Troisième partie : le passé comme culture.
C ette relation entre le paraître et l'être nous permet aussi de penser le passé comme une dimension de la mémoire.
Il faut entendre la mémoire non pas
comme une faculté humaine de remémoration mais la mémoire comme monument, comme corps.
Nous trouvons cette forme de mémoire dans la pierre
(l'architecture) dans les symboles (le drapeau, les célébrations).
Toutes les institutions, les commémorations sont des corps de mémoire, et sans ce type
de mémoire là l'aventure humaine n'aurait pas de sens et l'homme lui-même aurait cessé d'exister comme culture.
C e qui fait la base des sociétés humaines, c'est justement leur capacité à préserver le passé, leur volonté acharnée de faire revivre le passé afin justement
de comprendre et de mesurer le présent.
O n pourrait aller jusqu'à dire qu'il est possible de mesurer la grandeur d'un peuple, la grandeur d'une communauté,
l'excellence de sa mémoire par sa capacité à être fidèle au passé.
Par l'acharnement qu'il met à le sauvegarder et à le protéger.
Plus un peuple ou une
civilisation oublie son passé, plus il va vers son extinction.
Bergson, Matière et Mémoire : « La mémoire-souvenir retient et aligne à la suite les uns des autres tous nos états au fur et à mesure qu'ils se produisent,
laissant à chaque fait sa place, et par conséquent lui marquant sa date, se mouvant bien réellement dans le passé définitif, et non pas, comme la première
lia mémoire-habitude, dans un présent qui recommence sans cesse.
»
Conclusion :
A rthur Schopenhauer : « Personne n'a vécu dans le passé, personne ne vivra dans le futur; le présent est le mode de toute vie.
».
»
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