Blaise PASCAL
Extrait du document
«
Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moimême; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses; je ne sais ce
que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie
même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur ellemême, et ne se connaît non plus que le reste.
Je vois ces effroyables
espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de
cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce
lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre
m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a
précédé et de toute celle qui me suit.
Je ne vois que des infinités de toutes
parts, qui m'enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure
qu'un instant sans retour.
Tout ce que je connais est que je dois bientôt
mourir, mais ce que j'ignore le plus est cette mort même que je ne saurais
éviter.
Comme je ne sais d'où je viens, aussi je ne sais où je vais; et je sais
seulement qu'en sortant de ce monde, je tombe pour jamais ou dans le
néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux
conditions je dois être éternellement en partage.
Voilà mon état plein de
faiblesse et d'incertitude.
Et de tout cela, je conclus que je dois donc
passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit
m'arriver.
Analyse ordonnée du texte
De ce texte, on peut dire que, pour l'essentiel, il s'inscrit dans la tradition de la littérature chrétienne et qu'il fait
penser, par exemple, au Sermon de Bossuet sur la mort : ignorance sur ma naissance, mon corps, mes sens, mon
âme, ma pensée, ma place dans l'étendue et dans la durée, sur mon origine et mon avenir, sur l'heure de ma
mort, cette mort étant seule certaine.
Il n'en porte pas moins des marques, qui, si nous connaissions Pascal, mais
que nous ignorions cette page, nous la lui feraient attribuer sans hésiter.
Elle a un ton, une force et une qualité
d'expression qui ne trompent pas.
En effet, si ce discours est censé être celui de « l'esprit fort », de l'incroyant
qui se refuse à croire et qui se vante, Pascal, parlant en son nom, et si l'on fait abstraction de la dernière phrase,
se sert du même langage.
« En regardant tout l'univers muet, et l'homme sans lumière, et comme égaré dans ce
recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de
toute connaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île déserte et
effroyable, et qui s'éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d'en sortir» (Pensée 633).
On retrouve dans
ce texte les mots qui constituent des leitmotivs dans les Pensées : «terrible», «effroyables» «enferment» ici
répétés, évoquant une comparaison empruntée à Montaigne, de l'homme qui ne voit «que l'ordre de la police de
ce petit cerveau» où il se trouve «logé» (Essais, II, XII), mais qui l'obsède et qui est celle d'un cachot (P.
72,
200), où l'homme attend sa condamnation à mort.
On y retrouve aussi le thème insistant de l'ignorance de soi.
Il
« est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature ; car il ne peut concevoir ce que c'est que corps, et encore
moins ce qui est esprit, et moins qu'aucune chose comme un corps peut être uni à un esprit » (P.
72).
Mais, plus profondément que cette terreur de l'ignorance humaine, ce qui est un thème constant et
particulièrement caractéristique de Pascal, c'est l'infinité de l'univers par rapport à l'atome que je suis et surtout
l'infinité de l'éternité qui domine tout le texte et qui fait de ma vie un instant fugitif.
Or la mort place l'esprit fort
dans l'alternative de tomber, soit dans le néant, s'il n'y a pas d'au-delà, soit d'être à la merci d'un Dieu irrité, car
si Dieu est, c'est pour lui « la certitude de damnation » (P.
239) et de l'enfer.
Il n'en conclut pas moins : «Je veux
aller sans prévoyance et sans crainte, tenter un si grand événement, et me laisser mollement conduire à la mort,
dans l'incertitude de l'éternité de ma condition future » (P.
194).
PASCAL (Blaise).
Né à Clermont-Ferrand en 1623, mort à Paris en 1662.
Enfant précoce, il écrivit à onze ans un traité des sons, et retrouva tout seul, à douze ans, la trente-deuxième
proposition du premier livre d'Euclide.
A dix-neuf ans, il inventa une machine arithmétique.
En 1646, il entre en relations
avec Port-Royal et fait sa première expérience sur le vide.
A partir de 1652, commence ce que l'on a appelé la « vie
mondaine » de Pascal.
Ami du duc de Roannez, il fréquente les salons et les femmes, s'adonne au jeu, mais poursuit
cependant la réalisation de ses travaux mathématiques : il se révèle le promoteur de l'analyse infinitésimale et du
calcul des probabilités.
Insatisfait de la vie qu'il mène, las du monde, le cœur vide, il éprouve la nostalgie de Dieu..
»
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