« Combien elles [Clytemnestre et Électre] se ressemblent ! Toutes deux viriles et toutes deux privées d'amour. À maints égards, sous sa froideur, Clytemnestre apparaît aussi blessée, aussi pathétique qu'Électre », estime Charles Mauron (Le Théâtre de Gir
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L'affirmation est pour le moins étonnante, tant les deux femmes se détestent et tant Électre répète à l'envi qu'elle ne « ressemble en rien » (II, 5) à sa mère. Leurs ressemblances sont pourtant bien réelles, mais ponctuelles et limitées.
I. Des ressemblances réelles Clytemnestre et Électre se rejoignent dans une identité de souffrance et dans un même refus du mensonge. Une identité de souffrance La mère et la fille ont en commun des blessures affectives. Clytemnestre résume avec lucidité ce que fut son existence : « Jamais une reine n'a eu à ce point le lot des reines, l'absence d'un mari, la méfiance des fils, la haine des filles...» (II, 5, p. 92). Sa vie sentimentale fut un long échec. Quoique, de manière légèrement différente, Électre éprouve les mêmes déceptions. Ainsi que le remarque justement le Jardinier, «elle se cherche une mère, Électre, elle se ferait une mère du premier être venu » (entracte, p. 73). Elle n'a jamais reçu l'amour qu'elle espérait de Clytemnestre. Quant à l'adoration qu'elle voue à son père, il s'agit en grande partie d'un amour reconstruit, érigé en culte, tant elle l'a peu connu. Les deux femmes sont en définitive habitées par une même souffrance et une même insatisfaction.
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« Combien elles [Clytemnestre et Électre] se ressemblent ! Toutes deux viriles et toutes deux privées d'amour.
À
maints égards, sous sa froideur, Clytemnestre apparaît aussi blessée, aussi pathétique qu'Électre », estime Charles
Mauron (Le Théâtre de Giraudoux, 1971).
Cette affirmation vous paraît-elle fondée ?
L'affirmation est pour le moins étonnante, tant les deux femmes se détestent et tant Électre répète à l'envi qu'elle ne « ressemble en
rien » (II, 5) à sa mère.
Leurs ressemblances sont pourtant bien réelles, mais ponctuelles et limitées.
I.
Des ressemblances réelles
Clytemnestre et Électre se rejoignent dans une identité de souffrance et dans un même refus du mensonge.
Une identité de souffrance
La mère et la fille ont en commun des blessures affectives.
Clytemnestre résume avec lucidité ce que fut son existence : « Jamais une
reine n'a eu à ce point le lot des reines, l'absence d'un mari, la méfiance des fils, la haine des filles...» (II, 5, p.
92).
Sa vie
sentimentale fut un long échec.
Quoique, de manière légèrement différente, Électre éprouve les mêmes déceptions.
Ainsi que le remarque justement le Jardinier, «elle
se cherche une mère, Électre, elle se ferait une mère du premier être venu » (entracte, p.
73).
Elle n'a jamais reçu l'amour qu'elle
espérait de Clytemnestre.
Quant à l'adoration qu'elle voue à son père, il s'agit en grande partie d'un amour reconstruit, érigé en culte,
tant elle l'a peu connu.
Les deux femmes sont en définitive habitées par une même souffrance et une même insatisfaction.
Un même refus du mensonge
À l'examen, toutes deux partagent également la même aversion pour le mensonge et la feinte.
« Ménagère de la vérité », selon l'expression du Mendiant, Électre traque l'hypocrisie sous toutes ses formes.
N'exige-t-elle pas que la
clarté soit faite sur les circonstances de la mort de son père ? Sur le couple que sa mère formait avec le «roi des rois » ?
Il n'en va pas très différemment de Clytemnestre.
On peut en effet penser que si elle a tué Agamemnon, c'est parce que son mariage
offrait l'image d'un bonheur qui en réalité n'existait pas.
Son union était un mensonge social et sa pérennité une hypocrisie qu'elle
supportait de plus en plus mal.
Avec quel soulagement clame-t-elle à Électre qu'elle haïssait Agamemnon !
II.
Des différences notables
Néanmoins, que toutes deux incarnent des visages différents de la féminité et que l'une, s'érigeant en justicière, poursuit l'autre qu'elle
considère comme une coupable.
Deux visages de la féminité
La manière dont elles assument leur féminité les distingue radicalement.
Clytemnestre revendique le droit d'aimer, fût-ce au prix du scandale.
Électre se drape fièrement dans sa virginité.
La première a opté
pour tous les risques et toutes les souffrances d'une liaison.
Égisthe l'a en effet trompée avec Agathe ; et, en tant que reine, elle ne
peut révéler au grand jour son amour pour Égisthe.
La seconde s'est réfugiée dans une attente farouche et absurde d'un père disparu.
Les scènes 9 de l'acte I et 5 de l'acte II sont moins
une opposition entre la mère et la fille qu'entre la femme et la jeune fille.
Selon Électre, «le visage de la chasteté » est celui de « la
pire ennemie » de Clytemnestre (I, 9, p.
61).
La coupable et la justicière
Comment en outre oublier que l'intrigue policière sur laquelle Giraudoux a construit sa pièce les place dans deux camps opposés ?
Électre enquête sur un meurtre et agit en justicière.
De ce meurtre, Clytemnestre est coupable.
Égisthe ne fut que son complice.
La distribution des rôles les différencie.
Alors qu'Électre se sent sûre de son droit et du bien-fondé de ses démarches, Clytemnestre
reste constamment sur la défensive.
L'une a tout à découvrir et l'autre tout à cacher.
III.
Des analogies fondamentales
Comme deux vieux adversaires finissent par se ressembler, il existe pourtant entre elles des symétries inquiétantes, ainsi qu'une
même et troublante culpabilité.
Des symétries inquiétantes
À la haine d'Électre pour Clytemnestre fait écho la haine de Clytemnestre pour Agamemnon.
Les deux principaux personnages
féminins de la pièce ont à vingt ans de distance ressenti une répulsion différente dans son objet, mais identique dans sa nature.
Depuis toujours la mère et la fille ont réagi l'une envers l'autre de la même façon : «Nous avons été des indifférentes dès ta première
minute» reconnaît Clytemnestre (II, 5, p.
91) qui ajoute : «Ni toi ni moi n'avons pleuré ce jour-là.
Ni toi ni moi n'avons jamais pleuré
ensemble.» (II, 5, p.
91).
Une même et troublante culpabilité
Loin de les éloigner, le dénouement les rapproche paradoxalement.
Électre punit certes sa mère, coupable d'un assassinat.
Mais, en la
châtiant, Électre devient à son tour un assassin.
«Désormais, c'est toi la coupable », lui disent les Euménides*, qui la préviennent
qu'elle ne pourra plus trouver la paix : «Tu vas l'écouter, ta conscience, dans les petits matins qui se préparent.» (II, 10, p.
131).
Son sort est-il désormais si différent de celui de Clytemnestre qui chaque nuit a revécu « le cauchemar » du « massacre »
d'Agamemnon (II, 9, p.
128) ? Le plus troublant est donc que la justicière et la coupable finissent par se ressembler et se confondre..
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