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Bergson: L'artiste voit-il mieux que les autres ?

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Qu’est-ce que l’artiste ? C’est un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue sans voiles. Voir avec des yeux de peindre, c’est voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons un objet, d’ habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons, ce sont des conventions interposées entre l’objet et nous ; ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l’objet et de le distinguer pratiquement d’un autre, pour la commodité de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l’usage pratique et les commodités de la vie et s’ efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste.

« "Qu’est-ce que l’artiste ? C’est un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue sans voiles.

Voir avec des yeux de peindre, c’est voir mieux que le commun des mortels.

Lorsque nous regardons un objet, d’habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons, ce sont des conventions interposées entre l’objet et nous ; ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l’objet et de le distinguer pratiquement d’un autre, pour la commodité de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l’usage pratique et les commodités de la vie et s’efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste." Bergson. Ce à quoi s'oppose cet extrait: Ce texte de Bergson tente de définir la nature de l'artiste et le sens profond de son activité, l'art.

D'entrée, l'auteur se place sur le terrain où la fonction de l'art a été problématisée depuis l'Antiquité : celui du rapport à la vérité. Contrairement à ce qu'affirmait Platon, qui ne voyait en l'artiste qu'un illusionniste, un imitateur expert dans la production de trompe-l'oeil et qui ne connaissait rien des objets qu'il représente, Bergson soutient ici une thèse tout opposée : pour lui, l'artiste est « un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue et sans voile ». En quoi consiste cette nudité ? Quelle est la nature de ce voile ? Ce que le texte défend Pour nous l'expliquer, Bergson doit alors soutenir une autre thèse qui ne peut manquer de nous surprendre, car elle nous implique tous, et pas seulement l'artiste.

Lorsque nous regardons un objet, d'habitude, « nous ne le voyons pas ». Regarder n'est donc pas la même chose que voir.

Voir, nous dit-il, c'est voir des conventions interposées entre l'objet et nous, c'est-à-dire toujours percevoir une chose à travers un écran ou une grille qui nous en masque la présence la plus authentique. Quelles sont ces conventions ? « Ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l'objet et de le distinguer pratiquement d'un autre.

» Bergson vise ici les mots de notre langage qui sont interposés, comme des étiquettes le sont sur des produits de consommation, entre les objets et nous. Ces mots nous procurent cette « commodité » qui est celle de la communication, laquelle rend l'échange plus facile, le travail plus aisé et, avec lui, une meilleure satisfaction des besoins.

« Il fallait vivre, écrit Bergson dans Le Rire, et la vie exige que nous appréhendions les choses dans le rapport qu'elles ont à nos besoins.

Vivre consiste à agir.

Vivre, c'est n'accepter des objets que l'impression utile pour y répondre par des réactions appropriées.

» Ce que nous regardons du monde extérieur est donc simplement ce que nos sens en extraient pour éclairer notre conduite en vue de satisfaire nos besoins.

Comment cette « simplification pratique », par laquelle nous écartons de l'objet tout ce qui ne correspond pas à son utilité, s'opère-t-elle ? Les mots ne sont pas des étiquettes blanches.

Ils renvoient à un sens, ils englobent une définition que nous avons toujours à l'esprit quand nous regardons le monde.

Cette définition, que le philosophe appelle le « concept» de l'objet, se résume le plus souvent à une formule qui porte sur sa fonction, à laquelle il est réduit. Quand nous voyons des chaussures comme celles que Van Gogh a représentées en 1886 dans son tableau Souliers avec lacets, ne voyons-nous pas autre chose qu'une paire de semelles recouvertes de cuir, le tout assemblé avec des clous et de la couture, pour servir à chausser des pieds ? Or le concept qui est associé au mot « chaussures » et qui les réduit à leur fonction la plus générale, convient à toutes les paires de chaussures, et nous empêche de voir cette paire-ci dans sa singularité, dans l'épaisseur de sa présence unique. Ce sont donc bien ces conventions (les mots et leurs concepts) qui constituent ce voile dont parlait Bergson. Cependant, l'artiste est seul capable de « mettre le feu à toutes ces conventions », en portant sur le monde un oeil qui n'est pas celui de la consommation.

Son regard est désintéressé et il redécouvre les êtres et les objets dans leur mystère et dans leur plénitude.

Cette attitude concerne aussi bien les réalités naturelles que les objets techniques. Lorsque le peintre représente, sous forme de « natures mortes », des aliments, des fruits par exemple, il oublie ce qu'ils signifient pour nos yeux de consommateurs et les regarde pour eux-mêmes.

La contemplation se substitue alors à l'intérêt. C'est pourquoi le regard de l'artiste est un « voir » plus profonde, car il est plus entier.

Il repose sur le mépris de « l'usage pratique et [des] commodités de la vie », conversion du regard qui seule peut nous amener à pénétrer la réalité de la manière la plus intense. C'est pourquoi Bergson écrit, dans Le Rire, que l'art, « qu'il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, [...] n'a d'autre objet que d'écarter les symboles pratiquement utiles [...

] pour nous mettre face à face avec la réalité même ».. »

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