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Bergson: La conscience garantit-elle l'autonomie du sujet ?

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Il me paraît donc vraisemblable que la conscience, originellement immanente à tout ce qui vit, s'endort là où il n'y a plus de mouvement spontané, et s'exalte quand la vie appuie vers l'activité libre. Chacun de nous a d'ailleurs pu vérifier cette loi sur lui-même. Qu'arrive-t-il quand une de nos actions cesse d'être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s'en retire. Dans l'apprentissage d'un exercice, par exemple, nous commençons par être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu'il vient de nous, parce qu'il résulte d'une décision et implique un choix ; puis, à mesure que ces mouvements s'enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparaît. Quels sont, d'autre part, les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité ? Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux ou plusieurs partis à prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l'aurons fait ? Les variations d'intensité de notre conscience semblent donc bien correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite. Tout porte à croire qu'il en est ainsi de la conscience en général. Si conscience signifie mémoire et anticipation, c'est que conscience est synonyme de choix.

« « Je est un autre », écrivait Rimbaud, et il est vrai que l'expérience de la conscience consiste souvent à éprouver la différence entre soi et soi, par une sorte de dédoublement.

Sur le plan moral, nous sentons ainsi l'opposition entre le moi égoïste, celui qui ne connaît que ses pulsions, et la personne sociale, ou surmoi, qui respecte scrupuleusement les conventions et les lois.

Ce second moi en est-il du reste encore un, ou n'est-il au fond que l'intériorisation de la société, avec son côté arbitraire et dictatorial ? Dans lequel des deux « moi » reconnaissons-nous le mieux notre identité ? L'inconscient, qu'on ne peut, par définition, connaître directement, semble pourtant se révéler à nous.

Mais ses multiples manifestations ne semblent pas toutes désirables.

Est-il possible de les maîtriser, et n'est-ce pas là la fonction de la conscience ? N'est-ce pas aussi le but de l'éducation, qui serait en un sens une accession à la conscience ? On se demande toutefois si une telle maîtrise de soi s'accomplit vraiment pour soi, ou seulement pour autrui, comme contrainte limitative de la personnalité.

Quoi qu'il en soit, la conscience semble tout entière occupée à choisir, à décider entre les tendances, les désirs ainsi que les motifs rationnels.

Est-elle le véritable moi ? Est-elle vraiment autonome ? Être conscient, c'est d'abord être affecté par quelque chose, aussi la conscience peut-elle apparaître comme essentiellement réceptive, voire passive.

La conscience est-elle libre, ou déterminée ? La conscience signifie-t-elle l'acceptation résignée de l'ordre des choses, ou se définit-elle au contraire par sa capacité à le transcender, voire à le refuser ? Se définit-elle dans la soumission ou dans la révolte ? Paradoxalement, le fait de prendre conscience de sa propre impuissance peut aussi signifier être libre. Connaître le bien et le mal, être capable d'en juger, est aussi du ressort de la conscience.

Jugeons-nous en toute indépendance, ou sommes-nous influencés par notre éducation ? De plus, ce qui est bien pour l'un l'est-il nécessairement pour l'autre ? Et s'il s'agit avant tout de soi, ne faut-il pas se connaître, pour savoir ce qui est bien pour soi ? La conscience semble se distinguer de la raison, non pas parce que la raison pourrait exister sans conscience, mais parce que la conscience ne se limite pas à la rationalité : les sensations, les émotions, les opinions plus ou moins fondées, l'intuition, sont des phénomènes de la conscience.

Ce qui fait l'identité irréductible d'un sujet semble plutôt se trouver du côté de la conscience, avec l'ensemble de son vécu, que de la raison, plus objective, par laquelle la personne ne diffère nullement d'une autre. Si la conscience enregistre les sensations, elle est aussi capable de prendre de la distance avec elles, de distinguer ce qui relève du moi et ce qui relève du monde.

Elle représente ainsi un moyen privilégié d'accès au réel. L'idée d'un inconscient psychique pose deux types de problèmes.

D'abord la conscience peut paraître, non pas le lieu d'une révélation ou d'une vérité, mais au contraire la source de l'illusion.

Prendre conscience pourrait signifier se tromper sur soi-même et sur les choses.

D'autre part, l'hypothèse d'un inconscient dominateur nous conduit à mettre en question la liberté humaine, l'autonomie individuelle, si tant est que celle-ci ait son siège et sa garantie dans la conscience seule.

La conscience est-elle capable de porter un jugement critique sur elle-même, de s'interroger ? Sans doute plus que l'instinct, et ce pouvoir de délibération ramènerait la liberté du côté de la conscience. Avec la complicité de la raison, pour des raisons de convenance, la conscience nous empêche d'être nous-même et de nous exprimer.

Ma conscience serait en réalité le regard d'autrui.

Quant à l'inconscient, ce qui peut en faire aussi une hypothèse contraire à la liberté humaine, est qu'elle nous renvoie au corps.

Entre autres raisons parce que nos fonctions physiologiques échappent pour une large part non seulement à notre conscience, mais aussi à notre contrôle. Il n'en va pas de même de nos actions, par lesquelles nous inscrivons délibérément notre subjectivité dans le monde. Mais ces actions suffisent-elles pour autant à nous définir ? Le moi est-il bien ce qui se manifeste à travers elles, ou est-il caché par elles ? Que reste-t-il alors de l'individualité de chacun, sinon une histoire fabriquée par une conscience ? Qu'est-ce que le sujet, l'individu ? Peut-on réellement définir ce qui ne change pas, ce qui reste immuable dans un être, au-delà de toutes les modifications que le temps et les circonstances ont apportées ? Ces modifications ne constituent-elles pas de surcroît cet être dans son existence actuelle ? Sommes-nous un être isolé, ou faisons-nous partie d'un tout? Est-ce la conscience qui, restant la même, permettrait de définir cette identité, ou bien est-elle aussi soumise au monde et à l'histoire ? Deux conceptions s'affichent, l'une qui fait de la conscience un guide, un prescripteur faisant écho aux exigences sociales, l'autre qui la conçoit comme une instance critique, soucieuse avant tout de liberté. ERGSON: Il me paraît donc vraisemblable que la conscience, originellement immanente à tout ce qui vit,. »

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