Comment distinguer image et perception ?
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«
C'est le problème de la réalité du monde extérieur.
Le vocabulaire lui-même est un peu flottant : certains appellent la perception image
vraie par opposition à l'image proprement dite ou image feinte, mais la fausse image serait alors appelée image vraie?
On ferait mieux de parler d'image réelle pour la perception, l'image issue de l'imagination étant irréelle.
Elle peut être vraie ou fausse;
elle est fictive, imaginaire, mais non pas forcément fausse; il faut donc éviter d'employer dans de cas vrai et faux; on peut appeler la
perception image réelle et l'image issue de l'imagination image fictive.
Comment les distinguer ? Essayons de préciser la question posée : comment puis-je m'assurer et démontrer dans un cas particulier que
ce à quoi j'ai affaire hic et nunc est bien une perception et non pas une image?
Le problème est artificiel.
Sauf dans quelques cas limite, où l'on se demande si l'on est bien éveillé, et dans les examens au microscope,
on ne se pose pas la question de savoir si ce qu'on voit est image ou perception.
Descartes ne doutait pas de la réalité de ce qu'il voyait!
L'adhésion spontanée de la conscience est un sentiment.
Nous sommes sûrs de ne pas rêver — mais nous ne pouvons le démontrer.
Cette croyance à la réalité du monde extérieur se fonde sur un sentiment et non sur une démonstration.
Nous pouvons établir des critères généraux différenciant image et perception : mais ils sont généraux et donc laissent place à des
exceptions.
Dans chaque cas particulier, nous ne savons pas si nous sommes ou non en d'une de ces exceptions; plus exactement, nous le savons
mais nous ne pouvons le démontrer.
C'est un sentiment auquel nous devons faire confiance.
Examinons les différences générales et abstraites entre imagination et perception.
Elles sont toutes vraies, et toutes admettent des
exceptions.
1° Hume déclare : l'image est faible, la perception est forte.
C'est vrai, mais il y a des exceptions : le grattement d'une souris est une perception faible que nous identifions cependant comme
perception, tandis que l'image d'un coup de tonnerre, image forte, et presqu'assourdissante, reste identifiée comme image.
Il s'agit donc
d'une règle générale vraie; mais elle admet des exceptions et ce n'est pas le critère que nous employons naturellement pour distinguer
image et perception.
2° L'image, moins riche, reste assez schématique.
La perception est riche car le réel est inépuisable : on pourrait poursuivre la description
du réel aussi longtemps qu'on le voudrait : la description exhaustive serait infinie.
C'est vrai; mais il y a des exceptions : la coenesthésie, perception interne, est confuse, pauvre, mais reste une perception.
Il s'agit donc
encore d'une règle générale valable, mais qui n'est pas toujours vraie et ce n'est pas le critère que nous employons pour distinguer le réel
de l'imaginaire.
3° La perception résiste aux efforts que je fais pour l'écarter : le réel me résiste.
L'imaginaire se laisse écarter; il ne s'impose pas à moi
comme le réel.
Mais certains ont l'art de ne pas voir le réel et de s'aveugler; et d'autre part, il y a des images obsessionnelles dont on ne
peut se débarrasser.
C'est une règle vraie, mais dans certains cas, et ce n'est pas le critère que j'emploie spontanément pour distinguer le
réel de l'imaginaire.
4° L'image est détachée de l'actuel tandis que la perception se réfère à un présent qui est, par lui-même, idéo-moteur.
La perception hic
et nunc entraîne en effet une action pour s'adapter à la situation présente.
Mais l'imagination suscite des actes comme la perception : par
exemple elle pousse à mimer; l'hallucination prouve qu'entraîner une action n'est pas le privilège de la perception.
C e n'est aucun de ces quatre critères que j'emploie spontanément pour distinguer le réel de l'imaginaire.
C'est un sentiment
indémontrable qui me sert de critère.
Ne cherchons donc plus logiquement la méthode infaillible pour distinguer le réel de l'imaginaire;
cherchons psychologiquement la méthode que j'emploie d'instinct pour distinguer le réel de l'irréel tout en sachant que cette méthode
n'est pas forcément infaillible.
5° Le critère auquel je me fie spontanément est l'impression de cohérence des éléments de la représentation.
Nous donne le sentiment du réel ce qui s'insère dans un tout organisé — nous nous contentons d'ailleurs de l'impression de cohérence —
ce qui se présente logiquement, ce qui fait partie d'un ensemble.
Nous donne l'impression de l'irréel et du rêve ce qui est à part, ce qui ne se relie pas à notre expérience habituelle, ce dont les éléments
ne se relient pas l'un à l'autre ou ce qui n'est pas intérieurement cohérent.
Ainsi donc, spontanément, nous appliquons un critère logique (parfois notre esprit peut avoir un petit univers imaginaire, mais ne peut en
pousser l'exploration très loin, tandis que la réalité, c'est la totalité; chaque partie du réel peut être reliée de proche en proche à la totalité
du réel).
Le réel est donc un tout totalisable, l'imaginaire reste partiel; s'il a parfois une relative étendue, on en trouvera vite le terme.
Je
ne peux donc démontrer que je suis dans le réel ou l'irréel mais je le sens.
Quand on est réveillé on le sait; mais quand on rêve, on croit
qu'on est dans le réel : je suis sûr que je ne rêve pas, mais c'est indémontrable.
Il faut bien voir que tout n'est pas démontrable.
Il est absurde de dire que tout doit être démontré ; qui plus est, la démonstration ellemême ne peut partir que de principes indémontrables.
Aristote a montré qu'il arrive un moment où la démonstration doit s'appuyer
logiquement sur un principe premier à partir duquel on démontre le reste, mais qui ne peut lui-même être démontré.
6° Avoir le
sentiment du réel, c'est avoir le sentiment, non plus de la cohérence de l'extérieur, mais de la cohérence de la pensée.
Je me fie à ce sentiment, mais ce n'est pas un critère décisif, car la pensée des fous a sa cohérence : on parle de la logique des fous.
Une fois de plus, on sent le réel, mais il est indémontrable.
J'ai le sentiment que je ne rêve pas et que je ne suis pas fou, mais ce n'est
pas logiquement suffisant pour prouver que je suis dans le réel et que je suis sain d'esprit.
Nous ne pouvons établir la réalité que d'après
le contact directe avec elle : est réel ce qui est coordonnable.
« Dans le fond, toutes nos expériences ne nous assurent que de deux : savoir, qu'il y a une liaison de nos apparences qui nous donne
moyen de prédire avec succès des apparences futures; l'autre que cette liaison doit avoir une cause constante.
Mais de tout cela il ne
s'ensuit pas à la rigueur qu'il y a de la matière ou des formes mais seulement qu'il y a quelque chose qui nous présente des apparences
bien suivies.
Car si une puissance invisible prenait plaisir à nous faire paraître des songes bien liés avec la vie précédente et conformes
entre eux, les pourrions-nous distinguer des réalités qu'après avoir été éveillés? Or, qu'est-ce qui empêche que le cours de notre vie ne
soit un grand songe bien ordonné, dont nous pourrions être détrompés en un moment.
» Leibniz.
Peut-être pouvons-nous pressentir par là les raisons d'un certain idéalisme : on ne peut démontrer que le solipsisme est faux, mais c'est
une position imprenable qu'on peut tourner aisément.
De même, si on fait régner la loi des suspects et si on suspecte ma bonne foi, je ne pourrai démontrer ma bonne foi, mon innocence (cf.
La Rochefoucauld).
Ce qui est démontrable n'existe pas : ce qui existe n'est pas démontrable.
Cop qui n'existe pas est démontrable : par exemple les
mathématiques.
La physique, qui prétend démontrer, est peu certaine quand elle a rapport à la réalité : elle apporte des preuves, mais
non des démonstrations.
Plus on se rapproche du réel, plus on s'éloigne de la démonstration.
L'abstrait, l'inexistant, l'essence sont
démontrables, mais tout le secteur de l'existence et de la valeur est soustrait à la démonstration parce que le réel est inépuisable..
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