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Blaise PASCAL

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Qu'est-ce que le moi ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non : car la petite vérole qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on ? moi? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps ni dans l'âme ? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées. Blaise PASCAL

« PRESENTATION DES "PENSEES" DE PASCAL Pascal (1623-1662) rédige les Pensées durant les dernières années de sa vie ; il collectionne sur de petits papiers les éléments d'une oeuvre à visée apologétique.

Le texte sera publié une première fois de manière posthume par ses proches de l'abbaye de Port Royal, foyer de la pensée janséniste, et ne cessera d'être remanié par des éditions successives (nous choisissons ici le classement établi par Lafuma).

L'oeuvre est originale tant par les aléas éditoriaux qui la caractérisent que par la préoccupation qui l'anime ; on est loin des opuscules scientifiques et de leur argumentation proprement démonstrative.

Grand lecteur de Saint Augustin, Pascal est aussi marqué par la lecture de Montaigne, dont il gardera des leçons de scepticisme.

Mais ici, le scepticisme se réduit en fait à une arme critique censée ébranler ce que l'on croyait sûr, par exemple, la toute-puissance de notre raison à établir le vrai.

De ce point de vue, les Pensées représentent un contrepoint philosophique majeur à la métaphysique cartésienne qui prétend fonder tout l'édifice du savoir, l'existence de Dieu y compris, par l'examen rationnel. «Qu'est-ce que le moi ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non : car la petite vérole qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on ? moi? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moimême.

Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps ni dans l'âme ? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste.

On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées.

» Une approche critique de la représentation traditionnelle du moi: Le texte ne dissocie pas le problème de la relation interpersonnelle d'une approche de la condition humaine.

Ceux qui prétendent définir le moi ou la personne d'autrui comme points de repère « absolus » tombent sous le coup d'une relativisation ontologique de toute réalité humaine.

Ce qui est constitutif de l'être est éphémère, vulnérable, apparent.

D'où la vanité d'une affectivité qui s'attache au relatif, au transitoire, en s'illusionnant sur son objet.

Un texte très typé de l'oeuvre pascalienne, tiré des Pensées, et qu'on pourra rapprocher d'autres passages caractéristiques (comme celui où Pascal tourne l'amour en dérision : « Ce je ne sais quoi, si peu de chose qu'on ne peut le reconnaître, remue toute la Terre...

», Pensées 162, 163). Analyse thématique: • Axe général : vanité des définitions habituelles du moi, et des illusions affectives qui les sous-tendent. • Développement thématique : l'argumentation de Pascal consiste à problématiser la représentation traditionnelle du moi en relativisant la portée réelle des sentiments qui le visent.

Pour cela, il montre le caractère très problématique, voire imaginaire, de l'objet « visé » dans l'amour.

En première apparence, en effet, la relation d'amour semble s'opposer diamétralement à la relation anonyme, contingente et arbitraire que produit le hasard d'une rencontre (accoudé à la fenêtre, on ne « vise » pas des personnes particulières ; on regarde des êtres en mouvement).

Mais, en réalité, ce qui fonde la différence entre ces deux relations n'est-il pas illusoire ? Certes, j'ai conscience de valoriser une personne précise ; mais comment puis-je l'appréhender, la définir ? Ses qualités physiques ou morales sont précaires, éphémères.

Elles ne sont pas solidaires de son « être même ».

L'antinomie d'un amour qui porte sur une « personne » et ne se justifie que par l'existence de qualités relatives ne peut être résolue que par un énoncé final du caractère imaginaire du moi ou de la personne : « On n'aime donc que des qualités.

» Et Pascal tourne en dérision ceux qui, au nom d'un absolu complètement illusoire, feignent de croire qu'il pourrait en être autrement.

Le réalisme qui s'en tient consciemment aux « qualités empruntées » (c'est-àdire tout à la fois contingentes et apparentes) est préférable aux mythologies que l'homme entretient sur luimême, sur ses sentiments, sur autrui. Explicitation de la problématique du texte et de sa thèse centrale • Le texte insiste de façon très prononcée sur la relativité et la précarité de la condition humaine (thèmes de la maladie, de l'altération des fonctions mentales, etc.).

Il disqualifie du même coup toute prétention à l'absolu en matière de sentiments.. »

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