BERGSON: Liberté et déterminisme
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«
Introduction :
Dans le chapitre III de son Essai sur les données immédiates de la conscience, Bergson cherche à établir ce qu'est un acte libre.
Un acte serait libre lorsqu'il
émane du moi.
Or des actes qui proviennent de notre moi peuvent nous apparaître après coup déterminés par les circonstances qui le précèdent.
Si un ac te
est déterminé, alors il n'est pas libre.
Il s'agit donc pour Bergson de récuser la thèse du déterminisme qui nie la pos sibilité de l'acte libre en concevant tous
nos actes comme des résultats mécaniques d'états précédents.
Sa stratégie argumentative se déploie en deux moments : tout d'abord une concession au
déterminisme destinées à montrer ce que l'acte libre n'est pas, ensuite la description et l'analyse de la crise intérieure permet de distinguer un moi d'en
haut et un moi d'en bas sous la forme métaphorique du magma solidifié et du volcan en éruption.
Nous sommes alors confrontés à ce problème : si les actes
semblent devoir être causés par des conditions antécédentes, que doit être un acte pour pouvoir être qualifié de libre ?
I Ce que l'acte libre n'est pas
_ La stratégie de Bergson débute par une conc ession au déterminisme : « nous abdiquons souvent notre liberté dans des circonstances plus graves ».
C ette comparaison renvoie à la thèse qui précède notre extrait : dans notre vie quotidienne, la plupart de nos actes ne sont pas libres, mais déterminés de
telle manière à répondre le plus facilement aux stimulis sensoriels sans requérir l'intervention de la c onscience.
P ar exemple, le matin, quand le réveil
sonne, écrit Bergson « je suis un automate conscient et je le suis parce que j'ai tout avantage à l'être ».
A insi compris en général comme des réactions
automatiques insignifiantes, nos actes ne sont pas libres si bien que la liberté dans nos actions est très rare.
O r à côté de c es circonstances quotidiennes
insignifiantes, il y a de « c e s circonstances graves » exceptionnelles qui appellent les a c t e s libres dans la mesure o ù l e s réactions automatiques
semblables à celles du réveil ne lui sont plus adéquates.
P ar exemple, s'il me faut décider de la vie que je vais mener, ou du métier qui m'occupera pendant
une grande partie de mon existence, je ne peux me reposer sur une réaction automatique.
A u contraire cette décision requiert un acte fondé sur
l'intervention de ma conscience.
_ Pourtant alors que les circonstances sont graves et requièrent un acte libre, il arrive que nous ne mettions pas, pour ainsi dire, à la hauteur de la situation
et nous c ontentions de laisser nos automatismes décider pour nous : « par inertie ou par mollesse, nous laissons ce même processus local s'accomplir
alors que notre pers onnalité toute entière devrait vibrer ».
A insi on peut se référer à la situation qui précède un choix important pour comprendre ce qu'un
acte libre n'est pas .
P ar paresse ou lâcheté, je réclame un conseil de mes amis en pensant seulement éc lairer ma décision et la confronter à leurs avis : la
décision ne peut être que libre puisque elle émane de moi.
O r qu'est-ce qui se passe lors de notre conversation ? « Les sentiments qu'ils expriment avec
tant d'ins istance viennent se poser à la surface de notre moi et s'y solidifier » si bien « qu'ils formeront une croûte épaisse qui recouvrira nos sentiments
personnels ».
_ L'acte qui émane de mon moi ne pourra alors être libre dans la mesure où le moi lui-même sera recouvert d'une croûte de sentiments qui ne sont pas les
miens, mais ceux des autres .
A insi ma décision sera déterminée à la manière des automatismes du réveil par des idées qui ne proviennent pas vraiment de
ma conscience.
C e qui état vraiment moi a été comme enrobé à ce qui ne l'est pas, et l'acte provient de cette couche plus superficielle.
A insi l'acte de la
décision n'est libre qu'en apparence, e t j e s u i s alors victime de l'illusion forgée par le conseil de mes amis : « nous croirons agir librement et c'est
seulement en y réfléchissant plus tard que nous reconnaîtrons notre erreur ».
C e sont les autres qui décident pour moi lorsque je crois être la seule source
de ma décision, et je ne prends conscience de l'absence de liberté de ma déc ision que lorsqu'il est trop tard.
Néanmoins si Bergs on concède que nos actes ne sont pas toujours libres quand ils devraient l'être, il ne donne pas pour autant raison au déterminisme en
affirmant l'inexistence d'acte libre.
En effet il cherche à décrire ce qu'un acte libre n'es t pas pour mieux cerner ce qu'il est.
II L'acte libre dans la crise intérieure
_ Si nous n'avions pour seule possibilité que d'accomplir des actes sur le mode de la réaction automatique et que nous nous laissions à chaque fois aller à
cette facilité dans les circons tances grâces, il n'y aurait plus rien qui permettrait de penser la possibilité d'un acte libre.
Néanmoins, lorsque trop imprégnés
des conseils de nos amis, nous nous apprêtons à accomplir ce que nous n'avons pas décidé librement, « il n'est pas rare qu'une révolte se produise ».
La
révolte désigne ici l'expression de notre moi véritable enfoui sous le moi parasite formé par les cations automatiques ou les conseils des amis.
3 c'est le
moi d'en bas qui remonte à la surface.
C 'est la croûte extérieure qui éclate, cédant à une irrésistible poussée ».
La révolte de ce moi d'en bas est alors
comparé en un volc an entrant en éruption et brisant le magma solidifié en surface.
L'éruption de lave pendant cette révolte du moi prouve que le moi ne se
réduit pas à l'ensemble des réactions automatiques.
En effet la condition de l'éruption est un « bouillonnement et par là même une tension croissante de
sentiments et d'idées » « au dessous de ces arguments raisonnables ».
Sous le magma solide, la lave continue à être en ébullition.
D e ce point de vue, le
déterministe confond la surface du moi avec le moi lui-même.
En revanche s i l'on veut penser la possibilité de l'acte libre, il faut distinguer le moi du haut,
moi social forgé par nos habitudes, réactions automatiques, produit de l'éducation sociale et le moi d'en bas qui coïncide a v e c c e que nous sommes
vraiment.
_ Si nous ne percevons pas cette vie intérieure en ébullition, c'est que « nous ne voulions pas y prendre garde ».
C e manque d'attention est imputable à la
contamination du moi d'en haut sur le moi d'en bas.
En effet les idées et les sentiments nés du c ontact avec l'extérieur se sont greffés sur le moi au point de
former une couche .
C e moi parasite fait des opinions des autres a si bien recouvert notre moi véritable qu'il l'a pour ainsi dire étouffé.
C e n'est que dans le
moments de crise intérieure que le moi véritable réapparaît des profondeurs.
M ais il arrive souvent que nous soyons tellement contaminés par notre moi d‘en
haut que nous repoussons nous-mêmes ce que nous sommes: « par une inexplicable répugnance à vouloir, nous les avions repoussé dans les profondeurs
obscures de notre être chaque foi qu'ils émergeaient à la s urface » On peut ici se référer à la situation du narrateur de la Recherche du temps perdu de Proust
qui passe une grande partie de son existence à repousser l'exigenc e de se mettre à écrire.
Depuis son enfance, il se sent périodiquement tourmenté par le
désir d'éc rire, mais il ne ces se, sous le coup de son éduc ation et de son entourage, de reculer le jour du travail jusqu'à paraître renoncer définitivement à
son projet.
C ependant, à la fin de sa vie, dans le salon de la duchesse de Guermantes, on peut dire que son moi véritable se révolte et lui révèle enfin
l'œuvre qu'il doit accomplir en le rappelant à s a vocation.
Être soi -même est en effet une tâche éprouvante que nous essayons de fuir, mais qui nous
rattrape toujours.
_ Dans la mesure où le moi véritable remonte brutalement à la surface pour nous rappeler ce que nous sommes, il es t imposs ible « d'expliquer notre brusque
changement de rés olution par les circonstances apparentes qui le précédèrent ».
A insi dans la recherche du temps perdu, le narrateur se trouve dans un
salon mondain insignifiant et il est dans une situation semblable à chacune de ses journées précédentes.
Il est arrivé à un âge où il est certain désormais
que sa vie est un échec et qu'il lui faut à jamais renoncer à la littérature.
O r c'est justement à c e moment là où tout semble perdu que son moi véritable le
rappelle à lui-même (V ocare signe appeler).
A insi « nous voulons savoir en vertu de quelle rais on nous nous sommes décidés sans raison peut-être même
contre toute raison.
Mais c'est là précisément dans certains cas, la meilleure des raisons ».
En effet l'action accomplie ne dérive pas d'une raison extérieure
à nous, mais elle nous exprime nous-même dans notre personnalité toute entière : elle est « l'équivalent de toute notre expérience passée ».
A insi si l'on
reprend l'exemple du narrateur de la recherche, ce qu'il a désiré faire toute sa vie s a n s jamais l'osé s'exprime dans une action essentielle qui est la
décision d'écrire la Recherc he du temps perdu.
Finalement nous sommes alors face à un critère distinctif de l'acte libre : « nous sommes libres quand nos
actes émanent de notre pers onnalité toute entière, quand ils l'expriment, quand il ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre
l'œuvre et l'artiste ».
Conclusion :
Un acte libre n'est pas une action qui provient du moi d'en haut, le moi social forgé par les habitudes, l'éducation et les conseils d'autrui.
Par opposition un
acte est libre quand nous rec onnaissons en lui le miroir de ce que nous sommes; le c ritère de l'acte libre est donc moins l'émanation du moi qui peut être
trompeuse que l'expression de toute son âme.
O r puisque l'immens e majorité de nos actes provient de ce moi d'en haut, nous sommes très rarement libres
et même « beaucoup vivent ainsi et meurent sans avoir connu la vraie liberté »..
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