Bergson: La durée
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□ Par « durée », Bergson comprend le temps réel qui est celui, vécu, du moi intérieur qui se ressaisit lui-même, abandonnant les habitudes contractées dans l'action sur le monde. La conscience se saisit alors comme effort, poussée intérieure, à la fois comme « empiétement du passé et anticipation de l'avenir » : la durée définit un temps qualitatif, continu et imprévisible, dans lequel on ne peut séparer un état antérieur d'un état ultérieur.
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La science considère le temps et l'espace comme des milieux homogènes, cad comme un cadre vide au sein duquel les choses et les événements
prendraient place comme dans un repère orthonormé.
L'homogénéité, c'est l'absence de toute qualité.
Or, Bergson va montrer que ce qui caractérise la
conscience de la durée, c'est précisément l'expérience d'un changement qualitatifs de nos états intérieurs.
La durée vécue ne se mesure pas.
L'aiguille de
l'horloge ne fait que parcourir un espace.
Cet espace parcouru ne semble être du temps que pour un être conscient qui, en suivant des yeux ce mouvement
spatial, l'associe à son expérience vécue de la durée.
1.
La durée
Selon Bergson, la durée est la réalité même : c'est-à-dire la durée pensée et concrètement vécue, le temps de la conscience intime, et non la durée
mesurée comme une distance d'un point à un autre.
Afin de saisir cette durée, le philosophe doit se réconcilier avec ce qu'il vit concrètement et faire
prévaloir la perception des choses sur leur conceptualisation.
2.
La conversion nécessaire
Comment appréhender cette durée qui semble toute intime ? Il convient d'opérer une conversion, de nous défaire des habitudes de pensées qui réduisent le
réel à une ombre de lui-même, en ne faisant que le mesurer et le diviser par pur intérêt.
Si nous n'avons de la durée que cette perception réduite, cela
signifie que, pour nous, la durée est d'abord ce qui nous sépare de quelque chose ou, si l'on veut, un moyen terme entre un début et une fin.
C e moyen terme
n'est donc pas perçu pour lui-même, mais en vue d'autre chose, et la réduction de la durée à de l'espace signale d'abord une conception utilitaire du monde,
bien loin du désintéressement qui devrait être celui du philosophe.
Si nous voulons saisir ou contempler la durée en son absoluité, ou du moins nous en
rapprocher, il nous faut nous défaire de notre obsession pour l'action.
Conscience et durée
□ Par « durée », Bergson comprend le temps réel qui est celui, vécu, du moi intérieur qui se ressaisit lui-même, abandonnant les habitudes contractées dans
l'action sur le monde.
La conscience se saisit alors comme effort, poussée intérieure, à la fois comme « empiétement du passé et anticipation de l'avenir » :
la durée définit un temps qualitatif, continu et imprévisible, dans lequel on ne peut séparer un état antérieur d'un état ultérieur.
□ Toute représentation du temps dans l'espace, comme le tracé d'une ligne divisée en autant d'intervalles homogènes, manque la « durée » : au lieu de saisir la
mobilité, le mouvement lui-même, on fixe en effet des états.
Cette façon d'appliquer le schème spatialisant au temps réel définit, selon Bergson, la tendance
de l'intelligence, incapable de saisir la durée.
□ L'intelligence est, selon lui, une faculté d'adaptation à la vie, elle a une fonction pratique et ne se rapporte au réel que pour les nécessités de l'action.
Elle isole,
fixe des états, et ne retient que l'aspect « répétition » de la réalité afin de pouvoir, dans une situation donnée, prévoir l'avenir.
La science porte au plus haut
degré cette opération de l'intelligence, dont les instruments privilégiés sont le langage et les idées générales.
Irréversibilité et continuité du temps vécu
La théorie de la relativité n'entame en rien notre sentiment de l'irréversibilité du temps.
Elle a, d'ailleurs, montré, tout à l'inverse, l'impossibilité physique de
celle-ci (pour «remonter» le temps, il faudrait dépasser la vitesse de la lumière).
En tout état de cause, affirmait Bergson (1859-1941), notre intelligence a tendance à nier qu'il existe, en deçà du temps objectif des mathématiciens et des
horloges, une «durée pure» qui assure l'interpénétration de tous nos états d'âme.
Sans cette durée, nous ne connaîtrions que des instants ; il n'y aurait pas
de prolongement du passé dans le présent (souvenirs, etc.) : «notre durée n'est pas un instant qui remplace un instant» (L'Évolution créatrice, 1907).
Temps du savant et temps vécu
Notre intelligence, affirme Bergson, a «besoin d'immobilité» (La Pensée et le Mouvant, 1934).
Considérons le mouvement d'un mobile : «une fois le trajet effectué, comme la trajectoire est espace», nous croirons comprendre le mouvement si nous
pouvons le représenter «comme correspondant avec les immobilités des points d'espace qu'il parcourt» (ibid).
Alors on pourra avoir, comme Leibniz,
l'illusion que le temps est «un continu uniforme et simple, comme une ligne droite» (Nouveaux Essais sur l'entendement humain, 1703).
Mais tout cela nous apprend seulement que l'intelligence, et l'intelligence scientifique particulièrement, n'a jamais affaire qu'à un temps spa-tialisé, à un
temps qu'elle rend subrepticement «indéfini et homogène», c'est-à-dire à un «fantôme de l'espace» (Bergson, Essai sur les données immédiates de la
conscience, 1889).
•
Parce qu'il est matérialisé dans les horloges et les calendriers, le temps de la science est immédiatement pris comme le temps lui-même — alors qu'il n'en
est qu'une traduction, une objectivation discontinue, à la manière des images de cinéma.
L'aller et retour du balancier, le tic-tac de la montre, aujourd'hui le
remplacement soudain d'un chiffre par un autre sur l'écran électronique, tout fait signe pour nous suggérer que le temps s'égrène au lieu de couler.
Bergson appelle durée le temps concret, continu de la vie et de la pensée, par opposition au temps de la science qui n'en est que la projection dans l'espace.
Notre lecture du temps scandée par les nombres se déploie nécessairement dans l'espace.
Même les horloges atomiques (que Bergson ne connaissait
évidemment pas) sont des mises en espace de la durée.
L'intelligence, qui selon Bergson a une fonction pratique plutôt que théorique, quantifie et spatialise les phénomènes.
Face à elle, l'intuition est mieux à
même d'épouser la durée dans ce qu'elle a de qualitatif, de continu et d'inexprimable.
La science a imposé l'idée que le temps est une dimension objective indifférente aux événements qui y prennent place.
Cette image du prendre place indique
bien à quel point le temps a été changé en espace.
Tout se passe comme si on imaginait le temps comme un contenant, une boîte dans laquelle les
événements viendraient effectivement se ranger.
Or, la durée est créatrice, que ce soit celle de la vie des espèces (une forme nouvelle d'animal
n'est pas contenue dans la précédente, elle n'est pas déduite d'elle), celle de la conscience ou celle de l'histoire.
L'expression d'élan vital utilisée par
Bergson a pour fonction d'écarter la conception mécanique que la biologie, qui avait pris modèle sur la physique, avait introduite..
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