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Blaise PASCAL

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Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? Parce qu'il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler. Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans les qualités réelles et effectives de l'âme et du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la santé, la force. Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs ; mais, comme elles sont d'une nature différente, nous leur devons aussi différents respects. Aux grandeurs d'établissement, nous leur devons les respects d'établissement, c'est-à-dire certaines cérémonies extérieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. Il faut parler aux rois à genoux ; il faut se tenir debout dans la chambre des princes. C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs. Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'estime, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelles ; et nous devons au contraire le mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces grandeurs naturelles. Blaise PASCAL

« " Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects.

Les dignités et la noblesse sont de ce genre.

En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? Parce qu'il a plu aux hommes.

La chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler. Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans les qualités réelles et effectives de l'âme et du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la santé, la force. Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs ; mais, comme elles sont d'une nature différente, nous leur devons aussi différents respects.

Aux grandeurs d'établissement, nous leur devons les respects d'établissement, c'est-à-dire certaines cérémonies extérieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte.

Il faut parler aux rois à genoux ; il faut se tenir debout dans la chambre des princes.

C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs. Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'estime, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelles ; et nous devons au contraire le mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces grandeurs naturelles." PASCAL Introduction Être lucide, c'est distinguer ce qui doit l'être pour conduire sa vie librement et sans méprise.

À cette fin, la philosophie appelle une étude critique de notions trop souvent confondues, et cultive la conscience de ce qui fonde leur distinction.

La tendance à confondre réalisme et conformisme, par exemple, n'est peut-être pas spécifique à notre époque, mais elle est aujourd'hui singulièrement répandue.

Va-t-elle de pair avec une sorte d'illusion nécessaire à la cohésion sociale dont un certain ordre établi donne la norme ? Une telle fonction idéologique appelle aussitôt une démystification critique, si du moins on ne confond pas lucidité et soumission.

L'autojustification des puissances de ce Monde conduit trop souvent à une confusion du droit et du fait, de ce qui est et de ce qui devrait être.

En abusant les consciences, elle les prive de tout recours, ou les conduit à une révolte aveugle contre tout ordre : il y a entre la soumission idéologique intégra-le et le relativisme absolu et destructeur une symétrie inversée qui appelle réflexion. L'étude d'un texte de Pascal permettra d'engager celle-ci, dans le cadre d'une problématique dont la portée dépasse sans doute le seul contexte de la pensée pascalienne. Étude ordonnée du texte Si la conduite de la vie humaine requiert qu'on accorde plus ou moins de prix aux choses, elle appelle une juste évaluation de ce qui importe à l'homme.

C'est toujours par rapport à une certaine fin que se pose la question : que dois-je considérer comme grand ? Parler de grandeurs, comme le fait Pascal, c'est évoquer des données mesurables, sinon au sens propre, du moins au sens figuré.

Le thème du texte, ainsi mis en situation, pourrait se formuler comme une question : comment distinguer les différents types de grandeurs existant dans le monde ? Une telle question présuppose bien sûr qu'il y a lieu d'effectuer une telle distinction – et l'on pourrait tout aussi bien lire le texte comme une justification de la nécessité d'une telle distinction.

Les deux questions sont solidaires, car une distinction ne peut réellement être posée que si elle est fondée.

Et l'ensemble du texte peut être compris comme une entreprise de fondation de la distinction exposée, assortie d'une définition des deux types de respects qu'elle appelle à différencier. La thèse pascalienne est formulée dès la première phrase : toute évaluation humaine, « dans le monde », ressortit en fin de compte à deux types de grandeurs différenciées l'une par rapport à l'autre.

L'organisation du texte, assez simple, développe le sens et les implications de la distinction exposée.

Le premier paragraphe procède à l'exposition de la distinction elle-même, et à l'explication du sens des « grandeurs d'établissement ».

Cette explication s'assortit d'exemples et pro-pose une explication génétique (« la volonté des hommes » ; « il a plu aux hommes »).

Le second paragraphe développe le sens qu'il convient d'attribuer à la notion de « grandeurs naturelles ».

Le troisième et le quatrième paragraphe tirent les conséquences de la distinction en stipulant qu'elle implique deux types de respects nettement différenciés. Il y a, dit l'auteur, les « grandeurs d'établissement », et les « grandeurs naturelles ».

Le sens et la portée d'une telle distinction sont précisés en des termes tout à fait significatifs.

Les grandeurs d'établissement, rapportées à la volonté des hommes, à leur « fantaisie », sont relatives ; les grandeurs naturelles, « indépendantes de cette fantaisie », ont la consistance incontestable des « qualités effectives » qui leur correspondent.

Parler de qualités effectives c'est d'ailleurs suggérer que celles qui s'attachent aux grandeurs d'établissement ne le sont pas : la valeur qui leur est conférée relève, semble-t-il, de l'imagination humaine.

Pascal ne va pas jusqu'à écrire qu'elle est illusoire – mais dans. »

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