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Bergson: De la confusion de l'espace et du temps

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« La confusion habituelle qui nous fait ramener le temps à l'espace, procède dans l'histoire de la philosophie, des arguments de Zénon d'Elée, qui démontrait que le mouvement n'existe pas, qu'il n'est qu'une apparence.

Ainsi, Achille ne pourra jamais rattraper la tortue partie avant lui, puisqu'il lui faudra, avant de l'atteindre, rejoindre l'endroit où elle se trouvait déjà au moment de son départ, puis franchir la distance qu'elle aura parcourue durant ce temps, etc.

De tels arguments supposent que le temps, comme l'espace, est divisible à l'infini.

De la même manière, une flèche n'atteindra jamais la cible, puisqu'il faudra qu'elle franchisse la moitié de la distance qui l'en sépare, puis la moitié de la moitié, ainsi à l'infini.

La flèche reste donc immobile.

Ces arguments "prouvent" que le mouvement et le changement sont absurdes, et que par conséquent, la vérité devra être cherchée du côté de l'immobile et de l'éternel.

Or, Zénon ne traite pas du mouvement, il l'élimine en le spatialisant.

Du déplacement d'un mobile dans l'espace, il ne retient qu'un espace divisible à l'infini, avec deux objets pratiquement immobiles, dans une "expérience" où le temps est supprimé.

Dans la réalité, Achille rejoint la tortue, et la flèche atteint sa cible.

On peut supposer que l'espace est théoriquement divisible à l'infini, non pas le temps.

Lorsque ma main effectue un trajet de A à B, on peut effectivement diviser l'espace parcouru à l'infini, mais ce mouvement occupant une durée incompressible, cela prouve que le mouvement ne coïncide pas avec l'espace parcouru, que le mouvant ne coïncide pas avec l'immobile.

Aucun mobile n'est" à un point donné de son trajet, il y passe.

Il pourrait y être s'il s'y arrêtait, et se nierait alors comme mouvement.

Un mouvement, tel qu'il est en soi, et quelle que soit sa durée, est un tout indécomposable : c'est une durée déterminée qui ne se confond pas à l'espace parcouru.

Le temps est quelque chose d'autre et quelque chose de plus que l'espace.

La confusion s'explique par l'attitude de notre intelligence dans l'acte de connaissance.

Nous recherchons la stabilité, l'immobile, le vrai "pour toujours".

Or l'essence même de la réalité c'est le mouvant, le changeant, le devenir, la temporalité.

L'être de la réalité, c'est la durée.

C'est mettre la réalité entre parenthèses que d'y supprimer le mouvant, en le spatialisant dans un système de coordonnées et de repères fixes.

Dans sa quête de la connaissance, l'esprit immobilise ce que la vie ne cesse de modifier et de transformer.

Le temps, considéré en lui-même, se donne dans l'intuition de la durée que l'on peut comparer analogiquement à une mélodie musicale.

Une note isolée perd tout sens et toute signification.

C'est dans son rapport entier à la mélodie, indécomposable en soi, que la note exprime quelque chose de concret et de vivant.

Toutes les opérations de découpage du temps nous voilent son essence.

La durée vécue est au contraire surprise, dévoilement, création, ressourcement, élan vital, changement et nouveauté.

Le temps concret est la création même de la vie en ce qu'elle a d'imprévisible et d'inédit.

La représentation a posteriori de la durée la fige et l'immobilise, mais au coeur de l'instant, elle est l'émergence de ce qui n'a jamais eu lieu, et qui ne se reproduira pas.

La représentation objective du temps s'explique pour des raisons d'organisation pratique, le temps devient quelque chose d'universel, de mono-toile et d'abstrait dans lequel nous pouvons nous reconnaître et accorder nos actions ; mais pourtant, sous ce mécanisme spatial plaqué artificiellement, le temps vécu reste cette mélodie organique où chaque instant nourrit l'autre et en diffère, où chaque moment ne se reproduit jamais deux fois de la même manière, où la nouveauté et l'inédit se font à chaque instant sans cesser de se poursuivre.. »

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