Changer est-ce devenir quelqu'un d'autre ?
Extrait du document
«
Interrogez-vous sur le paradoxe qu'il y a à changer au cours du temps tout en restant en définitive la même
personne.
Vous pouvez partir de constats simples : tout d'abord en ce qui concerne l'apparence physique .
Si on
regarde la photo d'une personne 20 ans plus tôt on dira simplement qu'elle a changé alors qu'il s'agit de la même
personne.
Mais ce constat peut également se faire au niveau du caractère d'une personne.
Néanmoins, on dira alors
de la personne qu'elle n'est plus la même comme si elle était devenue un autre alors qu'il s'agit toujours de la même
personne.
Ainsi, dans les deux cas, la personne change et ne devient pas à proprement parler un autre, son identité
est toujours la même si on commence par entendre par identité son nom, sa date de naissance, son lieu de
naissance...les caractéristiques que l'on trouve sur une carte d'identité.
Dès lors, d'un côté elle semble ne pas être
devenue autre puisqu'il s'agit de la même personne et d'un autre elle n'est plus la même.
C'est ici que nous nous
trouvons face à un problème.
Pourquoi sais-je immédiatement qu'il s'agit de moi sur une ancienne photo alors même
que je ne ressemble peut-être plus du tout à l'image que j'y vois ? Comment peut-on radicalement changer
d'existence tout en demeurant le même individu ? Faut-il au contraire affirmer que nous changeons réellement et
intégralement au cours du temps ? Mais alors, comment comprendre que les différents " moments " de moi-même
soient bien les miens ? Comment comprendre que Socrate malade, Socrate assis, Socrate au combat soient le même
Socrate ? Il ne s'agit pas ici de questions que vous devez juxtaposer mais que vous devez vous poser afin de
comprendre les enjeux du sujet.
Ainsi, si changer ne consiste pas à devenir autre cela signifie-t-il qu'il y a
substance, une essence de nous-mêmes qui soit susceptible de recevoir toutes les déterminations, même de
manière contradictoire ? Qu'est-ce qui me définit alors comme identité ? La notion d'identité pour une personne estelle à comprendre comme lorsqu'on parle d'identité pour une chose ?
Introduction:
Le temps nous fait sans cesse changer.
Je ne suis déjà plus celui que j'étais il y a un instant.
Qu'y a-t-il de commun
entre l'enfant insouciant que j'étais, l'adolescent que je suis et le vieillard que je serai ? Sans doute rien.
Pourtant
c'est toujours de moi, de la même personne dont il s'agit.
Qu'est-ce qui nous permet de dire qu'elle est la même ?
Faut-il chercher l'unité et l'unicité de la personne dans un noyau invariant sur lequel le temps n'aurait nulle prise, ou
au contraire confier cette unité à la continuité d'une histoire singulière ? Quel rôle joue le temps dans cette
constitution et cette dislocation du moi ?
Première partie
Pour changer, il faut déjà être quelqu'un ou quelque chose.
A défaut d'un substrat au changement, il n'y aurait pas
de changement mais succession de deux choses distinctes.
Il n'y a changement que s'il existe un substrat voire une
substance pour assurer et assumer ce changement.
"Posséder le Je dans sa représentation: ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres
vivants sur la terre.
Par là, il est une personne ; et grâce à l'unité de la conscience dans tous les changements qui
peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c'est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la
dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu'il
ne peut pas dire Je, car il l'a dans sa pensée ; ainsi toutes les langues, lorsqu'elles parlent à la première personne,
doivent penser ce Je, même si elles ne l'expriment pas par un mot particulier.
Car cette faculté (de penser) est
l'entendement.
Il faut remarquer que l'enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu'assez tard (peut-être un an
après) dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que
pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l'autre
manière de parler.
Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense." KANT
Ce texte est extrait du tout début de "Anthropologie du point de vue pragmatique" (Livre 1.
De la faculté de
connaître- De la connaissance de soi-même, $1).
Cette oeuvre, regroupe, comme l'indique Kant dans une note de sa
préface, des cours professés pendant les semestres d'hiver "depuis plus de trente ans".
L' "Anthropologie du point de vue pragmatique" contient toutefois des analyses subtiles sur les sujets les plus divers:
la vie sociale, le rôle des sens et de la mémoire, le suicide.
On y trouve des anecdotes, des conseils sur l'art de
vivre et une sorte de "traité des passions" qui fait songer à celui de Descartes.
Le texte que nous allons commenter se rapporte à la conscience de soi.
Notons que dans un passage difficile de la
"Critique de la raison pure", Kant affirme que pour qu'il y ait conscience de soi, deux choses sont requises: le
déroulement successif de la diversité (le flux des phénomènes intérieurs ou états de conscience) et la
compréhension de ce déroulement, acte qu'il nomme synthèse de l'appréhension.
Autrement dit, sans le "je pense"
qui accompagne toutes mes représentations, "serait représenté en moi quelque chose qui ne pourrait pas du tout
être pensé, ce qui revient à dire ou que la représentation serait impossible, ou que du moins, elle ne serait rien pour
moi".
Kant distingue donc l'aperception empirique qui est l'état intérieur toujours changeant & l'aperception
transcendantale, conscience pure, originaire et synthétique qui assure la liaison et donc la connaissance réflexive de
ce flux intérieur, permettant ainsi la constitution d'un "moi" fixe & permanent.
Pouvoir dire je, c'est donc avoir
conscience d'être un & identique par-delà la multiplicité des états de conscience internes et des expériences
vécues..
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