Choisir de se taire peut-il se justifier ?
Extrait du document
«
Choisir de se taire peut-il se justifier ?
Réfléchir sur l'acte de se taire, c'est avant tout réfléchir sur la signification de la parole.
Parce que choisir de ne pas parler,
c'est avant tout ne pas vouloir tenir l'engagement nécessaire de tout acte de dire.
Qu'est-ce que la parole? A proprement
parler, c'est une fonction d'expression verbale et extérieure de la pensée et nous pouvons ajouter proprement individuelle.
Parler, c'est dire quelque chose à quelqu'un.
Or, dire quelque chose à quelqu'un, c'est bien en effet exprimer quelque
chose et le communiquer en utilisant pour le faire une langue déterminée.
La parole suppose donc une langue et un
langage.
Mais la parole permet-elle vraiment d'exprimer ce que l'on pense? Ne dénature-t-elle pas notre vécu et le réel?
Pourtant est-ce possible de pensée sans parler?
I La parole dénature la pensée
la pensée est la condition de possibilité du langage qui lui-même rend possible la parole, on peut soutenir qu'il existe une
antériorité fondamentale de la pensée sur la parole.
Or, si pensée et parole sont deux choses distinctes, il est possible que
la parole ne rendre pas réellement ce qu'on veut dire.
Descartes dans le Discours de la méthode, affirme que l'on peut avoir des idées claires et distinctes et parler une langue
obscure, comme le bas breton nous dit-il
En effet, les mots ont un rapport non immédiat, non direct avec leur objet.
Pour Bergson, dans Le rire, les mots parce qu'ils sont généraux, occultent la singularité des choses extérieures ainsi que la
singularité de nos états intérieurs.
De même, pour Platon, dans Le Cratyle, après avoir reconnu le caractère conventionnel des mots, critique le fait qu'ils
découpent le réel selon ses apparences et non selon l'essence des choses.
Ainsi, parler, c'est dénaturer notre pensée mais c'est aussi ne pas atteindre le réel, s'en éloigner.
II La pensée est parole
D'emblée, Hegel soutient que c'est dans les mots que nous pensons.
La verbalisation de nos pensées en assure la réalité
et permet d'en prendre conscience comme telles.
Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus
vraie." Philosophie de l'esprit.
Pour Saussure, si nous parlons, ce n'est pas du tout pour communiquer, mais c'est tout simplement parce que nous
pensons.
Il n'y a pas d'idées préétablies, et rien n'est distinct avant l'apparition de la langue." Cours de linguistique générale.
Ainsi toute pensée est parole, verbalisation.
Faire le choix de se taire, c'est prendre le risque de ne plus élaborer de
pensées cohérentes et de ne plus pouvoir réfléchir.
III La parole comme communication et expérience
La parole, de par sa nature a beaucoup à nous apprendre.
Elle fixe des acquisitions.
La pensée individuelle serait
condamnée à de perpétuels recommencements, si elle ne pouvait pas fixer ses acquisitions dans des mots.
De plus, la parole est ce qui nous permet de communiquer avec l'autre, d'échanger nos impressions, même si c'est de
manière imparfaite.
Pouvoir parler avec autrui doit me permettre de mieux le comprendre.
Renoncer à parler, c'est se priver
de l'échange avec autrui.
On pourrait objecter que l'on peut communiquer avec autrui sans parler, mais c'est prendre un
risque encore plus grand d'être incompris.
En effet, la parole est un lieu d'expérience et de prise de conscience de notre pensée même.
Prendre le risque de se taire,
c'est ne pas confronter ses idées avec celles des autres et c'est aussi ne pas avoir la possibilité de se connaître soi-même.
Il n'est certes pas toujours possible de tout dire, de verbaliser notre vécu immédiat tels les sentiments que nous
éprouvons.
Il faut trouver les bons mots pour le dire et le passage du vécu à l'expression du vécu par la parole fait qu'il est
impossible de réduire l'un à l'autre.
Mais il ne faut cependant pas renoncer à la parole, tout d'abord parce qu'elle me permet de communiquer avec autrui
même de manière imparfaite et qu'ensuite parler nous aide à éclairer notre pensée, à avancer.
Ainsi Kierkegaard écrit: "Le plus sur des mutismes n'est pas de se taire, mais de parler" parce que le langage est le seul à
pouvoir réduire les incompréhensions entre les hommes, même quand c'est lui-même qui en est à l'origine..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Ce dont on ne peut parler, il faut le taire - Ludwig Wittgenstein (1889-1951)
- Platon: L'homme est-il libre de choisir qui il est ?
- Paul Valéry donne à l'écrivain ce conseil : « Entre deux mots, il faut choisir le moindre» (Tel Quel, Littérature, 1929). Vous rapprocherez cette boutade de la définition qu'André Gide propose du classicisme : « Le classicisme - et par là j'entends : le
- La moquerie peut-elle se justifier ?
- Parler ou agir faut-il choisir ?