Bergson: Pouvons-nous concevoir un rapport entre le beau et le vrai ?
Extrait du document
«
On s'accorde en général à lier l'idée de la beauté avec celle du plaisir : le beau, c'est d'abord, semble-t-il, ce qui plaît.
Cette notion nous renvoie au domaine des sens ou de la sensibilité.
Le statut de la pensée, ou de la réflexion, devient
dès lors problématique : doit-elle être exclue du plaisir esthétique, comme quelque chose qui en quelque sorte le "
parasiterait », ou peut-elle au contraire y être associée ? Quels rapports entretiennent alors la sensibilité et la raison
dans l'expérience esthétique ? Peut-on prétendre interpréter et expliquer une oeuvre ?
Quelle est la force de l'art, comment peut-il agir sur le spectateur ? Cette question conduit à revenir sur le statut du
plaisir, car il apparaît que cette notion ne rend pas compte de toute la richesse de l'expérience esthétique ; en effet,
que dire de ces oeuvres qui nous troublent, voire nous choquent profondément ? Doit-on exercer sur les arts la
fonction critique de l'entendement ? L'exigence rationnelle de vérité a-t-elle un rôle à jouer dans l'expérience
esthétique ?
L'art se présente comme un langage ; encore faut-il se garder, sur ce plan, d'une approche trop simpliste, qui ne
verrait dans l'art qu'un moyen ou un instrument d'expression dont la forme est en elle-même indifférente.
Le sens d'une
oeuvre n'étant pas toujours patent, il semble que le goût exige quelque éducation, quelque formation.
Une telle
éducation semble d'autant plus nécessaire et utile que l'art apporte une dimension bien à lui, originale, à l'existence
humaine.
Lorsque nous disons qu'une oeuvre d'art doit être « reconnue comme telle, nous attribuons une fonction importante au
jugement.
Or celui-ci n'est-il qu'une affaire personnelle, ou est-il un problème de société ? Jugement personnel ou
jugement social, voire préjugé ? Ce qui nous conduit à ces deux questions : l'art doit-il s'efforcer d'échapper à
l'époque, à la particularité, pour ne considérer que l'éternel, ou doit-il s'efforcer, au contraire, de saisir le passager,
l'éphémère ? Autre question : la reconnaissance qu'une époque accorde à telle ou telle oeuvre du temps, ou du passé,
n'est-elle liée qu'à sa capacité de se reconnaître elle-même dans cette oeuvre ? N'en va-t-il pas de même, du reste,
pour le jugement personnel ?
BERGSON: Quel est l'objet de l'art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si
nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l'art
serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l'unisson de la
nature.
Nos yeux, aidés de notre mémoire, découperaient dans l'espace et fixeraient dans le temps des tableaux
inimitables.
Notre regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de
statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique.
Nous entendrions chanter au fond de nos âmes, comme une
musique quelquefois gaie, plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue de notre vie intérieure.
Tout cela est autour de nous, tout cela est en nous, et pourtant rien de tout cela n'est perçu par nous distinctement.
Entre la nature et nous, que dis-je ? entre nous et notre propre conscience, un voile s'interpose, voile épais pour le
commun des hommes, voile léger, presque transparent, pour l'artiste et le poète.
Quelle fée a tissé ce voile ? Fut-ce
par malice ou par amitié ? Il fallait vivre, et la vie exige que nous appréhendions les choses dans le rapport qu'elles ont
à nos besoins.
Vivre consiste à agir.
Vivre, c'est n'accepter des objets que l'impression utile pour y répondre par des
réactions appropriées : les autres impressions doivent s'obscurcir ou ne nous arriver que confusément.
Je regarde et je
crois voir, j'écoute et je crois entendre, je m'étudie et je crois lire dans le fond de mon coeur.
Mais ce que je vois et
ce que j'entends du monde extérieur, c'est simplement ce que mes sens en extraient pour éclairer ma conduite ; ce
que je connais de moi-même, c'est ce qui affleure à la surface, ce qui prend part à l'action.
Mes sens et ma
conscience ne me livrent donc de la réalité qu'une simplification pratique.
Avez-vous compris l'essentiel ?
1 Que nous faudrait-il pour pouvoir devenir artistes ?
2 Qu'est-ce qui commande, détermine notre conscience ordinaire du monde et de nous-même ?
3 En quel sens peut-on dire que l'art est réaliste ?
Réponses:
1 - Il faudrait que nous puissions entrer directement en communication avec les choses et avec nous-mêmes.
2 - Les impératifs pratiques, ceux qui gouvernent l'action concrète de l'homme sur son environnement.
Nous percevons
le monde à travers des considérations utilitaires.
3 - Sans doute pas au sens habituel de ce terme, qui désigne un attachement exclusif à l'utilité pratique et aux
commodités de la vie.
Mais on peut le dire en ce sens que l'art nous donne toujours accès à une réalité, la réalité
même, intérieure ou extérieure, celle-là même que le réalisme au sens habituel nous fait oublier.
Introduction :.
»
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