Bergson et le langage
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Bergson et le langage
Il est présumable que sans le langage l'intelligence aurait été rivée aux objets
matériels qu'elle avait intérêt à considérer.
Elle eût vécu dans un état de
somnambulisme, extérieurement à elle-même, hypnotisée sur son travail.
Le
langage a beaucoup contribué à la libérer.
Le mot , fait pour aller d'une chose à
l'autre, est en effet essentiellement déplaçable et libre.
Il pourra donc s'étendre
non seulement d'une chose perçue à une chose perçue, mais encore de la chose
perçue au souvenir de cette chose, du souvenir précis à une image plus fuyante,
d'une image fuyante mais pourtant représentée encore à la représentation de
l'acte par lequel on la représente, c'est-à-dire à l'idée.
Ainsi va s'ouvrir aux yeux de
l'intelligence, qui regardait dehors, tout un monde intérieur, le spectacle de ses
propres opérations (...).
Elle profite de ce que le mot est lui-même une chose pour
pénétrer, portée par lui, à l'intérieur de son propre travail.
BERGSON
INTRODUCTION
• L'intelligence humaine a la capacité de connaître ses propres opérations et
d'analyser son propre fonctionnement.
D'où provient cette capacité ? D'après
Bergson, nous la devons au langage lui-même, et plus précisément à la nature du
mot, qui apporte à l'intelligence une liberté relativement à ses tâches et au réel.
I.
Les voyages du mot
• Parce qu'il nomme des espèces et non des êtres singuliers, le mot (nom commun) a la capacité permanente de
glisser d'un objet à un autre :il est ainsi « déplaçable et libre » (= non lié définitivement à l'objet qu'il désigne).
— On soulignera clairement les différents moments de ces déplacements :un même mot va « s'étendre » (augmenter
ses applications, et simultanément élargir ce qu'il évoque)
• d'une chose à une autre (du même genre)
• de la chose perçue à son souvenir (puisque l'usage du mot n'est en effet pas lié à la présence de la chose : il peut
l'évoquer alors qu'elle n'est pas là)
• du souvenir précis à une simple image moins claire (si je parle de l'arbre que j'ai perçu il y a huit jours, il est
vraisemblable que l'image que j'en ai est en effet assez pauvre)
• de l'image encore « représentée » à « la représentation de l'acte par lequel on la représente » : c'est à ce niveau
que s'effectue la transformation la plus notable, l'esprit n'est plus orienté vers l'extérieur, vers le support, même
lointain, de ce qui fut d'abord une perception, il se retourne vers lui-même et vers son activité.
On accède ainsi à
l'idée, qui est trop générale pour être encore liée à un objet précis.
— Le mot passe ainsi d'un référent sensible à une abstraction complète, à un véritable concept.
II.
La libération de l'intelligence
• Si le langage n'autorisait pas ainsi l'intelligence à se détacher du réel, elle aurait été « rivée aux objets matériels »
en raison même des tâches qu'elle doit accomplir.
• L'efficacité pratique contraindrait un esprit sans langage à demeurer en contact immédiat avec les objets à œuvrer.
Dans une telle situation, l'intelligence, resterait tout entière orientée vers le monde extérieur, et ignorerait son propre
fonctionnement en même temps que sa capacité à constituer un univers indépendant du concret.
Ce que désigne
Bergson, c'est la capacité symbolique du langage, qui remplace en effet l'univers des choses par celui des signes.
• L'intelligence rivée au concret, c'est l'intelligence simplement «pratique» (telle qu'on l'observe et la mesure chez
l'animal) ; en termes bergsoniens, c'est l'instinct, immédiatement efficace, mais incapable de recul.
• Cet extrait confirme donc l'antériorité de l'homo faber sur l'homo sapiens (qui est d'abord homme doté de parole, en
l'absence de laquelle il ne pourrait penser).
III.
La constitution du monde intellectuel
• Lorsque l'intelligence, grâce à l'indépendance que lui assurent les mots par rapport au monde des objets, pénètre «
à l'intérieur de son propre travail », cela signifie qu'elle va désormais travailler, non plus sur les choses, mais sur les
idées.
Ainsi se constitue un univers purement intellectuel, dont le caractère fondamental, tel qu'il est ici esquissé, est
son éloignement relativement au «réel ».
• Le mot se substituant à la chose isole l'esprit de cette dernière et l'autorise à travailler indépendamment des
contraintes (et, dirait Bergson, aussi des garde-fous) du concret.
• N'existe-t-il pas, dès lors, un risque d'éloignement excessif de l'intelligence par rapport aux choses et aux objets ?
L'intelligence ne peut-elle en venir en construire une pensée trop libre, c'est-à-dire décalée par rapport au monde ?
On sait que c'est bien ce qu'admet Bergson..
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